DECRYPTAGE. Être élève en Calédonie : comment l'implantation du secondaire influe sur le quotidien

Dowson et Francis, jeunes habitants d'une commune sans collège, posent devant leur ancienne école primaire, au village de Boulouparis.
A l’approche de la rentrée en Nouvelle-Calédonie, NC la 1ère se penche sur le quotidien de nos élèves. Carte scolaire, déplacements, tenues… Retrouvez chaque jour notre dossier en ligne. Aujourd'hui, la répartition des collèges, et donc des collégiens !

A Boulouparis, la vie se complique après le CM2. Cette année, la maternelle Marthe-Bourgine du village et sa petite antenne à la tribu de Nassirah attendent au moins 111 élèves. L'école Daniel-Mathieu, autour de 200. Et au-delà ? Deux options : dormir ailleurs, ou s'éloigner le matin pour revenir le soir. Le recensement de 2019 a beau avoir décompté 3 315 habitants, soit une augmentation de 10 % depuis 2014, Boulouparis reste l'une des communes calédoniennes sans aucun collège. Comme les petites municipalités de Farino, Sarraméa, Moindou ou Belep. Comme celles de Pouembout et Touho, aussi, pour d'autres raisons. Pourtant, ses voisines de La Foa et Thio, qui comptent environ 3 500 et 2 500 habitants, ont deux collèges chacune. L'un, public et l'autre, privé.

L'un ira à Bourail, l'autre à Païta

A quelques jours de la rentrée, deux jeunes habitants font des tours de vélo dans le village. Francis, quatorze ans, va entrer en troisième. "Mon frère est en Segpa à Bourail et du coup, mon père m'a mis là-haut avec lui", explique-t-il. Demi-pensionnaire au collège public Louis-Léopold Djiet, l'adolescent sera hébergé dans la famille pendant la semaine. Il reviendra à Boulouparis pour le week-end et les vacances. 
Dowson, onze ans, est encore en primaire. Après, il s'attend à intégrer le collège privé Sainte-Marie de Païta, qui dispose d'une Section d'enseignement général et professionnel adapté. "Je sais c'est quoi, la vie d'un sixième, lance-t-il, parce que j'ai été plein de fois chercher ma cousine à La Foa et j'ai été faire les inscriptions avec elle." 

La plupart dans les collèges lafoyens

A Boulouparis, plusieurs des élèves en âge d'entrer dans le secondaire sont inscrits dans l'agglomération nouméenne, en fonction du trajet pris par leurs parents pour aller travailler. Voire ailleurs, selon la façon dont les gens arrivent à s'organiser. Mais la plupart continuent leur cursus à La Foa, la voisine distante d'environ 35 kilomètres. C'est le cas de Roan, treize ans, en quatrième au collège privé Saint-Dominique-Savio. "On est sur Bouraké. On est debout à 5 heures, avec le magasin", raconte sa mère, Anne Briault, dont le couple gère un commerce au village. "On l'amène pour prendre le car, entre 6h30 et 6h45." Et en attendant le bus, "beaucoup de gamins prennent le petit-déjeuner au magasin !" 

Le transport vers La Foa piloté par une APE

Les deux frères de Roan sont passés par là, elle connaît la chanson. Le transport scolaire qui amène les enfants de la commune aux collèges de La Foa est porté par "l'Association des parents d'élèves de Tomo et Boulouparis", via des transporteurs privés. 

"Cette année, ça nous revient à 15 000 francs par mois." Et la moitié de la somme, les mois où il y a des vacances. "Après, normalement, on a des subventions." Il est ainsi arrivé de ne rien avoir à débourser. Tout dépend des sommes versées par les collectivités.

Ce n'est pas tout, "il y a la cantine à payer, après. On se débrouille mais ceux qui ont deux enfants..." A cette situation, Anne Briault voit un aspect positif. "Le collège à La Foa permet de faire sortir nos enfants de Boulouparis. Depuis la maternelle jusqu'au CM2, ils sont toujours avec les mêmes. Là bas, il y a des enfants de partout." Le collège public Théodore-Kawa-Braïno avait 326 inscrits à la rentrée 2022. Le collège Savio, 197.

Internes ou demi-pensionnaires

En 2022, l'APETB a permis à 49 élèves de Boulouparis, collégiens à La Foa, d'être "ramassés" le dimanche, déposés en internat et ramenés le vendredi. Ils étaient notamment originaires des tribus (Kouergoa, Ouinané, Ouitchambo et Nassirah). L'association diligente aussi deux lignes journalières, qui ont véhiculé l'an dernier 108 inscrits. "Deux bus de 54 places", précise Patrice Mahossem, son président "depuis une vingtaine d'années", quand son fils était lui-même au collège. 

La problématique ne date pas d'hier. Pascal Vittori se bat depuis longtemps pour la construction d'un collège sur la commune, comme en atteste un article des Nouvelles Calédoniennes daté de 2011. Le projet semblait "en bonne voie". Le vice-recteur de l'époque s'avouait toutefois "sceptique" vu la taille du collège public à La Foa. "On aurait deux petits collèges, sans marge de manœuvre et avec des profs qui devraient naviguer entre les deux", pointait Michel Martz dans LNC.  

Plaidoyer pour un collège

En tout cas, rien ne s'est fait. Devenu maire, Pascal Vittori n'en démord pas : "La zone qui va le plus se développer démographiquement dans les vingt prochaines années est entre le bas du col de la Pirogue et Boulouparis, estime-t-il. Il serait intéressant d’implanter un collège qui desserve toute cette zone. Ça bénéficiera à Païta, Tamoa, Tontouta, Tomo et Boulouparis." Il ne manque pas d'arguments. "Ceux qui sont internes vont à l'internat dès l’âge de onze ans. Ils sont privés de leur famille, ça fait un peu jeune. Pour ceux qui font la route tous les jours, il y a le problème de la sécurité routière, qui n’est pas négligeable en Nouvelle-Calédonie, et le problème de la sécurité à l’intérieur du bus."

Sans parler de la fatigue. Le maire fait même le lien entre cette contrainte qui pèse sur la scolarité des Boulouparisiens, et leur niveau de diplôme. Selon les données du dernier recensement, 29 % des 25-64 ans n'en avaient aucun contre 22 % à l'échelle du pays, presque 28 % avaient un niveau CAP ou BEP (contre 22%), etc. La municipalité se dit prête à mettre plusieurs hectares à disposition de l'enseignement catholique pour y bâtir un collège, voire à financer le chantier. Pascal Vittori a échangé avec la DDEC quant à un projet de partenariat. 

Le collège Louise-Michel, prévu pour accueillir 400 élèves, en comptait beaucoup plus en 2022.

Louise-Michel en voie d'extension

Mais l'époque et les budgets se prêtent-ils encore à la construction de collèges ? Lourds en frais de fonctionnement, ils sont plus beaucoup difficiles à fermer qu'une école primaire, en cas d'effectifs insuffisants. A la rentrée 2023, aucun n'a été livré. En revanche, un collège de Païta va être agrandi. "Il y a de plus en plus de monde sur le Nord de l’agglomération", dépeint Florence Seytres, directrice de l’Education et de la réussite pour la province Sud. A Ondémia, Gabriel-Païta a commencé l'année dernière avec 545 inscrits. Mais sa capacité est de 600, tandis qu'à Gadji, Louise-Michel s'avère saturé, avec 476 élèves à la rentrée 2022.

"La province, pour accueillir les collégiens dans les meilleures conditions possibles, fait en sorte que le collège, l’environnement, soient adaptés. Donc nous menons des travaux sur le collège Louise-Michel pour le passer à 600 places." Pendant les vacances, cinq classes mobiles ont été déplacées. L'espace libéré doit permettre de commencer cette année le chantier de l’agrandissement. "Il s'agit de construire un nouveau bâtiment qui contiendra les salles de sciences, et d'agrandir la cantine.»

Transfert de collégiens

En attendant cette montée en gabarit, la "zone de recrutement" a été modifiée. Des élèves qui relevaient de Louise-Michel, surchargé, sont affectés au collège Jean-Fayard de Katiramona, sous-rempli. C'est dans cet établissement de Dumbéa Nord qu'iront les enfants des familles installées dans six lotissements résidentiels de Païta Sud : les Trois-Vallées, Pétroglyphes, Les Fougères, Les Villas d'Elba, Octave-Rolland et Durango. Même ainsi, Jean-Fayard compte à ce jour 300 inscrits, en-dessous de sa capacité. Le collège n'était jusqu'alors alimenté que par deux écoles primaires : Duboisé et Higginson. Ses effectifs ont fondu, jusqu'à 290 élèves l'an dernier, dans un bassin à la population dispersée et en partie vieillissante.

Le collège Jean-Fayard de Katiramona recevait jusque-là les enfants scolarisés dans les écoles Duboisé et Higginson.

"57 structures de collège"

Deux réalités très différentes en quelques kilomètres. Et à l'échelle de toute la Calédonie ? "Sur les collèges, on a un réseau particulièrement bien développé. 57 structures de collège maillent l’ensemble du territoire", défend le vice-recteur, Erick Roser. "Avec des collèges qui répondent aux effectifs des populations dans les zones d’agglomération (Nouméa, Grand Nouméa ou le VKP)" tout en gardant "une taille raisonnable", assure-t-il. "Les collèges des zones d’agglomération sont des collèges de l’ordre de 400 - 500 élèves en moyenne." A signaler que les plus gros du pays se trouvent tous deux à Nouméa, Anse-Vata. Jean-Mariotti atteignait 794 inscrits à la rentrée 2022 et Saint-Joseph-de-Cluny, 660. 

"Hors agglomération, poursuit le vice-recteur, on a de très nombreux petits collèges qui cherchent à être au plus près des populations." Celui de Yaté avait un effectif de 101 à la rentrée dernière. "En Brousse, en province Nord, treize collèges émaillent la côte, que ce soit la côte Est et la cote Ouest. Sur l’île d’Ouvéa, on a trois collèges. A Maré, nous en avons trois. Sur Lifou, on a cinq structures scolaires de collège."

Le challenge des petites structures

Par endroits, l'offre est plus forte que la demande, si l'on peut dire, surtout dans un contexte de natalité en baisse et d'exode rural. Il n'y a qu'à voir les chiffres 2022 à Thio :

  • La Colline, dans le public, 85 enfants et cinq classes  ;
  • Francis-Rougé, dans le privé, 52 enfants et trois classes.

Ou ceux relevés à Maré : 172 au collège public de La Roche, 151 au collège Taremen de l'Alliance scolaire, 135 au collège public de Tadine.

Le réseau est satisfaisant parce qu’il répond à un double enjeu : d’avoir des établissements qui ne sont pas de dimension trop importante, mais nous permettent de répondre à la qualité de l’enseignement. Il faut qu’on trouve cet équilibre entre proximité et qualité.

Erick Roser, vice-recteur

Les défis de l'isolement

"Dans nos collèges isolés, cite-t-il, il faut être en capacité d’affecter des enseignants, alors qu’on n’a pas toujours des postes complets à proposer, on a beaucoup de disciplines. Il faut arriver à trouver la ressource humaine, il faut l’accompagner, deuxième défi que l’on se donne. Et le troisième défi, c’est de rompre l’isolement et de veiller qu’il y ait tout de même une dynamique d’accès à la culture, à un certain nombre d’éléments et notamment, tout l’enjeu se situe au niveau du numérique."

Le ministère de l’Education nationale a développé un indice mesurant l’éloignement, qui a été appliqué aux collèges calédoniens. Il prend en compte dix-sept variables pour chaque établissement. Exemples :

  • la distance moyenne des élèves au collège ;
  • la densité de collèges dans un rayon de trois km ;
  • la distance à la Segpa, la seconde générale et techno, la seconde pro ou le centre de formation des apprentis les plus proches ;
  • la distance au gymnase, à la piscine, au cinéma ou à la bibliothèque les plus proches, etc.

Conclusion de cette étude qui date de juillet 2020 : "Avec une dimension comparable aux Pyrénées et un réseau scolaire très dispersé, la Nouvelle-Calédonie se caractérise par des distances entre ses collèges et les offres de formation et infrastructures nettement plus élevées que dans le reste du territoire français." Autre constat, "les collèges éloignés cumulent pratiquement tous les facteurs a priori défavorables à la réussite éducative" et doivent faire face à "des enjeux multiples"

A lire en cliquant ici

L'indice d'éloignement en 2020 à travers la Calédonie.

"Complément de proximité"

"Il y a tout de même des élèves qui peuvent habiter relativement loin du collège et là, le complément de la proximité est l’offre d’internats provinciaux", complète le vice-recteur.

  • Deux au Sud, à La Foa et Bourail.
  • Sept au Nord, à Hienghène, Poindimié, Houaïlou, Koné, Koumac, Canala et Ouégoa (près de 800 inscriptions déjà attendues).
  • Quatre "résidences scolaires" en province îles : Laura-Boula à Lifou, La Roche et Tadine à Maré : Lekine à Ouvéa (286 internes en 2022).
  • Sans oublier tous les internats catholiques et protestants, de la DDEC, l'Asee et la FELP.


L'implantation des établissements scolaires est à lire avec un phénomène en tête : "Depuis une dizaine d’années, sur le second degré, on a perdu 3 600 élèves", rappelle Erick Roser. "La perspective d’ici 2030 est d’avoir mille élèves de moins. L’enjeu pour nous, c’est de maintenir la qualité, de maintenir la proximité, dans cette configuration de baisse d’effectifs."