Il en faut, de la motivation ! L'école Charles-Mermoud de Koumac ne se trouve pas si loin de là où vit Laïana, côté grottes. Sur un terrain familial où ses parents se sont installés il y a quatre ans, pour raisons économiques. Mais pour se rendre en classe, la petite fille de neuf ans, qui entre en CM1, doit franchir quatre passages de rivière. Lorsque le niveau de l'eau est bas, on roule en voiture même s'il n'y a pas de route. C'est ce qu'explique sa maman, Mélissa Jourdain. "Quand il y a trop d'eau et s'il n'y a pas trop de courant, on passe en canoë ou en plate. S'il y a du courant, quand on a les enfants ou des courses à porter, on longe un flanc de montagne."
Voyez l'exemple du début d'année dernière envoyé à la famille :
La galère à Koumac
C'est glissant. "Quand l'eau est haute, on ne veut pas la faire traverser tous les matins. On lui fait un sac de linge et elle reste dans la famille au village. Elle ne rate pas l'école ! On va toujours trouver un moyen pour passer." Et cette année, double défi : la petite sœur de Laïana, qui s'appelle Heilani, commence la maternelle. Pourvu que la Koumac baisse... Ce vendredi, le retour à la maison a été infernal, par la montagne et la forêt. De la même manière, à une foultitude d'endroits de Calédonie, c'est toute une histoire pour aller à l'école. Le relief, les rivières, les bras de mer, la distance, l'état des routes, le réseau de transport... Ajoutez à ça les pluies incessantes d'une année comme 2022, qui ont entraîné plusieurs épisodes d'inondations et de voirie coupée, et vous obtenez une authentique galère, partagée chaque année scolaire par des milliers de personnes.
Suspendu au niveau de l'eau à Gohapin
Exemple plus bas sur la Grande terre, à Poya. Djeï, onze ans, vit aussi au bord d'un cours d'eau. A Gohapin, dans la Vallée de Newapouy. "Quand c’est les intempéries, on est embêtés pour l'emmener de chez nous", relate sa maman, Jacinthe Meandu-Gorode, qui rêve d'un pont. "Il se levait à 6 heures. La maternelle rentrait à 7h45. Le bus passe dans la vallée à 7h10. Mais si il y a le mauvais temps et l’inondation, on est obligé de partir de chez nous à 6h10-6h30, le temps qu’on marche, et le transport nous attend de l’autre côté." L'école de proximité s'arrêtait au cycle 2. Djeï a donc rallié celle du village avec "le journalier", comme disent les gens.
"Cette année, il va se lever à 5 heures parce qu’il rentre en sixième au collège. Le car va venir le chercher à la vallée à 6 heures, le car du collège démarre de Gohapin à 6h30." Son grand frère, Oué, a quinze ans et sera pour sa part en terminale CAP à Bourail. Plus de place à l'internat, explique sa maman. Comment faire, alors que les parents travaillent très tôt, sur mine ? "Il va se lever à 4h30. Après, il va quitter la tribu à 5h30 avec quelqu’un de la famille qui le déposera avant 6h30 à l’endroit de Poya où passe le bus qui dessert le lycée Père Guéneau", se dit-elle.
Evacués quand il pleut trop vers Table-Unio
Direction Moindou, dans la chaîne, à la petite tribu isolée de Table-Unio. C'est là que vit Whesleyk, dans un cadre enchanteur, parmi une trentaine d'habitants. Content de reprendre l'école ? "Oui, j'ai hâte de voir mes copains", répond au quart de tour le garçon de dix ans, qui est passé en CM2 à Louise-Michel, au village de Bourail. Mais ce sera terminé de rester un peu au lit le matin. Il faudra ouvrir les yeux vers 5 heures pour attraper le car à 6. "Ça me dérange un peu parce la route, elle est longue", raconte-t-il. Plus d'une heure et demi. "On doit passer par une autre tribu." Un détour par Aremo, pour embarquer d'autres élèves, et pareil le long du chemin jusqu'à Boghen. "La route, elle est mauvaise, ça secoue un peu, quand il y a des nids de poule. C'est fatigant."
Et puis, il faut franchir presqu'une dizaine de radiers avec l'eau susceptible de monter. "On a un creek difficile à passer, il est trop bas. Il y a l'inondation. Après, on est bloqués, continue-t-il. C'est arrivé plein de fois." Surtout avec les déluges de l'an dernier. Quand la météo se dégrade, les enfants quittent l'école plus tôt pour que le chauffeur du bus essaie de les ramener avant que ça coupe. "Il nous dit de rentrer, sinon on sera bloqués."
"Je commence à avoir l'habitude"
Ce ne sont pas les seuls. Des scènes d'évacuation comme celle-ci se passent dans plusieurs communes de la Grande terre. Sauf que "des fois, l'eau, elle est déjà haute. Des fois, on dort à la [maison] commune d'Aremo." Ou alors, le groupe attend que le niveau descende, parfois pendant des heures. "Je commence à avoir l'habitude." Tout petit, c'était parfois difficile. Il lui est arrivé de pleurer parce qu'il devait passer la nuit loin de maman. Whesleyk parle aussi des retours en fin de journée, vers 17 heures. "Quand je reviens, je fais mes devoirs. Des fois, je dors au long du car. Des fois, je ne peux pas aller à l'école, je suis trop fatigué." "On a eu des problèmes avec l'école à cause du nombre d'absences", renchérit sa mère, Julie Até. "Les enfants sont fatigués de faire la route. Lundi, mardi, ça va. Mercredi, ça va mais ils arrivent à 13 heures, il n’a plus faim. Jeudi, vendredi, c'est la fatigue. Des fois, il loupe. L'année prochaine, je le mets à l'internat du collège Louis-Léopold-Djiet." Elle se demande même si elle n'aurait pas dû le faire dès le primaire...
Quitter l'îlot Yenghebane en bateau
Retournons dans l'Extrême-Nord, cette fois à Poum. La famille de Zila Lolopo fait partie des gens qui habitent sur l'îlot Yenghebane, "entre Baaba et la Grande terre, pas loin de Boat pass". Kilyane a onze ans. Les jumeaux Horaïna et Maladjï en ont six cette année. "Quand la mer est mauvaise, avec un vent violent et la pluie, mes enfants ne vont pas à l'école mais la plupart du temps, ils font la traversée", explique-t-elle. Depuis qu'ils ont quatre ans et ils adorent ça. Ils sont cinq élèves en tout à l'effectuer tous les jours. "Quand le temps est normal, ça prend dix à quinze minutes mais trente minutes par temps de pluie. L'année dernière, je les réveillais à 5h15 pour les préparer et ils prenaient le bateau à 6 heures." Des fois du papa, des fois du tonton.
"J’ai pitié des enfants quand ils font la traversée. Quelquefois, il fait encore nuit. Nous, on est obligées d’attendre sur la plage avec nos lampes électriques ! Sans oublier qu'en période des grandes marées basses, la moitié du trajet se fait à pied." De l'autre côté de la mer, "le bus les attend à Boat pass à 6h30 ou 6h45." Ils vont à l'école de Tiabet, qui commence à 7h30, avec dans le sac un petit goûter pour prendre à 9 heures. "Les enseignants sont au courant que certains se lèvent de bonne heure. Quand ils sont fatigués, il les laissent un peu dormir." Mais Zila se dit que la classe pourrait commencer un peu plus tard ? Quant au grand, "il rentre en sixième au collège de Poum, il ira à l’internat."
Le samedi à Ouayaguette et c'est reparti
Changement radical de décor. A Hienghène au beau milieu de la chaîne, la tribu de Ouyaguette, un peu moins de 200 habitants en 2019. Durant l'année scolaire, Isadora Voa, seize ans, n'y passe pas beaucoup de temps. Elle est en effet scolarisée à Bourail, au lycée catholique Saint-François d'Assise. Rentrée tard le vendredi soir, elle repart dès le dimanche matin. Il faut prendre la navette de la tribu vers 7 heures pour rejoindre Tendo. A midi, nouveau bus pour se rendre au village et de là, elle monte dans un troisième car "avec tous les élèves de Hienghène qui font l'école à Bourail. On arrive à l'internat vers 15 heures."
En internat à Ouvéa
Un tour aussi à Ouvéa, île dotée de trois collèges. Cassydy Toulangui, quatorze ans, est originaire de la tribu de Heo, au Nord, et va en cours à Lekine, au Sud, à Shea Tiaou. "C'est le seul collège public. Par rapport à la distance" (une trentaine de kilomètres), "je suis interne." C'est comme ça depuis la sixième et la jeune fille arrive en troisième. Aux Loyauté, certains enfants scolarisés sur une autre île que la leur restent même à l'internat durant de longues périodes. A Lifou, celui du lycée polyvalent Williama-Haudra est ouvert le week-end et durant les petites vacances scolaires. Sur la Grande terre aussi, certains internes ne rentrent chez eux que pour les vacances.
Problèmes de concentration
Un enseignant dans cet établissement signale aussi les réveils aux aurores auxquels sont contraints des élèves vivant aux extrémités Nord et Sud de Drehu. "Ils doivent se lever vers 4 heures, 4h30 du matin pour prendre le bus, il n'y a qu'un trajet. Vers 9 heures - 9h30, c'est fini : les gamins sont fatigués, ils ont faim, à Lifou on a vite chaud le matin... Après, on a des problèmes de concentration, comme on travaille de façon classique." Difficile que des situations aussi contraignantes n'aient pas un impact sur la scolarité elle-même. Les idées ne manquent pas pour composer avec elles. Une petite collation le matin. Un type d'enseignement plus au rythme des élèves, par exemple avec des classes flexibles et autonomes. Un enjeu important est d’avoir un emploi du temps qui intègre le fait que certains ont de longues journées, notamment en permettant de faire les devoirs dans l'établissement.
Lourd transport scolaire
Mais en toile de fond de la plupart des situations, on trouve le sujet du transport scolaire. Il s'agit d'une préoccupation majeure pour les collectivités, à commencer par les mairies qui assurent de fait cette compétence. Poids financier alors que les crédits alloués diminuent, organisation qui n'est pas homogène, coût pour les parents, décalage entre les horaires des établissements et des bus, journées interminables pour les élèves transportés, réseau Raï inadapté pour les élèves rentrant le week-end... En outre, les interlocuteurs s'avèrent multiples : les circuits sont, selon le cas, gérés par les communes, des associations de parents d'élèves, la province, un syndicat interurbain, des privés voire l'établissement lui-même. Et la baisse démographique, donc du nombre d'élèves, ne va pas empêcher la nécessité d'effectuer de gros investissements. Pour certaines municipalités, la part de budget affectée aux transports scolaires est faramineuse, comme NC la 1ère le disait en 2021 à propos de Kouaoua et Bourail, par exemple.
Les maires prennent l'initiative
Comment mutualiser, optimiser et trouver un juste milieu pour offrir aux jeunes Calédoniens et à leurs familles un service satisfaisant ? Quelques jours avant la rentrée, les deux associations qui portent la voix des maires calédoniens se sont réunies. Une lettre commune a été adressée au gouvernement par l'AMNC et l'AFM-NC pour demander une rencontre avec les membres en charge du transport, de l'enseignement et des relations avec les communes. La situation n'a rien de nouveau. Mais des préconisations existent. Notamment dans un rapport daté de septembre 2019, une étude de faisabilité concernant la mise en place d'un réseau scolaire interurbain territorial (Belep, l'île des Pins, Lifou, Maré et Ouvéa sont en dehors du champ).
Eloquent
Un document dense, chiffré et éloquent. On y apprend par exemple qu'en 2019, sur 32 000 élèves dans le secondaire, 4 800 effectuaient des trajets entre deux communes en dehors du Grand Nouméa et parmi eux, 1 500 changeaient de province. Autre donnée, sur ces 4 800 jeunes, 2 600 étaient à l'internat et donc le reste en déplacement journalier. Quant au coût d'exploitation des 90 lignes interurbaines de transport scolaire hors Grand Nouméa, il était estimé à 371 millions de francs par an. Assumé presqu'aux deux-tiers par les communes sur leurs fonds propres, puis par le vice-rectorat, les parents, et les provinces. Et au bout de la chaîne, nos petits élèves, qui ont décidément du mérite.