DÉCRYPTAGE. Ruamm : que prévoit exactement la réforme pour l'instant ?

L'une des propositions de loi relatives à la réforme du Ruamm
"Tout comprendre sur le Ruamm et sa réforme" [2/4]. Projet "clivant" pour les uns, "socialement juste" pour les autres ... La réforme du Ruamm portée par l'Eveil océanien fait couler beaucoup d'encre en ce début d'année. La proposition devrait encore évoluer dans les prochains mois. Mais que prévoit-elle actuellement ?

C'est l'un des sujets les plus sensibles de ce début d'année. La réforme du Ruamm vise à assainir les finances de la branche maladie-maternité de la Cafat. À terme, il est prévu qu'elle génère entre 10 et 12 milliards de francs de nouvelles recettes, soit à peu de choses près le déficit annuel du Ruamm.

En attendant d'éventuelles modifications dans les mois à venir, retour sur les mesures prévues -pour le moment- par l'Eveil océanien, à l'initiative de cette proposition de loi.

La mise en place d'un taux unique

La mesure phare de cette réforme consiste à simplifier les règles de cotisation des salariés, des fonctionnaires et des indépendants. À l'heure actuelle, ces catégories de travailleurs cotisent selon des taux qui peuvent varier.

1 Les travailleurs indépendants

  •  Ce qui existe pour le moment

Les travailleurs indépendants ont aujourd'hui le choix entre deux formules : "partielle" ou "complète". Ils peuvent en parallèle choisir de souscrire l'option "prestations en espèces", qui leur ouvre le droit à des indemnités journalières en cas d'arrêt maladie.

Les cotisations des indépendants dépendent d'une part de la formule et de l'option choisies, mais aussi de leur niveau de revenus. Par exemple, un travailleur en formule "complète" avec "prestations en espèces" contribuera à hauteur de 6,5% si ses revenus annuels n'excèdent pas 3,75 millions de francs.

Pour la même formule avec option, ceux gagnant entre 1,6 et 3,7 millions de francs cotiseront à hauteur de 7% de leurs revenus. Pour des revenus compris entre 3,7 et 6,63 millions, le taux sera compris entre 7 et 9,5%. Enfin, les revenus supérieurs à 5,63 millions cotiseront à hauteur de 14,5%.

  •  Ce qui changerait pour eux 

Avec la réforme, le calcul a vocation à devenir plus simple. Il n'y aura plus qu'un seul taux à 13,5% sur l'ensemble des revenus. Une augmentation significative du pourcentage pour la plupart des indépendants, en contrepartie de laquelle ils bénéficieront de la même couverture que les salariés du privé.

La principale nouveauté sera la suppression du délai de carence pour les indemnités journalières en cas d'arrêt maladie. Autrement dit, les indépendants seront indemnisés dès le 1er jour d'arrêt. Ils devaient jusqu'à présent attendre le 11e jour pour bénéficier de ces indemnisations.

  •  Ce que ça pourrait rapporter

D'après le cabinet DME, mandaté pour étudier la proposition de réforme, la hausse des cotisations des travailleurs indépendants entraînera une augmentation des recettes de l'ordre de 3,5 milliards de francs. Une estimation qui rejoint les prévisions de l'Eveil océanien. Dans les documents attachés à sa proposition de loi, le parti table précisément sur 3,59 milliards supplémentaires.

2 Les salariés du privé

 

  • Ce qui existe pour le moment

Pour les salaires du privé, il existe actuellement deux tranches. Jusqu'à 539 500 francs brut, la cotisation s'élève à 15,52% (11,67 pour l'employeur et 3,85 pour l'employé). Si un salaire est plus élevé, la cotisation à 15,52% s'applique sur 539 500 francs puis c'est un taux de 5% (3,75 pour l'employeur, 1,25 pour l'employé) qui s'applique sur le reste du salaire.

  •  Ce qui changerait pour eux

Avec la réforme, les deux tranches seront supprimées pour laisser place à un taux unique de 13,5%, comme pour les travailleurs indépendants. Le taux continuera d'être partagé entre l'employeur (10,65%) et l'employé (2,85%).

Dans les faits, la modification du taux tend à favoriser les salaires inférieurs à 539 500 francs brut, qui cotiseront un point de moins qu'avant la réforme. Le point de bascule se situe aux alentours de 800 000 francs brut, montant à partir duquel les travailleurs paieront davantage qu'auparavant. 

Par exemple, un salarié touchant 530 000 francs brut et cotisant donc aujourd'hui 20 405 francs, ne cotisera plus que 15 105 francs après la réforme. À l'inverse, un salarié touchant 950 000 francs brut et cotisant donc aujourd'hui 25 901 francs, paiera 27 075 francs après la réforme. 

  •  Ce que ça pourrait rapporter

D'après le cabinet DME, la modification du taux de cotisation entraînera des recettes supplémentaires de l'ordre de 6,8 milliards. Un montant supporté à plus de 95% par les employeurs et à environ 4% par les employés.

Le calcul doit cependant être interprété avec prudence : le cabinet semble avoir intégré dans sa réflexion une éventuelle suppression des secteurs aidés et de la réduction sur les bas salaires. Dans les documents attachés à sa proposition de loi, l'Eveil océanien table de son côté sur des recettes de 737 millions de francs.

3 Les fonctionnaires

Une salle de classe à Païta
  •  Ce qui existe pour le moment

Les fonctionnaires bénéficient d'un taux de cotisation plus avantageux que celui des salariés du privé : 14% du salaire brut (10,15 à la charge de l'employeur, 3,85 à celle du salarié) sur la première tranche, soit 539 500 francs.

Un taux qui s'explique par le fait que les indemnités journalières consécutives aux arrêts maladie sont payées directement par l'employeur. Sur la deuxième tranche, celle supérieure à 539 500 francs, les cotisations s'élèvent à 5%. 

  •  Ce qui changerait pour eux

Avec la réforme, ces deux tranches vont être supprimées au profit d'un nouveau taux unique : 12%, donc 1,5% de moins que pour les deux autres catégories. Là encore, la différence de taux s'explique par le fait que les indemnités journalières sont prises en compte uniquement par l'employeur public et non par la Cafat. 

Sur le nouveau taux de 12%, 9,15 seront à la charge de l'employeur et 2,85 à celle de l'employé. Comme pour les salariés du privé, la mesure est censée avantager les personnes qui gagnent moins et peser au contraire sur celles dont la deuxième tranche représente beaucoup d'argent.

Ainsi, un employé de la fonction publique qui touche aujourd'hui 300 000 francs brut cotise à hauteur de 11 550 francs. Avec la réforme, cette même personne ne cotisera plus que 8 550 francs. Le cas d'un salaire élevé est en revanche différent. Pour une personne touchant aujourd'hui 900 000 francs brut et cotisant 25 276 francs, le nouveau montant sera de 25 650 francs.

  •  Ce que ça pourrait rapporter

D'après le cabinet DME, la modification du taux de cotisation entraînera des recettes de l'ordre de 1,2 milliard de francs. Dans le détail, l'employeur public donnerait 1,6 milliard de plus qu'aujourd'hui. Les employés paieraient quant à eux 400 millions de moins qu'actuellement.

Un calcul en adéquation avec ce qu'anticipe l'Eveil océanien dans sa proposition de loi.

La "modernisation" des secteurs aidés et de la réduction sur les bas salaires

Au-delà de la refonte des taux, la proposition de réforme comporte un autre volet important. Il s'agit de la "modernisation" des secteurs aidés ainsi que de la réduction sur les bas salaires.

L'Eveil océanien souhaite revoir ces deux dispositifs, qui ont nécessité l'année dernière 6,2 milliards de francs de compensations de la part de la Nouvelle-Calédonie : 3,9 milliards pour les secteurs aidés et 2,3 milliards pour la RBS.

Ce sera certainement l'un des sujets sensibles abordés par la commission spéciale au Congrès.

  •  Les secteurs aidés

À l'heure actuelle, certains secteurs dits "aidés" bénéficient d'exonérations partielles de cotisations sociales, quel que soit le niveau des salaires concernés. Les 13 500 salariés concernés et leurs employeurs profitent ainsi d'un abattement de 75%, dans les secteurs suivants :

  •  Les entreprises hôtelières situées hors de Nouméa ou sur les îles et îlots de la commune
  •  Les entreprises agricoles et assimilées
  •  Les employeurs de personnels de maison
  •  Les établissements d'accueil de la petite enfance et périscolaire agréés qui emploient du personnel

"Les secteurs aidés datent d'il y a 30 ans. L'idée, c'est de se demander si tous ces secteurs ont besoin de ces 75%. Il va falloir fixer des indicateurs d'évaluation", avance Milakulo Tukumuli.

  •  La RBS

Au-delà des secteurs aidés, un autre dispositif d'exonérations existe : la réduction sur les bas salaires. Elle permet aux employeurs de bénéficier d'une réduction des cotisations patronales allant jusqu'à 60% pour les salaires brut ne dépassant pas 1,3 fois le SMG (soit 214 541 francs en mars 2023).

Cette exonération est portée à 75% pour les entreprises comptant moins de 10 salariés, dont le siège social se trouve en Nouvelle-Calédonie et dont l'activité s'exerce principalement hors de Nouméa, Mont-Dore, Dumbéa et Païta. Sur l'ensemble du territoire, 30 000 salariés sont concernés par cette RBS.

Une réforme progressive

La proposition actuelle prévoit une mise en place progressive du nouveau taux de cotisation pour les travailleurs indépendants. L'adoption se déroulerait sur trois ans de la manière suivante :

  • 2023 : passage au taux allant de 7 à 9,5%, en fonction du taux actuel
  • 2024 : passage au taux de 11,5%
  • 2025 : passage au taux de 13,5%

La CRDSC

Autre volet de la réforme du Ruamm, la création d'un nouvel impôt nommé "Contribution au remboursement de la dette de la santé calédonienne". D'après le texte déposé sur le bureau du congrès, la CRDSC doit avoir l'assiette "la plus large possible [...] avec des taux très faibles".

La taxe devrait concerner les revenus du capital, les revenus d'activité pour les salariés et les travailleurs indépendants, mais aussi les revenus de remplacement et de solidarité. Les taux oscilleront entre 0,15% et 0,6%. D'après les calculs de l'Eveil océanien, la CRDSC devrait rapporter 1,6 milliard au total.

  •  Financer un nouvel emprunt

Le texte déposé sur le bureau du congrès est clair : il s'agit de "créer une recette qui viendra rembourser le prêt de 25 milliards de francs nécessaire au remboursement de la dette du Ruamm, sur 25 ans avec un taux de 4%".

Cet emprunt serait contracté "par un établissement public créé à cet effet : l'agence pour le remboursement de la dette de la santé calédonienne", l'ARDSC.

Quel impact ?

Si l'Eveil océanien insiste sur la nécessité de cette réforme, évoquant un "plan de sauvetage du Ruamm", le projet ne fait pour le moment pas l'unanimité. À l'initiative du collectif "Agissons solidaires", plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues de Nouméa pour réclamer le retrait des textes.

Les opposants estiment notamment que la réforme nuira aux entreprises et aux travailleurs indépendants.

  •  L'étude du cabinet DME

Sollicité pour évaluer l'impact des mesures proposées, le cabinet DME souligne les points forts et les points faibles de la proposition. Si le cabinet salue notamment une meilleure couverture des travailleurs indépendants et la réduction des besoins de financement du RUAMM, certaines conséquences négatives sont également évoquées.

DME estime que la valeur ajoutée, autrement dit la valeur de production réalisée au sein des entreprises calédoniennes, diminuera de quatre milliards de francs. Les experts anticipent également une baisse de la consommation de l'ordre de 3,6 milliards, ainsi que la mise en danger de 300 emplois, considérés comme "menacés".

Il faut cependant souligner que le cabinet table, dans son étude, sur la suppression de la Réduction sur les Bas Salaires et des secteurs aidés. À l'heure actuelle, l'Eveil océanien affirme qu'il ne s'agit pas de "supprimer" mais "moderniser" ces deux types d'exonérations.

Autre élément à prendre en compte : les évolutions que laisse envisager la mise en place d'une commission spéciale au congrès. Certains points de la réforme pourraient ainsi être modifiés. La commission a jusqu'au 31 décembre pour apporter "des réponses concrètes et soutenables".

Pour tout comprendre sur le Ruamm et sa réforme, NC la 1ère vous propose une série de quatre décryptages.

Retrouvez le premier : comment fonctionne l'assurance maladie calédonienne?