Face aux actes de braconnage, le désarroi des éleveurs calédoniens

Reportage sur le braconnage, fléau des élevages calédoniens ©nouvellecaledonie
C’est un fléau qui touche le monde de l’élevage calédonien : les braconnages réguliers et les vols de bétail sur les propriétés. Un phénomène qui n’est pas nouveau, mais qui est en recrudescence ces derniers mois.

Le 2 mai dernier, une nouvelle fois, l'élevage Ballande de Karikaté était victime d'un braconnage. Cette fois, le tireur n'a pa emporté de bétail, mais touché un jeune cheval, mortellement blessé. Des faits qu'Anthony Rondeau, le responsable de l'exploitation, dénonce à chaque fois sur les réseaux sociaux, comme ce 27 mars, où un taureau de grande valeur a été tué et en partie dépecé sur place.

"En général, quand on retrouve le bétail, il y a les cuisses, les épaules arrachées. Des fois, comme dernièrement avec un cheval, on le retrouve même entier. Donc en gros, il ne sert même pas à se nourrir, c'est choquant et désolant", lance Anthony Rondeau.

Au total, 800 bêtes paissent sur cette propriété de 2 200 hectares. En deux ans, 10 cas de braconnages avérés ont été recensés sans compter les animaux manquants : 170 depuis 2016. "Tout ça a un coût très important. Un animal, ça commence à 130 000, ça peut monter jusqu'à 230 000 et pour certains taureaux de renouvellement, on peut monter à 800 000 francs. C'est énorme, surtout dans le monde de l'élevage", estime Anthony Rondeau.

"Tout ça a un coût important. Pour certains taureaux de renouvellement, ça peut monter jusqu'à 800 000 francs."

Anthony Rondeau, directeur d'exploitation chez Agrical-Elevages Ballande

Risque de balle perdue

Sans compter le risque pour les familles qui vivent sur place. "La nuit on entend parfois des coups de feu. On sait jamais quand ils vont venir, tirer... on peut prendre une balle perdue, c'est le risque", raconte Lionel Tein-Wayo, ouvrier agricole, qui pourtant n'hésite pas à se rendre sur les lieux : "Quand on entend, on part mais la plupart du temps, les braconniers sont déjà partis, ils sont très organisés."

Selon la gendarmerie, ces faits, qui alimentent le sentiment d'insécurité sur ces propriétés isolées et ont provoqué par le passé de vastes mouvements de colère devant les brigades de Brousse,  seraient en augmentation ces derniers mois. 

La nuit on entend parfois des coups de feu. On sait jamais quand ils vont venir, tirer... On peut prendre une balle perdue, c'est le risque.

Lionel Tein-Wayo, ouvrier agricole

Pour relancer la coopération entre éleveurs et gendarmes, la chambre d’agriculture (CAP-NC) organisait jeudi une une réunion sur son site de Bourail. Son vice-président, Rudy Devillers, a lui même été victime de braconnage sur sa propriété de Koumac : "Il y a environ 7 mois, je me suis fait tuer une vache gestante, qui devait vêler. Il restait juste la tête, la panse et le veau qu'elle avait dans le ventre. Derrière, on voudrait qu'il y ait des actions, que les auteurs de ces actes soient punis. Moi personnellement en tout cas, ils ont pas été punis. On espère vraiment pouvoir mener des actions en commun, il y a eu une confiance perdue entre les éleveurs et les gendarmes. Nous, on demande à travailler avec eux, mais il faut qu'ils nous écoutent."

L'interview de Rudy Devillers en vidéo : 

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Derrière, on voudrait qu'il y ait des actions, que les auteurs de ces actes soient punis. Moi personnellement en tout cas, ils n'ont pas été punis.

Rudy Devillers, éleveur à Koumac, vice-président de la CAP-NC

Relancer le dispositif "référent éleveurs" dans les gendarmeries

De son côté, le commandant de la gendarmerie, le général Nicolas Matthéos "insiste auprès des éleveurs pour qu'ils portent systématiquement plainte. Car nous avons besoin des plaintes, d'abord pour lancer l'action publique sous le contrôle du procureur, c'est-à-dire mener les enquêtes et interpeller les auteurs, et puis nous avons absolument besoin de renseignement sur ce qui se passe dans les zones de pâturage car les éleveurs peuvent nous donner des indices pour mieux organiser la surveillance de leur territoire."

La gendarmerie entend également relancer le dispostif de "référent éleveur", qui là où il existe semble donner satisfaction.

A Boulouparis, tous les 15 jours au moins, l'adjudant-chef Sébastien Perdrix va à la rencontre des éleveurs. Ce jour-là, direction Bouraké, où vit Karl-Heinz Creugnet : "Récemment, on m'a parlé de problèmes sur la Haute-Ouaménie, donc ça tombe bien que les gendarmes soient là, comme ça ils vont pouvoir aller planquer, raconte l'éleveur, qui regrette que le problème du braconnage soit parfois pris à la légère : "il y a des gens qui disent, c'est que de la chasse, mais quand ils trouvent pas de cerf, ils repartent avec un veau, nous c'est notre gagne-pain, c'est pour ça qu'on est sur les dents."

Quand ils trouvent pas de cerf, ils repartent avec un veau. Nous c'est notre gagne-pain, c'est pour ça qu'on est sur les dents."

Karlheinz Creugnet, éleveur à Bouraké

Pour les forces de l'ordre, la priorité est d'éviter l'escalade : "On veut à tout prix éviter les drames que l'on a connu par le passé, c'est pour ça que l'on déconseille aux éleveurs de se rendre sur place, surtout armés. Le réflexe, ça doit être d'appeler le 17." 

Récemment, la coopération entre éleveurs et gendarmes a permis d'interpeller 4 personnes à Boulouparis. Leurs armes ont été saisies et elles comparaîtront bientôt devant la justice. Mais la majorité des faits reste encore bien souvent non-élucidée.