Le 12ème Festival des Arts du Pacifique débute ce dimanche à Guam, dans l’archipel des Mariannes. Plus de 2500 artistes de 27 pays convergent sur l’île micronésienne, qui accueille la manifestation pour la 1ère fois. Le festival met à l’honneur la culture indigène des Chamorros.
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Il y a 4500 ans: les Mariannes, 1ères îles peuplées dans le Pacifique... Entendons: les premières îles de haute mer. Guam et les 14 îles du Commonwealth des Mariannes du Nord forment un même archipel - celui des Mariannes. Les deux entités sont des territoires organisés, non incorporés des États-Unis. « Les premiers hommes qui ont peuplé les Mariannes sont venus d’Asie du sud-est, et on a des preuves archéologiques fiables qu’ils s‘étaient déjà installés dans l’archipel en 1784 avant J.C. Mais d’après l’archéologue Paul Rainbird, de l’université du pays de Galles, les premiers hommes seraient arrivés dans les Mariannes aux environs de 2500 avant J-C., explique l’historien américain Lawrence Cunningham, installé à Guam depuis plus de 40 ans. Pour vous donner un
élément de comparaison, le peuplement des Tonga, par exemple, a commencé vers 1100 avant J-C., soit 1400 ans après les Mariannes.»
L'héritage asiatique
Comme toujours, la langue est le révélateur de l’histoire des premiers habitants des Mariannes. À l’instar de toutes les langues du Pacifique, il s’agit d’un idiome de souche austronésienne dont le foyer d’origine est Taïwan et la côte chinoise en face de Taïwan. « La grammaire chamorro est similaire à celle des langues du nord des Philippines. Quant au vocabulaire, il ressemble plus à celui de la langue des Célèbes, en Indonésie. La langue porte les traces de plusieurs vagues de migrations », selon Lawrence Cunningham. Le festival des Arts du Pacifique célèbre ces liens millénaires avec Taïwan. Une délégation taïwanaise est toujours invitée. « Les indigènes de Taïwan et les Chamorros peuvent communiquer entre eux, ils ont beaucoup de mots en commun », explique l’historien guaméen.
Les origines asiatiques des Chamorros se retrouvaient aussi dans leurs assiettes. « Les Chamorros sont les seuls insulaires du Pacifique qui cultivaient le riz, souligne Robert Underwood, le président de l’université de Guam, qui est lui-même Chamorro. Mais le riz était une nourriture réservée aux cérémonies rituelles, les Chamorros se nourrissaient avant tout de fruits de l’arbre à pain et de tubercules comme le taro ».
Le récit des origines : Puntan et Fu’una
Selon la culture Chamorro, la Terre fut créée par un frère, Puntan, et sa soeur, Fu’una. Elle détacha une à une les parties du corps de son frère pour façonner le monde. « Un des yeux de Puntan servit à créer le soleil, l’autre la lune. Fu’una transforma les sourcils de son frère en arcs en ciel, et son dos forma la Terre », raconte Anne Perez Hattori, historienne à l’université de Guam. « Puis Fu’una se jeta dans la Terre et créa le rocher de Fouha. Les premiers humains émergèrent de ce rocher. »
Une société matriarcale
Le récit originel Chamorro, fondé sur un partenariat entre un frère et une soeur, montre clairement, « que les hommes et les femmes étaient respectés de la même manière, comme des membres influents de la société », explique Anne Perez Hattori. Quand elles se mariaient, les femmes Chamorro emménageaient chez leur mari, mais malgré cela, la société reposait sur un système matriarcal. « Les Chamorro recevaient leur nom du clan de leur mère. Et quand les jeunes gens atteignaient l’âge de la liberté, ils déménageaient sur les terres de leur oncle maternel », précise Lawrence Cunnigham. Les femmes pouvaient divorcer quand bon leur semblait. « Dans ce cas l’épouse quittait la propriété de son mari, et elle avait même le droit de mettre le feu à la maison si elle le voulait », poursuit
l'historien.
Ayant traversé 4 siècles d’occupation successivement espagnole, américaine, japonaise et de nouveau américaine, la société Chamorro d’aujourd’hui n’est plus celle des temps anciens, mais les femmes occupent toujours une place important. Environ un tiers des membres de l’assemblée législative locale de Guam sont des femmes. Et elles jouent un rôle charnière au sein de l’église catholique sur l’île, où elles dirigent les prières. En Chamorro, ces femmes sont appelées « techa ».
Les pierres « latte », un mystère archéologique
Les pierres « latte » sont des piliers et des chapiteaux qui supportaient les maisons des indigènes des Mariannes. La hauteur des piliers variait de 60 centimètres à plus de 3 mètres. D’après Robert Underwood, les Chamorros ont commencé à construire des maisons supportées par des « latte » il y a 1500 ans, mais uniquement pour la caste supérieure. « Ici dans les Mariannes, il n’y avait pas d’animaux de trait, les Chamorros ne disposaient que de la force de leurs bras. Donc comment ont-ils fait pour transporter ces piliers, et pour les ériger? Cela fait l’objet de beaucoup de spéculations », ajoute le président de l’université de Guam.
Guam, la première île colonisée
Ferdinand de Magellan fut le premier Européen à visiter Guam, en 1521, alors qu’il effectuait son tour du monde, soit 248 ans avant l’arrivée du capitaine Cook à Tahiti. L’explorateur portugais ne resta que trois jours sur l’île puis continua sa route vers Manille, aux Philippines. « La colonisation du Pacifique commença à Guam », affirme Robert Underwood. Dès 1668, les Espagnols installèrent leur première mission religieuse permanente sur Guam, défendue par une garnison. La culture Chamorro a été profondément marquée par l’arrivée des Espagnols. La langue indigène s’est alors largement métissée, intégrant beaucoup de mots hispaniques. On n’est pas certain de l’étymologie du mot « chamorro » lui-même. En langue indigène il désigne la plus haute caste. Mais en espagnol, le mot signifie : « chauve, rasé ».
L'héritage mexicain
Entre 1565 et 1850, Guam devint une étape de ravitaillement pour les galions espagnols qui traversaient le Pacifique. « Les bateaux transportaient principalement des épices et de la soie, mais aussi de l’or et des bijoux, depuis les Philippines, jusqu’au port d’Acapulco. Et ils rapportaient de l’argent du Mexique », décrit Lawrence Cunningham. En raison de ce commerce transpacifique, des indigènes du Mexique s’installèrent à Guam. Les études de généalogie génétique confirment la présence d’ADN amérindien chez les Chamorros. Les Mexicains introduisirent le maïs sur l’île micronésienne. Encore aujourd’hui, les « titiya » constituent l’un des plats favoris des Chamorros – c’est la version locale des tortillas mexicaines.
Une île hautement stratégique
« De toutes les îles qui parsèment le Pacifique entre Hawaï et les Philippines , Guam est la plus grande, et la seule qui possède un port naturellement profond », explique Robert Underwood. Voilà pourquoi Guam a toujours été un enjeu stratégique pour les grandes puissances navales. » Guam a d'ailleurs été bombardée par les Japonais le même jour que Pearl Harbor, puis occupée par les forces nippones jusqu'à la libération de l'île par les Américains en 1944. Aujourd’hui, Guam est un atout majeur dans la stratégie du Pentagone, idéalement située à portée de missile de la Chine, de la Russie et de la Corée du Nord. Les États-Unis organisent le transfert de 5000 marines depuis Okinawa sur Guam, désormais surnommée « le porte-avion permanent du Pentagone dans le Pacifique ». Ce transfert crée des tensions avec une partie des Chamorros, qui pensent que la militarisation à grande échelle de l’île représente une menace pour leur culture et leurs sites anciens.
Déclin et Renaissance de la culture chamorro
Des pans entiers de la culture ancienne Chamorro ont été perdus à cause, entre autres, de la christianisation par les colons espagnols. Mais selon Robert Underwood, certains aspects de la spiritualité des Chamorros ont survécu: « Ici, nous croyons que nos ancêtres vivent dans la jungle. Et à chaque fois que les Chamorros vont dans la jungle, ils rendent hommages aux anciens. » En 1898, après la signature du traité de paix entre les États-Unis et l’Espagne, les Américains ont pris le contrôle de Guam. Ils ont aussitôt interdit aux Chamorros de parler leur langue. Dans les écoles publiques, les élèves qui parlaient en Chamorro étaient punis, et parfois même mis à l’amende. Cette politique s’est poursuivie même après la Seconde guerre mondiale. Environ 40% des 162 000 Guaméens sont indigènes, et pourtant 18% de la population seulement parle Chamorro couramment. « Aujourd’hui, les cours de chamorro sont obligatoires à l’école, mais l’expérience donne des résultats mitigés », constate Robert Underwood. L’universitaire a joué un rôle essentiel dans le mouvement de renaissance de la culture locale. Il a passé une bonne partie de sa carrière à enseigner le Chamorro. Et sous son impulsion, l’université de Guam a créé un master de linguistique chamorro, il y a 4 ans. D’après l’universitaire, depuis 20 ou 30 ans, Guam vit une renaissance culturelle, que ce soit dans la vannerie, les tatouages, la navigation, etc. « Nous refusons de mourir, quoi qu’il arrive », martèle Robert Underwood. Pour cela, les indigènes de Guam s’inspirent de deux exemples: celui des Maoris de Nouvelle-Zélande, et des Polynésiens d’Hawaï. « Nous sommes très intéressés par le Festival des Arts du Pacifique, parce qu’il nous permet de renforcer ces liens », conclut-il.