“Quelques manques à réparer.” Ce sont les mots utilisés par Sébastien Lecornu, ce lundi 4 décembre, pour évoquer les deux baptêmes du jour. À Nouméa, sur la pointe de l’Artillerie, le quartier militaire s’appelle désormais “Bataillon mixte du Pacifique”. Et dans le même périmètre, un bâtiment des FANC, qui abrite le service de santé des armées, a été intitulé Acoma-Nerhon.
C’est vraiment une fierté que son nom soit mis à l’honneur et au travers de lui, de nombreux tirailleurs qui ont perdu leur vie. Il y a un peu un oubli du travail de tous ces hommes qui ont œuvré pour quelque chose de grand, pour la liberté.
Paul Nerhon, arrière-petit-fils d'Acoma
Formé à Do Neva
Beaucoup découvriront son nom et pourtant, il s’agit d’une personnalité kanak, à la fois militaire, religieuse, enseignante et coutumière. Cet enfant de Houaïlou était de la tribu de Nediouen, dans le district de Waraï. Né en 1888, il est décédé en 1969, à l’âge avancé de 81 ans. Acoma Nerhon est fait moniteur protestant à Do Neva. Soutenu par le pasteur Maurice Leenhardt, il va devenir l’aumônier des tirailleurs de la Grande terre. Le 4 juin 1916, l’homme embarque à bord du Gange en tant qu’engagé volontaire. Alors même que sa femme vient d’accoucher d’une petite fille. Le navire des Messageries maritimes conduit le premier contingent du bataillon des tirailleurs du Pacifique dans l’Hexagone.
Un précieux témoignage historique
Acoma y découvre le froid, le travail de soldat, les maladies liées au climat et à la guerre… En 1918, avec le bataillon mixte du Pacifique, il participe à la deuxième Bataille de la Marne. Ses écrits permettent d’appréhender les difficultés rencontrées lors du conflit par ces déracinés. Ils disent aussi la fierté que l’infirmier militaire éprouve envers ceux qui sont morts pour la Patrie. Ses récits racontant le quotidien des tirailleurs sont à l'époque imprimés en langue dans Virheri, le journal de la mission protestante qui permet de donner des nouvelles aux familles jusque dans les vallées de la Grande terre.
Distingué
En l'Hexagone, le jeune homme s'active pour faire évoluer la condition des engagés comme lui. "Les tirailleurs n’avaient pas un vrai statut de combattant", souligne l'historienne Sylvette Boubin-Boyer, spécialiste de cette période. "On les a trimballés un peu partout, pour faire des travaux sur les ports de la Côte d’Azur, les routes…" Ils sont même intervenus sur des inondations pour pallier l’absence de pompiers.
Or, Acoma Nerhon "est parti volontairement avec le désir d’aller à la guerre". Via le réseau protestant, il œuvre à faire passer le message. Après la fin des combats, il va également se démener pour obtenir le rapatriement des Calédoniens chez eux, au même titre que d’autres combattants hors Hexagone. Un retour qui se concrétise plus d'un an après la signature de l’armistice. Décoré de la Croix de guerre 1914-1918 et de la croix du Combattant, fait chevalier de la Légion d'honneur, Acoma Nerhon va aussi beaucoup servir après son retour.
Porte-voix
"C’est un homme qui avait une histoire avant de partir et il faisait partie d’une famille où on prenait ses responsabilités. De retour en Nouvelle-Calédonie, il a repris son travail et il a été extrêmement efficace dans la façon de continuer le combat", relate Sylvette Boubin-Boyer. Pendant la guerre, les tirailleurs kanak accèdent en effet à des droits que le régime de l'indigénat ne leur garantit pas chez eux. "Acoma Nerhon a beaucoup travaillé sur cette reprise de liberté des hommes." Il a participé à la fondation de l'AICLF, l'Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français.
"Le passage entre deux mondes"
Gilbert Assawa, chef de la tribu de Bâ, dans le même district de Waraï, se souvient de lui à plusieurs titres. "Dès qu’on était à l’école, il y avait ces personnages âgés, des gens qui étaient remarquables, mais aussi très calmes, très pondérés. Le vieux Acoma, je l’ai connu comme ça, comme chef de tribu." Avant de découvrir bien plus tard la portée de ses écrits. "Il était enseignant, il était nata [évangéliste] puisque c’était un homme de foi mais c’était surtout un interprète. Il maîtrisait le français, il maîtrisait l’écriture, c’était un homme d’un rang social assez élevé… Donc il maîtrisait les deux mondes, c’était le passage idéal pour communiquer entre deux mondes."
Voyez aussi le reportage de Natacha Lassauce-Cognard, Cédric Michaut et Claude Lindor
Acoma Nerhon représente un parcours exemplaire. Son abnégation vers sa patrie, son engagement citoyen notable, sa volonté déterminante d’accompagner le changement ainsi que son sens aigu des responsabilités sont des valeurs qui nous inspirent tous.
Hommage des FANC durant la cérémonie