En Calédonie, le feu n’est pas accidentel. Selon l'Observatoire de l'environnement, derrière 90% des incendies, il y a la main de l’homme. Parfois de manière volontaire mais le plus souvent par maladresse ou imprudence. Pourtant, la maîtrise du feu est ancrée culturellement et les vieux utilisaient l'écobuage et le brûlis depuis la nuit des temps pour réguler leur environnement.
Des clans du feu
"En région Hoot ma Whaap, par exemple, des techniques ancestrales de gestion du feu étaient confiées à des clans, explique l’anthropologue Bealo Gogny, chargé de mission au patrimoine culturel à la direction de la culture du gouvernement. Il existait plusieurs types de feu. Ceux faits dans les champs, qui pouvaient se propager, ceux que l'on appelle vulgairement les feux de brousse, mais il y avait des saisons où les chefferies faisaient appel à la connaissance de ces familles pour mettre le feu volontairement."
Pas simplement pour préparer des terres à de futures cultures mais pour une raison bien plus intéressante et surprenante : la régulation thermique entre la forêt sèche et la forêt humide. Une technique qui permettait de réguler la température dans ces zones mais également, selon le spécialiste, qui se base sur les traditions orales, pour préserver les sources d'eau.
"Quand ils observaient qu'une source tarissait, ils parvenaient à la faire renaître en utilisant cette méthode"
Béalo Gogny, anthropologue
La technique se base sur le feu et l'abattage d'arbres. "Entre la forêt humide, la forêt sèche et les plaines pour cultiver, il y a une différence de température, c'est intéressant de voir comment les gens de l'époque ont observé ce phénomène. Ils mettaient à nu une zone entre forêt humide et forêt sèche. Cela avait une influence sur la température et aussi sur les sources d'eau."
Utiliser du feu pour gérer l'eau cela peut paraître contre intuitif et pourtant, "quand ils observaient qu'une source tarissait, ils parvenaient à la faire renaître en utilisant cette méthode", affirme Béalo Gogny.
Une maîtrise qui se perd
À certaines périodes, "aux alentours d'octobre, il y a encore soixante-dix ou quatre-vingts ans, les vieux mettaient le feu aux lignes de crête, dans les savanes à niaoulis. Ils le faisaient par paire et de manière contrôlée avec un feu et un contre-feu. C'était pour cultiver les ignames dans les hauteurs. Cela permettait de mettre des champs en jachère. Le feu permettait de faire repousser certaines plantes et d'enrichir la terre."
Les dépositaires de ces savoirs utilisaient ces méthodes sur des périmètres parfois étendus mais toujours bien contrôlés et maîtrisés. Une maîtrise qui s’est quelque peu perdue, dissoute dans l’évolution et les réglementations.
"Aujourd'hui, les gens mettent moins le feu parce que le code de l'environnement explique que c'est dangereux. Mais par conséquent, il y a beaucoup de pratiques et de savoirs culturels qui se perdent."
Béalo Gogny
"Aujourd'hui les gens mettent moins le feu parce que le code de l'environnement explique que c'est dangereux. Mais par conséquent, il y a beaucoup de pratiques et de savoirs culturels qui se perdent", déplore le spécialiste.
Les pratiques évoluent et le regard sur l’écobuage change. Cette façon de faire, transmise de génération en génération, ne se basait pas autrefois sur les mêmes systèmes de production qu'aujourd'hui.
Importance sacrée
Guillaume Vama, agriculteur de l’île des Pins et spécialiste en agroforesterie, reconnaît la valeur du travail des anciens, mais selon lui, il est temps de changer de méthode. "Il y avait une approche maîtrisée, confirme-t-il lui aussi. Le feu permettait de réduire la matière au centre du champ et d'ajouter de la cendre pour apporter du potassium, c'était réfléchi. Il y avait une observation à l'ancienne et une importance sacrée du feu."
Le jeune Kunié anime régulièrement des formations au cours desquelles il sensibilise les agriculteurs à l’intérêt de limiter au maximum l’utilisation du feu. "Ce que j'explique aux gens c'est que le feu dans un champ détruit la vie du sol. Il faut changer complètement de méthode. Les anciens avaient une relation à la terre, au sacré, sur laquelle ils travaillaient pour avoir un rapport respectueux à l'environnement."
"Quand vous râtissez des feuilles sous les arbres, les mettez en tas, la vie sous ces tas, les champignons, l'humus commencent à se créer, le feu détruit toute cette vie."
Guillaume Vama, spécialiste en agroforesterie
Guillaume Vama se base sur des observations quotidiennes qu'il partage avec les agriculteurs. "Quand vous ratissez des feuilles sous les arbres, les mettez en tas, la vie sous ces tas, les champignons, l'humus commencent à se créer, le feu détruit toute cette vie. En observant ça, les agriculteurs remarquent eux-mêmes que leur culture change, ils prennent conscience et osent entreprendre leur activité agricole autrement."
Nouvelles réalités
Laisser la matière au sol après débroussage et l'utiliser en paillage plutôt que la brûler n'aurait que des avantages, selon l'agriculteur : créer de l'humidité, préserver les terres et ainsi éviter d'avoir à déplacer régulièrement ses champs.
Si l'usage du feu fait donc partie intégrante de la culture calédonienne, héritage sacré des anciens, son utilisation doit aujourd’hui relever un nouveau défi et s’adapter à de nouvelles réalités. Et surtout, son usage doit être maîtrisé. Pour préserver notre environnement. Tout comme le faisaient les vieux.