"Ça fait mal au cœur de voir que tout ça va disparaître", déplore Monique Tautia en disposant sa dernière livraison de mensuels dans les rayons de la maison de la presse où elle travaille au Pirae, sur l'île de Tahiti. Âgée de 62 ans, elle a passé quatre décennies à ranger des magazines sans jamais les lire. "Je ne regarde que les titres et je vois passer les modes : par exemple les magazines d'histoire, on n'en avait presque pas il y a quarante ans".
Bientôt, il n'y aura presque plus de magazines du tout. Unique distributeur de la collectivité, Hachette Pacifique a annoncé par une simple note aux buralistes qu'il arrêterait de livrer la presse nationale et internationale au-delà du 31 décembre. La filiale du géant français de l'édition avait sollicité une aide financière auprès du Haut-commissariat de France en Polynésie, arguant d'un service "largement déficitaire".
Un seul quotidien
La crise de la distribution n'est pas neuve dans l'immense territoire du Pacifique qui s'étend sur une surface comparable à celle de l'Union européenne. Dès 2020, en pleine pandémie de Covid-19, les quotidiens avaient cessé d'être livrés. En octobre 2024, la distribution par avion des hebdomadaires et des mensuels avait également cessé mais ils continuaient d'être livrés par bateau, avec plus d'un mois de retard sur l'Hexagone. Le gouvernement local, de son côté, ne s'émeut pas de cette raréfaction de l'offre, affirmant que la collectivité "n'a pas à se substituer aux acteurs privés".
Dans les tabacs presse tahitiens, les quelque 600 titres encore en vente disparaîtront donc dès le 1er janvier. Ne subsisteront que quelques magazines locaux et l'unique quotidien de Polynésie, Tahiti Info.
Une distribution alternative via la Nouvelle-Calédonie ?
Directeur du géant de la distribution de presse France Messagerie, qui expédie chaque jour 700 000 journaux et magazines en France et en Outre-mer, Eric Matton indique étudier avec son concurrent les Messageries lyonnaises de presse "la possibilité d'organiser une distribution alternative via la Nouvelle-Calédonie". Mais la distribution a elle-même été très affectée par les émeutes qui ont éclaté en mai sur le Caillou, laissant planer le doute sur ce projet.
Laurent Martinez, le patron de Monique Tautia, s'inquiète de ne bientôt plus pouvoir conserver son employée dans la petite entreprise familiale qui porte le prénom de sa mère, Kina. "La presse, c'est 20% de mon chiffre d'affaires, mais c'est aussi un produit d'appel pour des clients réguliers qui viennent pour un magazine puis achètent autre chose", explique-t-il. Et il conserve encore un mince espoir : l'impression des titres nationaux par un imprimeur local.