C’est un scandale fiscal qui risque de provoquer la consternation chez les décideurs publics. D’après les informations de NC la 1ère, le parquet de Nouméa a ouvert dans le plus grand secret une enquête, l’année dernière, pour fraude fiscale et faux et usage de faux visant le directeur territorial de la zone Pacifique de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Implantée dans l'Hexagone et dans le Pacifique, cette institution financière publique au statut juridique spécifique (elle est indépendante et sous la surveillance du Parlement français) est considérée comme le « bras financier » de l’Etat. Elle joue le rôle à la fois d’investisseur, de prêteur, de banquier et de conseil pour les collectivités et établissements publics calédoniens. Ses quatre grandes priorités : le logement, les entreprises, les universités et le développement durable. Au pays, la Caisse des dépôts (via l’un de ses pôles, la Banque des territoires) a collaboré avec, à titre d'exemples, l’Agence calédonienne de l’énergie, la Sem Agglo, la Secal, le Néobus ou encore le Médipôle.
Sauf qu’une affaire sulfureuse vient ternir l’image de cette puissante institution financière.
Une fausse attestation au fisc
Nommé en janvier 2017 sur le Caillou, son directeur territorial est aujourd’hui soupçonné de ne pas avoir payé ses impôts, ni même déclaré ses revenus auprès de la direction des services fiscaux de Nouvelle-Calédonie pendant plusieurs années. Une information confirmée par le parquet de Nouméa.
Dans cette affaire, pas de montages offshore complexes avec des comptes cachés et des hommes de paille : le responsable local de la CDC se serait contenté de ne rien faire, de ne rien déclarer et donc, de ne rien payer au fisc. Pour échapper à ses obligations fiscales, cet homme de 60 ans aurait menti aux services fiscaux calédoniens en leur adressant une fausse déclaration de résidence fiscale au Vanuatu en mars 2018 – via une attestation de Visa trafiquée -, un pays voisin que la France a récemment placé dans la liste noire des pays qu’elle considère comme des paradis fiscaux.
Des revenus de l’ordre de 20 millions de francs par an
Le directeur territorial de la CDC se serait ainsi volontairement et frauduleusement soustrait à l’établissement et au paiement de l’impôt sur le revenu au titre des années 2018 et 2019.
Institution publique, la Caisse des dépôts et consignations emploie à la fois des fonctionnaires et du personnel de droit privé. C’était le cas du directeur qui a omis de déclarer ses revenus estimés à environ 20 millions de francs par an. Le total des droits éludés est encore en cours d’estimation.
Les soupçons seraient revenus aux oreilles du parquet de Nouméa sur dénonciation de son employeur qui a informé également les services du haut-commissariat de cette situation particulièrement délicate. Le directeur a alors été placé en garde à vue le 7 juin 2022 dans les locaux de la Section de recherches de la gendarmerie situés dans la caserne Meunier, à Nouméa.
Ces enquêteurs spécialisés, souvent chargés des investigations les plus sensibles, ont questionné des heures durant le suspect qui a répondu aux questions en présence de son avocat, Me Martin Calmet. Un second interrogatoire – cette fois-ci sous le régime de l'audition libre et sans contrainte – s’est tenu à la fin mai 2023.
D'abord suspendu, licencié ensuite
Pour matérialiser ces manœuvres frauduleuses présumées, les gendarmes de la section de recherches ont également procédé à une perquisition du domicile de l’intéressé. Les bureaux de la CDC, dans le quartier de l’Artillerie, à Nouméa, ont également fait l’objet d’une visite des gendarmes qui sont repartis avec des dossiers et divers supports informatiques.
D’abord suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, le directeur vient d’être remercié de la CDC à l’issue d’une procédure de licenciement qui a duré plusieurs mois. Une décision que ne digère pas le responsable qui vient de déposer un recours devant le tribunal administratif.
Interrogé par la rédaction, Hervé Tonnaire, directeur aux Outre-mer et directeur régional Pacifique de la Banque des territoires (CDC), a refusé d'évoquer ce dossier, déclarant que « le principe de secret et de discrétion professionnelle auquel je suis soumis m’interdit tout commentaire ». Avant d’affirmer que « l’établissement public que j’ai l’honneur de servir a, depuis plus de deux siècles, mis le droit au cœur de ses missions et de sa gouvernance et a une politique des ressources humaines guidée par la double exigence de respect et de considération de ses collaborateurs comme de respect du corpus légal et réglementaire encadrant leur gestion ».
Des revenus locatifs dissimulés
Plus problématique encore, l’ancien responsable local de la Caisse des dépôts et consignations n’aurait pas uniquement échappé à l’impôt sur le revenu. Toujours selon nos informations, les enquêteurs le suspectent de ne pas avoir déclaré en Nouvelle-Calédonie divers revenus locatifs perçus pendant plusieurs années. Propriétaire de biens aux Etats-Unis, à Bali et en France, il aurait ainsi dissimulé une importante somme d’argent au fisc calédonien.
Ce dossier particulièrement sensible est toujours entre les mains du parquet de Nouméa. « Je vous confirme qu’une enquête a été ouverte, nous a précisé le procureur de la République Yves Dupas. Elle a été menée avec toute la rigueur nécessaire au vu des agissements délictueux graves reprochés à l’auteur présumé, exerçant les fonctions de directeur territorial de la Caisse des dépôts et consignations et compte tenu du préjudice subi par la collectivité et le territoire, en termes de manque à gagner pour la collecte des recettes. Le parquet décidera dans les prochaines semaines de l’orientation de la procédure et du choix du mode de poursuites. »
Sollicité, Me Martin Calmet, le conseil du directeur territorial de la zone Pacifique de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), n’a pas souhaité apporter de commentaire.