La pauvreté gagne du terrain en Calédonie. Selon l'Isee, 51 000 Calédoniens (19% de la population) vivaient sous le seuil de pauvreté en 2020, c'est-à-dire avec moins de 87 950 francs CFP par mois. En 2018, l'association Accueil, qui accompagne les personnes en situation d'exclusion sur la voie de la réinsertion, recensait environ 500 personnes sans abri à Nouméa. Un chiffre qui a bondi de 20% en 2022. 600 SDF erreraient donc dans les rues de la capitale, 700 si l'on comptabilise l'ensemble de l'agglomération du Grand Nouméa. L'association constate une augmentation de 62% des personnes prises en charge sur les dix dernières années.
Interpeller les institutions
Cette paupérisation a conduit le Conseil économique, social et environnemental (Cese) à émettre un vœu afin d'évaluer avec précision la situation, ainsi que ses causes et ses conséquences. Cette autosaisine portant sur la situation des personnes marginalisées a été adoptée à l'unanimité des membres du conseil le vendredi 3 mai. Son but : interpeller les institutions sur la situation préoccupante des SDF et sur la nécessité de prendre en charge cette problématique. Il y a urgence selon le Cese.
"Un regard global à l'échelle du pays"
"C'est une question qui doit relever d'une politique publique à l'échelle du pays. Si la problématique est traitée à l'échelle de la Nouvelle-Calédonie, elle sera mieux considérée, estime André Forrest, membre du Cese. Avoir un regard global sur la situation des Îles et de la Grande Terre permettra de mettre en place des structures coordonnées."
J'ai l'impression qu'on ferme un peu les yeux et qu'on banalise, alors que la réalité est là. Elle n'est pas seulement sur Nouméa, mais de plus en plus sur l'ensemble du territoire.
Pierre Boiguivie, président de la commission santé et protection sociale.
"C'est une problématique qui touche à l'aspect social de la Nouvelle-Calédonie, ajoute Pierre Boiguivie, président de la commission santé et protection sociale. J'ai l'impression qu'on ferme un peu les yeux et qu'on banalise, alors que la réalité est là. Elle n'est pas seulement sur Nouméa, mais de plus en plus sur l'ensemble du territoire."
Les jeunes en difficulté sont de plus en plus nombreux à connaître la rue : 13 % des SDF ont moins de 25 ans. Des personnes pour qui la réinsertion est souvent un chemin difficile en raison de conduites addictives, mais aussi des problèmes de santé nécessitant un suivi spécifique.
Cri d'alarme
Corinne Quinty, rapporteure de la commission santé protection sociale lance un cri d'alarme à ce sujet : "les trois quarts de ces jeunes en errance ont des problèmes psychiatriques, souvent dus à l'alcool et à la consommation excessive de cannabis. Si on les retrouve dans la rue, c'est parce qu'ils ne sont pas traités en amont."
Mais la pénurie de personnel soignant et de spécialistes constitue un obstacle pour que ces personnes marginales se réinsèrent dans la société. "Au CHS, il y a six postes vacants de psychiatres, poursuit Corinne Quinty. Et même une fois sortis du CHS, ces personnes doivent se prendre en charge, mais quand elles ne sont pas suivies, elles ne prennent plus leur traitement et souvent leur famille les rejette."
Souvent, ces gens s'installent dans la rue parce qu'ils ont honte de retourner chez eux, honte de leur corps.
Corinne Quinty, rapporteure de la commission santé protection sociale.
Un manque de moyens qui pèse particulièrement sur une population qui se retrouve souvent à la rue en raison de problèmes familiaux, ou de violences, notamment sexuelles. "Souvent, ces gens s'installent dans la rue parce qu'ils ont honte de retourner chez eux, honte de leur corps", ajoute la rapporteure.
Voici les treize recommandations émises par le Cese
- Demander à l’Isee, à la Dass et l’ASS-NC un recensement de la population sans abri sur l'ensemble du pays pour mettre en œuvre une politique publique adaptée.
- Prévoir un plan territorial de lutte contre l’exclusion pour identifier les causes de l’exclusion sociale et les acteurs concernés, déterminer les besoins des sans-abri en matière médico-sociale, définir les perspectives en matière de politique de l’emploi et de logement, développer la coordination entre les institutions et la société civile et évaluer les politiques publiques.
- Revenir à la gratuité de l'hébergement d'urgence en supprimant la participation financière des sans-abri et en augmenter les aides perçues.
- Prévoir davantage de places, particulièrement en province Sud, au sein des centres d’hébergement ainsi que des chambres individuelles et des places d’urgence, ainsi que la création d’un foyer pour les jeunes travailleurs.
- Coordonner les actions sociales entre les trois provinces.
- Généraliser le développement des CCAS.
- Impliquer davantage les institutions dans la lutte contre l’errance des mineurs.
- Inclure d’autres critères dans les enquêtes de l’Isee, notamment l’indice du bonheur.
- Envisager un partenariat avec le Sénat coutumier et les huit aires coutumières.
- Accompagner les SDF dans l'accès à un logement individuel.
- Rédiger une déclaration des droits des SDF propres au pays et la communiquer aux institutions, aux associations et à la population.
- Développer les dispositifs d’accompagnement administratif au sein des centres d’hébergement ainsi que les maraudes.
- Déployer des moyens et des dispositifs de sensibilisation et de prévention relatifs aux conduites addictives (alcool, cannabis, etc.) et psychiatriques.
Ce vœu du Cese a été transmis aux institutions et au haussariat.