En annonçant la réouverture du centre de rétention, il y a quatre ans, l'Australie et Nauru avaient promis que cela générerait des dizaines de millions de dollars de revenus, au « bénéfice de tous ». Ce sont en fait quelques unes des familles les plus puissantes de l'île qui en tirent profit.
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C'est sur un ancien site d'extraction de phosphate que le centre de rétention australien a été installé. 5,6 hectares pour lesquels l'Australie verse un loyer annuel de 480 000 dollars, selon des documents obtenus par ABC.
Une somme que se partagent 256 propriétaires, dont la mère du ministre de l'Environnement, Aaron Cook, qui touche 30 000 dollars par an. Plusieurs autres responsables politiques, de tous bords, ont des parents qui figurent sur cette liste. Parmi eux, David Adeang, le ministre de la Justice. En 2013, alors que l'accord était sur le point d'être signé, il s'était justifié auprès de ses collègues du gouvernement dans un courriel :
« Le site proposé pour le principal bâtiment du centre de rétention appartient en grande partie au clan Daimon, dont je suis membre. J'y ai clairement un intérêt - minime, parce que j'appartiens à la quatrième génération d'une grande famille… Mais il est important que notre groupe parlementaire sache que je n'ai joué aucun rôle dans le choix de ce site. »
Le gouvernement de Nauru ne possède que très peu de terres, ce sont des propriétaires coutumiers qui se partagent les terrains de l'île. Il était donc presque inévitable que ce contrat de location ne bénéficie pas à la population toute entière.
Sprent Dabwido, ancien président et actuel député de l'opposition, affirme toutefois que son gouvernement avait acquis un terrain en vue d'y héberger l'un des bâtiments du centre, avant de perdre le pouvoir, début 2013 :
« J'espérais que les Australiens construiraient sur la terre qui appartient au gouvernement de Nauru, comme ça chaque Nauruan en aurait profité au lieu de quelques propriétaires. Mais tout ça a changé. »
L'Australien Peter Law, ancien magistrat résident de Nauru, expulsé de l'île il y a deux ans, se souvient de cet épisode :
« Je savais que le gouvernement avait acheté un terrain, c'était très controversé, ça n'avait jamais été fait auparavant. Mais ça me semblait être un processus utile, mené de manière honnête et tout à fait appropriée. Ça aurait certainement bénéficié à Nauru et aux Nauruans de manière générale plutôt qu'à une poignée de personnes, ce qui semble être le cas actuellement. »
Ces quelques propriétaires coutumiers ne touchent pas seulement un loyer conséquent. Ils pourront, à terme, profiter des installations australiennes. Canberra a dépensé 10,5 millions de dollars pour développer le site. D'autres aménagements sont prévus - une enveloppe de 11,4 millions de dollars a été débloquée. Sprent Dabwido dénonce cette partie de l'accord :
« Ils construisent sur des terrains qui appartiennent à des gens et dès que le centre fermera - disons dans cinq ans ou peu importe - ces gens hériteront de biens qui valent 20 millions de dollars. Pas les Nauruans, pas le gouvernement nauruan. Pour moi, c'est presque un crime, parce qu'on est là pour développer Nauru, pas pour aider quelques familles. »
Et ce n'est pas tout. Il apparaît que plusieurs membres de la famille de David Adeang aient obtenu des postes importants dans le centre de rétention. L'un des cousins du ministre, Bervena Adeang, est ainsi directeur des opérations du camp, le poste de fonctionnaire le plus élevé.
Le processus de recrutement a d'ailleurs fait polémique dans l'île. Le problème principal, c'est le manque de transparence de toutes ces procédures, estime l'analyste politique Tess Newton Cain :
« Nauru est une toute petite île et les rapports qu'entretiennent les gens entre eux sont complexes. La réalité, c'est que vous allez faire affaire avec des gens que vous connaissez, et potentiellement avec des gens qui font partie de votre famille. Ça rejoint ce que l'on sait depuis longtemps : les contrats australiens sont octroyés de manière quelque peu mystérieuse. »
Précisons que Nauru ne compte que 10 000 habitants.