Nickel des profondeurs : une publication scientifique conteste la ruée sur les métaux des abysses

Nodules polymétalliques de nickel, manganèse et fer dans la zone exclusive maritime du Japon.
Si la France a renoncé à exploiter les grands fonds océaniques, de jeunes sociétés américaines, chinoises ou canadiennes envisagent de collecter, par 6 000 mètres de fond, des nodules polymétalliques, assemblages de métaux communs qui pourraient alimenter les besoins mondiaux en batteries. Avec de vraies craintes sur les écosystèmes océaniques d’une telle activité.

L'exploitation minière en eaux profondes pourrait poser des "risques significatifs pour les écosystèmes océaniques" et ses effets potentiellement "irréversibles" sur les cétacés doivent être évalués de manière urgente, estiment des chercheurs dans un article publié mardi.

Les perturbations engendrées pour ces animaux risquent d'être probablement "de longue durée et irréversibles", mettent en garde ces scientifiques issus de l'université britannique d'Exeter et d'un laboratoire de l'ONG Greenpeace, dans le journal Frontiers in Marine Science.

Les auteurs réclament des "recherches urgentes pour évaluer plus complètement l'impact potentiel de l'exploitation minière en eaux profondes sur les cétacés" tels que les baleines, les dauphins ou les marsouins.

Les fonds marins suscitent une convoitise de plus en plus grande car certains contiennent des métaux, notamment du manganèse, du cobalt ou du nickel, très demandés pour fabriquer les batteries des véhicules électriques.

L'exploitation minière en haute mer n'existe pas encore mais l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) pourrait cette année adopter un code minier lui ouvrant la voie. Les nodules polymétalliques mesurent de 1 à 15 centimètres de diamètre et reposent sur le fond océanique, dans la vase.

Toujours d’après l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), organisme intergouvernemental lié aux Nations unies, la seule zone de Clarion-Clipperton (4,5 millions de kilomètres carrés) compterait jusqu’à 34 milliards de tonnes de nodules avec, en leur sein, 340 millions de tonnes de nickel. Les ressources mondiales de nickel sur la terre ferme sont évaluées à 300 millions de tonnes.

Fin décembre 2022, la société The Metals Company (TMC), basée à Vancouver au Canada, a achevé une série de seize essais pilotes au milieu du Pacifique entre le Mexique et Hawaï, dans une zone des eaux internationales aussi vaste que le Canada appelée Clarion-Clipperton (CCZ). Cette zone est l'habitat d'au moins 25 espèces de cétacés, dont des dauphins et des cachalots.

Dans l'article, les chercheurs s'inquiètent particulièrement des pollutions sonores qui seraient produites "24 heures par jour et à diverses profondeurs" en cas de développement d'une telle industrie. 

"Le son produit par les opérations de minage, y compris par des véhicules télécommandés sur les fonds marins, se superpose aux fréquences auxquels les cétacés communiquent", soulignent les auteurs.

"Imaginez que votre lieu d'habitation soit soudainement perturbé par des travaux de construction qui se déroulent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7; votre vie changerait radicalement. Votre santé mentale serait affectée et votre quotidien bouleversé. Il en est de même pour les baleines ou les dauphins", a expliqué Kirsten Thompson, biologiste à l'université d'Exeter interrogée par l'AFP:

Cette perspective est d'autant plus problématique que les cétacés sont déjà confrontés à de nombreuses sources de stress, y compris liées au changement climatique, et que des espèces se remettent à peine d'avoir été chassées par l'homme.

La nouvelle industrie minière des profondeurs prétend néanmoins qu'elle contribuerait à protéger la planète en réduisant l'exploitation des mines terrestres. Dans une vidéo promotionnelle publiée sur son site, la compagnie canadienne TMC  utilise cet argument pour justifier son activité.

The Metals Company et l'exploitation des nodules polymétalliques ©The Metals Company

Une affirmation contestée: "cette industrie pourrait endommager les océans d'une manière que nous n'appréhendons pas complètement et au détriment d'espèces comme les baleines bleues qui font l'objet d'efforts de conservation depuis de nombreuses années", a jugé Louisa Casson, chargée de campagne à Greenpeace International, dans un communiqué.