PORTRAIT. Découvrez le destin peu commun de François Wadra, archéologue à l'écoute des traditions orales

Après avoir étudié en Papouasie-Nouvelle-Guinée et en Australie, l'archéologue François Wadra a fait l'inventaire des objets kanak dans les musées anglais, tout en soutenant une thèse à distance sur la collecte et la préservation du patrimoine, avec l'Université de La Rochelle.
François Wadra se présente comme le premier archéologue kanak. Originaire de Maré, ce passionné de sciences sociales a pris goût à la collecte des traditions orales en accompagnant, tout petit, son papa instituteur. Découvrez son portrait dans Destins peu communs.

"Toi, tu arrives à lire dans le paysage." Cette phrase, prononcée par un professeur d’archéologie de l’université de Papouasie-Nouvelle-Guinée, a changé la vie de François Wadra. Au point de l’encourager a abandonné ses études de journalisme pour embrasser une carrière d’archéologue. Cette rencontre est l'une des nombreuses qui ont jalonné la vie de l'archéologue et qui l’ont mené à être cet homme de 62 ans "qui gravit encore des montagnes", à la recherche de traces de ce qu’était la tradition kanak durant près de 3 000 ans. 

François Wadra naît sur la Grande Terre dans les années 60. Son père est enseignant à la tribu de Koindé, à La Foa. Quand le petit garçon a six ans, la famille retourne à Maré, d’où elle est originaire. Le père enseigne dans différentes tribus de l’île, mais c’est à Wakoné que François Wadra, fils unique, a le plus de souvenirs. "En classe de CE2, mon père devait enseigner la géographie de France. Comme il n’avait jamais mis les pieds en France, il préférait questionner les vieux. Je me souviens qu’on allait voir le petit chef d’une tribu, à Wakoné. J’avais sept ans, je commençais à m’endormir et mon père me réveillait pour écouter. Maintenant, quand je reviens à la tribu, je me souviens des noms des maisons, des histoires, des lieux. C’est grâce à mon père. D’ailleurs, j’ai retrouvé son cahier de collecte, il écrivait très bien. C’est émouvant, car il est parti, mais a laissé des traces que moi, en tant qu’archéologue, j’utilise encore aujourd’hui dans mes écrits."

Fouilles dans le Pacifique

Dans les années 1980, François Wadra a la vingtaine et le Front Indépendantiste se rapproche des pays mélanésiens. Il est le neveu de Nidoïsh Naisseline et côtoie Yann Céléné, qui voyage alors dans le Pacifique à la rencontre de ces pays fraîchement indépendants. "La Papouasie-Nouvelle-Guinée avait deux universités et Yann Céléné avait négocié pour avoir des bourses, se remémore François Wadra. Un premier lot est parti en 1980, moi, j’arrive en 1983. Notre niveau d’anglais était très bas. Il fallait donc faire une année pour l’améliorer, c’est à ce moment-là que j’ai rencontré mon mentor. Il faisait des fouilles le week-end, alors que nous, notre passe-temps, c’était le foot. C’est comme ça que j’ai arrêté le foot pour entrer dans les sciences sociales !" François Wadra découvre l’archéologie et l’anthropologie. Il étudie en Papouasie-Nouvelle-Guinée et à Canberra, en Australie, jusqu’à l’obtention de sa maîtrise. "Mon prof m’a dit : tu sais, quand tu vas rentrer, tu seras peut-être le premier archéologue kanak. C’était mon but et je suis content, car je suis celui que je voulais être."

Inventaire du patrimoine kanak en Angleterre

De retour sur le Caillou, après de longues années de fouilles dans la région Pacifique, François Wadra passe une validation des acquis pour que son diplôme papou soit reconnu en Nouvelle-Calédonie. Il devient ensuite le collecteur des traditions orales et du patrimoine matériel dans les Loyautés, pendant plus de dix ans, puis dans les deux autres provinces. En parallèle, il prépare une thèse sur la collecte et la préservation du patrimoine, qu’il passera en visioconférence, à l’université de La Rochelle. "Je ne vais pas souvent en France. Je voyage davantage en Angleterre, car je m’y suis fait un réseau depuis mes études dans un pays anglophone." Grâce à ce réseau très étendu, François Wadra ira, avant la période Covid, faire "l’inventaire des objets kanak dans les musées anglais. D’abord pour le British Museum, puis pour le Cambridge Museum et en Écosse. D’ailleurs, ce n’est pas fini, j’y retourne bientôt." Pour lui, un seul fil rouge, dans son inventaire ou lors de fouilles : les traditions orales. Dans les collectes d’histoires, de souvenirs, de mythes, mais aussi de chansons. "C’est ça qui est très important avec le patrimoine immatériel : il y a du concret dedans. Par exemple, pour mon métier, si un chant évoque un rocher, je ne suis pas intéressé par ce rocher, mais je vais aller chercher autour et certainement trouver quelque chose de datable. Alors là, oui, je peux arrêter le temps."

L'archéologue Nengone François Wadra ici au Cambridge Museum, avec des objets collectés en 1910 dans la région entre Waa Wi Luu et Hyehen.

Un message pour la jeunesse

Aujourd’hui, François Wadra intervient beaucoup dans les classes. "Récemment, je suis allé à Maré pour travailler avec les trois collèges. J’avoue que j’étais surpris, car on parle beaucoup des grandes murailles de Maré, pourtant de nombreux jeunes ne connaissaient pas leur existence, alors qu’ils passent tous les jours devant. J’ai ainsi pu expliquer mon métier aux collégiens." Même si l’archéologue estime "ne pas être le modèle parfait", il espère que le partage de son savoir fera naître des vocations. "Être modèle, c’est un grand mot. Ce que j’aimerais, c’est que nos jeunes sachent qu’il faut faire des études, car ce pays a besoin de bases solides. C’est un appel à tous les jeunes, de tous bords confondus, et surtout un appel aux jeunes kanak." D’autant que François Wadra est persuadé qu’il y a de la place pour les archéologues calédoniens : "J’ai travaillé sur un site de plus de 45 000 ans en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Je pense qu’en Nouvelle-Calédonie aussi, on risque de trouver des datations anciennes. Mais l’archéologie est très jeune ici, et pour le peu d’archéologues qui existent en ce moment, il y a encore un grand travail à faire. "

 

Découvrez cet épisode ainsi que tous les autres de Destins peu Communs, l'émission qui part à la rencontre de nos identités (diffusion en radio les mardis à 12h17 et rediffusé le dimanche à 12h20).