À l'occasion d'une nouvelle table ronde à Maré, mardi 19 novembre, les langues continuent de se délier. Parler de son ressenti, et tenter d’expliquer les causes des événements des six derniers mois, ne pouvait se faire sans esquisser les éléments de l’après. Courageusement, l’animatrice Sidji Chimenti s’est attelée à la tâche, lançant comme prévu ses invitées, puis une salle une nouvelle fois bien garnie, sur les pistes du futur : comment envisager l’avenir ? Qu’est-ce qui sera essentiel pour demain ? Et comment mieux préparer cet avenir avec nos enfants ?
Redonner confiance à la jeunesse
Marie-Laure Martin estime que la jeunesse a "besoin de reprendre confiance en elle" et souhaite pour cela que les composantes du pays lui "ouvrent la porte". La famille refait son apparition, mais en creux cette fois, dans une analyse des ravages causés par son absence, relevée par Farah Caillard, figure féministe en Nouvelle-Calédonie. "Déjà, il faudrait s’interroger sur ces jeunes. Qui sont-ils ? Comment vivent-ils ? De qui sont-ils nés ? Vivent-ils dans des familles recomposées ? Monoparentales ?"
Évoquant la pauvreté comme un fléau à combattre, Maryline Sinewami aimerait s’appuyer sur des données plus adaptées. La maire de Maré conteste les bases de calcul d’une enquête classant la commune qu’elle dirige comme la plus pauvre du territoire. "Il y a d’autres éléments à prendre en compte que les chiffres, par exemple la qualité de vie", relève-t-elle.
Être acteur de son propre avenir
"Sommes-nous toujours acteurs de notre avenir ?" La question de la modératrice divise la table. Pas d’hésitation, pour Maryline Sinewami : "Oui. Il y a une solidarité qui est née. Nous sommes à même d’être acteurs de notre propre développement." Farah Caillard y met des conditions : "En tant que femmes, on l’a toujours fait, on n’a pas attendu le 13 mai pour cela. Mais les hommes politiques ne partagent pas cet espace. On se souvient de ce courrier des indépendantistes dans les années 2000 déclarant que les femmes n’étaient pas prêtes pour le pouvoir. Maintenant, il faut un nouveau monde, avec les femmes à la tête des mouvements politiques."
Marie-Laure Martin évoque "un état catastrophique, un monde entier en faillite", pour avancer une réponse nuancée : "Il faudrait revoir tous nos schémas. Qu’on essaie d’écrire un nouveau projet tous ensemble." L’enseignante maréenne Yeiwi Ishingo dénonce un mode de vie dans lequel la culture du paraître a pris trop de place. "Il faut apprendre aux enfants à reconnaître ce qui est factice."
Souvent évoquées depuis six mois, les questions du racisme et de la manipulation des jeunes ne font en revanche pas vraiment débat. "L’eau et l’huile peuvent se mélanger. Pour cela, il faut commencer très tôt, comme en Nouvelle-Zélande", assure Marie-Laure Martin.
L’unanimité se fait sur le second point. Première à répondre, Farah Caillard se souvient des Foulards rouges, "un mouvement de libération qui nous a permis de nous redécouvrir. Mais c’était un mouvement de paix. Aujourd’hui, il s’agit d’un mouvement social ou sociétal d’une population laissée pour compte." "Un feu qui couvait depuis plusieurs années", renchérit Maryline Sinewami.
"Il y a eu le 'livre blanc' sur la jeunesse kanak. Ça a empiré depuis. Dire 'instrumentalisés', c’est un langage rapide. Nous invitons les communautés à s’inspirer de nous. Tant qu’on n’arrive pas à voir l’autre dans sa diversité, on n’arrive pas à vivre réellement ensemble. Peut-être que certains en ont profité, concède Yeiwi Ishingo. Mais des Masters et des bac +5 étaient aussi sur les barrages. Il y avait de l’injustice ; il fallait réagir."
Recréer du lien dans une société fracturée
Les réseaux sociaux sont mis en accusation pour leur capacité à précipiter les Kanak "dans un monde qui n’est pas le nôtre" et à entraîner la jeunesse derrière "d’autres repères et quand la base n’est pas solide, on arrive à cette 'décadence'. Le modèle qu’on doit donner est exemplaire. Avant, on ne parlait pas à tout-va. Une attitude, un regard, un geste : les enfants comprenaient et, plus tard, imitaient les adultes. Aujourd’hui, on parle, on parle, on parle. La parole et les actes ne correspondent plus", souligne Maryline Sinewami. Yeiwi Ishingo ajoute : "Un enfant qui se lève le matin ne sait pas aujourd’hui comment tout est arrivé sur la table. Il faut revenir aux cours de morale, en faire de futurs citoyens."
Si l’avenir passe par l’éducation, toutes s’accordent à le dire, une même unité se fait sur les profonds changements à y apporter. La maire de Maré appelle à "changer le système éducatif pour changer des valeurs, qui se limitent aujourd’hui à l’acquisition de biens et valorisent l’élitisme. L’école doit développer un système dans lequel chacun a sa place et peut trouver son développement. À Maré, nous avons la pêche, l’agriculture. Il faut y adapter les formations." "Que chaque communauté connaisse son histoire, déjà", suggère Farah Caillard. "L’entrée, c’est par les langues", propose Yeiwi Ishingo, citant l’exemple d’un élève qui a retrouvé le goût de l’école grâce aux cours en langue nengone du mercredi, où il brillait.
Danielle Guaenere, conseillère du président du gouvernement calédonien, souhaite que soit mise à profit l’annonce de la reconstruction des établissements scolaires détruits, pour bâtir de nouveaux modèles d’écoles où "les gamins se sentent bien". Un séminaire sur la refondation de l’école est organisé le 30 novembre par le gouvernement.
Toutes s’accordent : à l’intérieur des communautés comme entre les différentes composantes de la population calédonienne, l’important est de recréer du lien. Ce sera indispensable pour sortir d’une société "malade, fatiguée et donc violente", selon les mots de Farah Caillard.