Au milieu de son champ de taro et de walei (igname sucrée) à Mouli, dans le sud de l’île d’Ouvéa, Masako Iwamoto, 42 ans, sourit. "J’ai toujours vécu en ville et c’est ici, en cultivant, que j’ai découvert une autre façon de vivre sur la terre." Originaire de Nishinomiya, près de Kyoto, la Japonaise explique avoir découvert la culture française à l’âge de 16 ans, en apprenant le français tous les matins à la radio. "Pour nous les Japonais, la France est vraiment un pays extraordinaire, c’est le luxe, la bonne cuisine, un pays de rêve, c’est merveilleux d’apprendre le français." Elle effectue plusieurs séjours en Métropole, en échange puis comme assistante de japonais dans un établissement scolaire. Elle retourne une nouvelle fois en France à la fin de ses études de droit international suivi à Tokyo. "Je me suis offert ce voyage après les examens que je pensais avoir réussi, mais là j’ai reçu un mail qui disait que je devais passer aux rattrapages, comme j’étais déjà partie j’ai dû refaire une année d’université." Elle devra la financer seule, ses parents refusant alors de payer. Elle travaille de nuit dans une usine Sony qui fabrique le chien robot Aibo, avant de rejoindre un hôtel de la capitale nipponne.
Coup de foudre sur l’île la plus proche du paradis
"Là je suis tombée par hasard sur une offre d’emploi de l’hôtel Paradis d’Ouvéa, j’ai regardé où se trouvait la Nouvelle-Calédonie et j’ai vu que c’est un territoire français alors je me suis dit, pourquoi pas y aller un an ou deux pour continuer à pratiquer la langue." Encouragée par ses parents qui, comme tous les Japonais de leur génération, avaient lu le livre L’île la plus proche du Paradis de Katsura Morimura, dont l’action se déroule en partie à Ouvéa, elle débarque avec sa valise, sans n’avoir jamais entendu parler de la culture mélanésienne, ni des deux langues vernaculaires parlées sur l’île, le iaai et le faga-uvea. Un coup de foudre plus tard avec un habitant de l’île, elle décide de rester. "Ça a été difficile pour ma mère d’accepter que je m’installe avec un étranger, elle ne comprenait pas non plus que mon conjoint ne travaille pas dans une entreprise, j’ai dû lui expliquer les différences de culture et l’importance, ici, du travail collectif et du champ." Avec son compagnon ils ont quatre enfants, qu’ils ont élevé tout en construisant leur maison. Dix ans sans eau ni électricité avec des couches lavables pour les petits : une expérience que Masako Iwamoto, dotée d’un optimisme à tout épreuve, aime à qualifier de "riche".
Kanak parmi les Japonais, Japonaise parmi les Kanak
Aujourd’hui, Masako Iwamoto essaye de partager son expérience avec le plus grand nombre. Elle a une chaîne YouTube et n’hésite pas à parler de son quotidien avec les touristes de passage. "Pour qu’ils découvrent la belle plage et le crabe de cocotier à Ouvéa, mais aussi la culture kanak." Si la coutume a été le plus difficile a comprendre, "car il est rare d’exprimer ses sentiments ou de pleurer devant les gens au Japon", Masako Iwamoto estime qu’il n’est pas si compliqué de s’adapter. "Mon expérience prouve qu’il est possible d’être heureux partout sur terre, à partir du moment où l’on respecte la culture des gens." Aujourd’hui, elle explique se sentir Kanak quand elle se trouve au milieu des touristes et Japonaise avec sa famille kanak. "Avoir deux ou plusieurs identités, c'est le cas pour beaucoup de gens ici car il y a de nombreuses cultures qui vivent en Calédonie et je pense qu’il est tout à fait possible de vivre ensemble en se respectant et en faisant l’effort de se parler."