PORTRAIT. En reconversion professionnelle : Sarah Fakataulavelua, de la mine à l’atelier de couture

À 33 ans, Sarah a quitté son poste à l'usine du Nord, à Koné pour s'installer à Voh et développer son entreprise de confection de robes mission.
La reconversion professionnelle, une réalité pour de nombreux Calédoniennes et Calédoniens. Que ce soit un désir d'épanouissement personnel, un rêve d'enfant ou tout simplement pour s'adapter à une réalité économique, NC la 1ère a rencontré celles et ceux qui n'ont pas eu peur d'explorer de nouveaux horizons. Rencontre avec Sarah Fakataulavelua, qui a délaissé les laboratoires de l'usine du Nord pour créer ses propres robes mission. [4/5]

Lorsqu'elle était enfant, Sarah s'adonnait à des travaux manuels : peinture, dessin mais aussi couture. Un passe-temps familial qui l'a aidé à développer sa créativité et qui est, en réalité, son fil d'Ariane.
Sarah Fakataulavelua a grandi à Païta et à dix-huit ans, elle s’interroge sur son avenir, rêvant d'ailleurs. En 2009, c’est en écoutant la radio qu’elle découvre le programme de mobilité pour le Québec. Elle postule et fait partie de la trentaine d’étudiants choisis pour suivre un cursus de trois ans. De la découverte du milieu minier, elle retrouvera finalement, quelques années plus tard, son passe-temps de petite fille : la couture. 

Technique minière

En 2010, Sarah quitte pour la première fois la Nouvelle-Calédonie, elle "qui n’avait jamais été plus loin que Bourail." "C’était un choc, je n’étais encore qu’une enfant, ça a été difficile. Mais après, j’ai rencontré un groupe de Calédoniens dans ma ville et ça m’a boostée pour continuer" se souvient-elle.

Au bout du compte, la jeune femme se plonge dans ce nouvel univers, cette nouvelle culture et se passionne pour sa formation : elle étudie la technique minière, pour devenir technicienne géologue. "La technique minière, c’est la partie exploration d’un gisement, comment le trouver… C’est le début du travail d’exploitation minière." Là-bas, Sarah en apprend plus sur le nickel mais découvre également les gisements d’or, la pétrochimie, les mines à ciel ouvert et souterraines. Des découvertes fascinantes et "magiques" pour la Calédonienne, connue pour son insatiable curiosité.

Pendant trois ans, Sarah a étudié à Québec, au Canada et a retrouvé des Calédoniens dans sa promotion.

 Le début d'une nouvelle vie

Son diplôme d’études collégiales en poche, l’équivalent d’un BTS en France, Sarah revient en Nouvelle-Calédonie. Elle tombe enceinte de son premier enfant et enchaîne d'abord les petits boulots du côté de Païta, alors que son compagnon obtient un poste dans la maintenance industrielle à l’usine du Nord. "Je ne trouvais pas d’emploi dans mon domaine alors, on a vécu séparés un temps, moi à Païta et lui à Koné. Il venait le week-end pour voir notre fille car je vivais chez mes parents. On n’avait que 23 et 25 ans" se souvient-elle.

Lorsque sa fille souffle sa première bougie, elle décroche son premier poste en tant que technicienne de laboratoire, elle aussi à KNS, et peut ainsi rejoindre son compagnon. "On avait un tout petit studio à Pouembout. Mon conjoint a pu passer son permis ; petit à petit, on a amélioré notre vie de famille." Mais en acceptant le poste, Sarah n’avait pas réalisé les contraintes que cela imposait. "Dans la précipitation, je n’avais pas compris que je travaillerais en quart, de 6 heures à 18 heures pendant deux jours, puis de 18 heures à 6 heures du matin les deux jours suivants. C’était un chamboulement et on avait très peu de vie de famille."

Une vie d'artisane 

Sarah s’accroche coûte que coûte, agrandit sa famille et achète un terrain pour faire construire sa maison en 2019. L’année d’après, le confinement vient chambouler leur quotidien et c’est là que tout se déclenche. "Je tournais en rond à la maison et j’avais envie de m’occuper. J’ai essayé la couture pour faire des coussins, des rideaux. J’ai mis une semaine à comprendre comment glisser l’aiguille dans la machine" rigole-t-elle. Sans le savoir, Sarah commence une activité qui va changer sa vie. Elle commence par confectionner du linge de maison puis très vite, ses premières robes en regardant des tutoriels sur internet ; des robes mission, qu'elle a toujours porté, héritage de ses racines kanak. 

Sarah a très tôt confectionné elle-même ses pochoirs pour teindre par la suite ses robes.

Novice, elle se rapproche de couturières professionnelles pour des conseils et leur vend également des pochoirs qu’elle dessine elle-même. Une activité qu’elle développe "pour le plaisir", tout en continuant à travailler à l’usine de Koniambo Nickel. 

Je partageais ce que je confectionnais sur les réseaux sociaux, sur les groupes de couture et je me suis rapidement retrouvé assaillie de messages pour vendre mes robes. Je n’osais pas alors, j’ai commencé par ma famille et mes amis, je me posais plein de questions et je ne savais plus quoi faire.

Sarah Fakataulavelua

Si Sarah n’avait jamais vraiment cousu de robes auparavant, elle a toujours aimé le travail manuel. Dans son enfance, les mercredis après-midi, elle les passait avec ses deux grands-mères. L’une caldoche, qui lui apprend à confectionner des patchworks à la main et la peinture ; l’autre wallisienne, qui lui montre le tapa et le tressage.

"Mon métissage m’a permis d’apprendre deux formes d’arts différents. De plus, mon chéri est un Kanak originaire de Ponérihouen et je voulais des robes à porter aux cérémonies coutumières."


Changement de vie

Serait-ce le début d’une nouvelle carrière ? Quitter un emploi confortable pour devenir couturière, est-ce une bonne idée ? Des milliers de questions passent par l’esprit de la jeune femme, qui décide, deux ans plus tard, de se lancer pleinement dans sa passion. Car après un accouchement difficile, et une dépression, Sarah a un électrochoc, et se rend compte qu’il est temps de changer de vie. "Je ne voulais plus travailler la nuit et laisser mes enfants. Je voulais vivre de ma passion. Mais il y avait beaucoup de remises en question car on se sent coupable de vivre son rêve et on a peur de mettre sa famille dans les soucis."

Sarah profite d’une année sabbatique, qui lui permet de conserver son poste, pour démarrer son activité de couturière à plein temps. En septembre 2023, elle participe au Nakupa fashion show qui lui permet de se faire connaître un peu plus du grand public, et de confectionner des robes traditionnelles issues de sa culture wallisienne. Aujourd'hui, elle est fière de vivre pleinement de sa passion et prend du temps pour profiter de sa famille.

Il ne faut pas avoir peur de suivre ses rêves, même si on n’a pas confiance en soi. Parfois, j’ai l’impression d’avoir le syndrome de l’imposteur mais je préfère avoir des remords que des regrets. On voit dans le pays que tout s’effondre alors, il faut tenter le tout pour le tout, et ne pas baisser les bras.

Sarah Fakataulavelua