"Il n'y a pas de procédure diligentée contre ma cliente et pourtant, on la traite quasiment comme une prévenue." Me Joannopoulos, l'avocate de Jeanne*, a eu bien du mal à cacher son agacement ce 6 décembre, lors de l'audience au tribunal correctionnel de Nouméa. "Non seulement l’agresseur ne reconnaît pas les faits mais il tente de reporter toute la faute sur la victime."
Une inversion des rôles sur laquelle le prévenu Larry Martin s'est appuyé tout au long du procès. "Elle sait y faire. Pour manipuler, elle est très forte", affirme-t-il à la barre. Lors de l'enquête, l'élu municipal avait d'ailleurs porté plainte, à son tour, contre la plaignante pour dénonciation calomnieuse. Une procédure classée sans suite par le procureur de la République.
"Des menaces à peine voilées"
Visé initialement par une plainte pour harcèlement fin 2022, Larry Martin a finalement été jugé pour des "envois réitérés de messages malveillants par voie électronique" à Jeanne*, son ancienne collègue de la direction de la jeunesse et des sports et maîtresse pendant huit ans. Une requalification des faits "a minima", regrette la partie civile, pour lesquels le prévenu risque jusqu'à un an de prison et une amende d'1,7 million de francs. Voire trois ans de prison, quand la victime est un conjoint ou un concubin.
Vous êtes en train de dire que vous avez été manipulé par madame ?
Le président du tribunal correctionnel de Nouméa
Le prevenu ne conteste pas l'existence de ces messages. Des insultes, des injures et "des menaces à peine voilées", observe le président du tribunal, avant d'en présenter un court florilège : "je saurai te faire mal", "tu vas manger", "tu peux aller suc... pour ta promo"," va faire ta p...".
Ces paroles, l'adjoint au maire tente de les minimiser, avant de se poser lui-même en victime : "Monsieur le président, c’était nos disputes". "Elle savait que j’étais impulsif avec ma jalousie". "Elle me dévalorisait." Un discours auquel le juge ne semble pas adhérer. "Vous êtes en train de dire que vous avez été manipulé par madame ?"
On ne peut pas se dénaturer rapidement.
Larry Martin, prévenu
Un stage à la suite de violences conjugales en 2016
Face au président, Larry Martin assure qu'il a eu "peur". Peur des conséquences pour son "projet politique pour le pays et son projet administratif", à savoir l'Observatoire de la jeunesse, dont il était le chef de mission au moment des faits. Il dit aujourd'hui vouloir faire preuve d'"exemplarité".
"Je me suis énormément amélioré pour moi-même, pendant cinq ans", assure le prévenu en indiquant avoir suivi un stage au Relais de la province Sud en 2016 pour les auteurs de violences conjugales. "Et vous avez mis en application les conseils du Relais depuis ? Je ne comprends pas bien", ironise l'avocate de la partie civile, en rappelant que les faits qui lui sont reprochés datent de 2019 à 2021, soit bien après ce stage. "La mise en pratique demande parfois du temps. On ne peut pas se dénaturer rapidement", rétorque Larry Martin.
Dans ma tête, il n'y a pas de prescription monsieur le Président.
Sandrine*, partie civile dans l'affaire des violences conjugales
L'une des deux affaires prescrites
Ces violences conjugales, Sandrine*, une ex-petite amie du prévenu, également partie civile de ce procès, s'en souvient. En janvier 2016, à la date des faits présumés, elle n'avait pas osé porter plainte. C'est après avoir été entendue par les gendarmes pour l'affaire de Jeanne*, qu'elle se décide à porter plainte à son tour, en février 2023.
Cette nuit de coups et de cris, qu'elle avait décrite aux enquêteurs, ne sera pas racontée à l'audience, pour cause de prescription. Mais Sandrine* est tout de même appelée à la barre pour livrer son ressenti. "Dans ma tête, il n'y a pas de prescription Monsieur le Président. Vous avez bien compris que Monsieur Martin est un beau parleur (..) Sa jalousie maladive l’entraîne à commettre des actes de violence."
Si elle est là, à la barre, aujourd'hui, c'est "pour que ça s’arrête". Certes, "il ne sera pas condamné" pour violences conjugales, du fait de la prescription, lâche Sandrine*. "Mais au moins, je suis allée au bout de la démarche, pour moi et pour toutes les autres."
Une personnalité très particulière dans sa psychologie.
Le ministère public au sujet du prévenu
Pas d'excuses
Confus dans ses déclarations, le prévenu se dit "brisé" depuis le déclenchement de cette procédure. Il souffre de "dépression". Pas un mot d'excuse n'est adressé à ses anciennes compagnes durant l'audience, lui qui dit pourtant "présente(r) une empathie développée". "Je n'ai plus de revenu, je vais devoir partir, d’autant plus que mon pays va super mal."
Une information sur sa situation financière, aussitôt contredite par le président du tribunal, qui rappelle que son salaire a été maintenu par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pendant ces deux années de suspension provisoire.
Du côté du ministère public, les arguments de Larry Martin ne convainquent guère plus. Le parquet note une "personnalité très particulière dans sa psychologie", le prévenu étant capable d'envoyer des "messages dégradants et par moments, des discours enflammés, en changeant soudainement complètement de ton". Quatre mois de prison avec sursis sont requis, son casier judiciaire étant vierge.
Nous sommes sur tout, sauf sur la protection de la femme et du féminisme.
Cécile Moresco, avocate de la défense.
Un simple "dossier de séparation"
Bien décidée à obtenir la relaxe de son client, Me Moresco livre une plaidoirie sans concession contre la principale plaignante. "Qu'est-ce qu'on fait là ?", interroge l'avocate de la défense, pour laquelle ce "dossier de séparation" n'a pas sa place dans ce tribunal. "On est sur une vengeance. Elle n’a pas supporté de ne plus avoir son "lapin" à disposition". Référence au surnom affectueux donné par Jeanne* à Larry Martin, dans un courrier postérieur aux insultes.
Elle questionne le "soi-disant traumatisme" de la plaignante, en larmes, sur le banc de la partie civile. Elle considère qu'elle "n'est pas une victime". "Si toutes les femmes ou les hommes qui ont été quittés demandent des dommages et intérêts, on n’est pas sorti de l’auberge ! Juridiquement, ça ne tient pas."
Pour Me Moresco, la partie civile profite de "la mode #Metoo". Un courant, où les cibles ne seraient plus les femmes, mais les hommes et les élites politiques, comme son client. "Ça me choque parce que je suis une femme. Et j’ai une particulière volonté pour que le droit des femmes, le féminisme et la sécurité des femmes soient assurés." Mais dans cette affaire, "nous sommes sur tout, sauf sur la protection de la femme et du féminisme", estime Cécile Moresco, qui aimerait voir la même "mobilisation de la presse et du ministère public" pour les "femmes qui souffrent et subissent du vrai harcèlement en Calédonie".
Interrogés à l'issue de l'audience, l'avocate de la défense et son client se refusent à tout commentaire.
Des violences domestiques qui ne relèvent pas de la sphère privée
Me Joannopoulos, de son côté, conteste fermement le caractère "privé" de ces messages malveillants, axe principal de la défense. "Cela me semble être une contre-vérité car quand il y a des violences conjugales au sein de la sphère privée, le tribunal doit s'en saisir, martèle l'avocate dans la salle des pas perdus. D'autant plus dans ce cas précis, où il y avait des implications dans le service où exerçaient les deux fonctionnaires."
Non seulement le prévenu et la plaignante étaient collègues de travail, mais un lien de subordination existait bel et bien selon la partie civile, même si l'organigramme de la direction de la jeunesse et des sports n'en faisait pas mention. Me Joannopoulos en veut pour preuve l'entretien annuel d'évaluation que Larry Martin a fait passer à sa collègue.
Se servir de la sorte du féminisme, c'est honteux et désolant.
Jeanne*, partie civile
Les répercussions du témoignage
Contrairement à Sandrine*, Jeanne* n'ira pas témoigner à la barre. "Je ne m'en sentais pas la force. Et j'avais trop de colère face à autant de dénigrement, confie-t-elle après l'audience. Je me sens salie, humiliée, par tout ce qu’a dit l'avocate de la défense. C'était une plaidoirie très insultante, mais c'était, semble-t-il, sa seule stratégie de défense. Ça nous coûte, comme victimes, de venir témoigner, de se battre pour prouver qu'on dit la vérité. Je pensais avoir subi le pire, mais ça continue. Et se servir de la sorte du féminisme, c'est honteux et désolant."
Même Sandrine*, qui a osé venir s'exprimer devant le tribunal quelques heures plus tôt, se questionne désormais sur les conséquences de cette libération de la parole pour les plaignantes. "C’est déjà compliqué pour nous de devoir affronter la personne qui nous a fait du mal et de revivre cette situation. Mais, en plus, on nous a fait passer pour des manipulatrices, des femmes qui souhaitent se venger de lui. Je suis ressortie de ce procès avec un goût très amer."
(*) Les prénoms ont été modifiés à la demande des plaignantes.