Ils risquaient jusqu’à dix ans de prison mais le tribunal a préféré ne pas les juger précipitamment. A l'audience correctionnelle de Nouméa, mardi matin, la présidente Lise Prenel a fait droit à la demande de renvoi plaidée par les avocats de la défense et a ordonné le parquet "à mieux se pourvoir" et à ouvrir une information judiciaire.
En clair, un juge d’instruction devait être saisi dans l’après-midi pour élargir les investigations. "Vous avez face à vous les petites main de ce dossier. Les principaux protagonistes n’ont pas été arrêtés et interrogés. Il y a encore de nombreuses zones d’ombre", a mis en avant Me Jean-Victor Bonifas, l’avocat d’un chef d’entreprise de 51 ans placé en détention provisoire au Camp-Est et considéré jusqu’alors comme la tête de ce réseau d’importation de cocaïne sur le territoire.
Dans un banal pot de Nutella
A la mi-avril, les douaniers, désormais équipés de moyens de surveillance et de détection de pointe, découvraient, à l'intérieur d'un banal colis postal rempli de friandises, près de 160 grammes de poudre blanche dissimulés dans un pot de Nutella.
Les investigations des douaniers et des policiers avaient abouti à l’interpellation de trois suspects, qui ont reconnu avoir réceptionné douze colis envoyés depuis la Métropole en seulement quelques mois : la drogue était ensuite coupée avant d’être revendue jusqu’à 30 000 francs le gramme aux clients calédoniens.
Au cœur de cette affaire, le fournisseur de la cocaïne, qui est domicilié en Métropole. Car les enquêteurs sont persuadés d'une chose, l’argent de la vente de la drogue était réinjecté dans les comptes de la société du fameux chef d’entreprise incarcéré. En contrepartie, le fournisseur recevait "des sommes présentées sous forme de salaires", avait indiqué le procureur de la République Yves Dupas.
"Onglerie" à Nouméa et "ramifications internationales"
"Il est établi dans le dossier que le cerveau de cette affaire court toujours en Métropole. C’est un ancien restaurateur de Nouméa qui est originaire des Bouches-du-Rhône. C’est lui la tête du réseau qui expédie la cocaïne et il est en toute liberté aujourd'hui", affirme Me Stéphane Bonomo. L’avocat des deux autres suspects, aujourd’hui sous contrôle judiciaire, avance même que "la compagne de cet ancien restaurateur a récupéré l’argent de la vente de la drogue en venant sur le territoire. Elle est aussi propriétaire d’une onglerie à Nouméa, et on sait bien que ces boutiques peuvent être des usines à blanchir de l’argent".
A entendre le conseil, il y a même "des ramifications internationales puisque l’argent de la drogue en francs Pacifique a été blanchi et converti en Suisse".
"La police n'a même pas pris la peine d'entendre l'homme de confiance du fournisseur"
Me Stéphane Bonomo, avocat de la défense
Deux autres résidents de Nouvelle-Calédonie seraient également impliqués dans le réseau "et la police n’a même pas pris la peine de les entendre. Il y a, par exemple, l’homme de confiance du fournisseur qui travaille à la clinique de Nouville et qui a un rôle éminemment important puisqu’il était chargé de véhiculer la drogue et l’argent. Comment peut-on juger ce dossier sans tous ces protagonistes ? Le travail douanier et policier n’est ni fait, ni à faire, évitons maintenant le fiasco judiciaire", conclut Me Bonomo.
"Un bénéfice de 18 millions de francs"
La procureure de la République Isabelle Fuhrer s’est montrée opposée à l’ouverture d’une information judiciaire, "cela reviendrait à un enterrement de première classe de ce dossier. Nous connaissons les difficultés parfois insurmontables pour ramener des suspects de Métropole en Nouvelle-Calédonie avec les escales au Japon ou à Singapour."
Le ministère public a relevé que les trois prévenus à la barre du tribunal "ne sont pas des petits dealers de cannabis", car ils ont admis en garde à vue la réception "de douze colis remplis de cocaïne. Avec une moyenne de 50 grammes par colis, les bénéfices s’élèvent à plus de 18 millions de francs."
Après en avoir délibéré, le tribunal correctionnel s’est rangé derrière l’avis des avocats de la défense. Le parquet va donc ouvrir une information judiciaire. A la mi-journée, mardi, le chef d’entreprise était toujours dans les geôles du palais de justice, dans l’attente de sa comparution devant un juge d’instruction en vue de sa mise en examen.