"Papa poule", l'expression est revenue à plusieurs reprises, pour qualifier l'accusé dans cette affaire de meurtre sur concubin. Une position de père dévoué qui est ressortie comme un fil conducteur, ce jeudi 20 mars, dans sa version du drame. Interrogé par la présidente Zouaouia Magherbi, il l’a longuement livrée, alors que l’enchaînement des faits restait confus. Le récit d’un féminicide sans alcool et sans stupéfiant, mais avec beaucoup de mensonges, attribué à un partisan de la non-violence.
“La crise”
Au matin du mercredi 12 juillet 2022, raconte le quadragénaire, le couple vaque au rangement et à leur déménagement imminent, puisqu’ils doivent rentrer dans l’Hexagone douze jours plus tard. Tout à coup, “ça gueule. Je laisse couler comme d’habitude”, jusqu’à un appel de l'école : l’homme est en retard pour récupérer les garçons, âgés de cinq et sept ans. “Nina entend que je parle au directeur, c’est la crise. Que je ne suis pas capable de gérer les enfants… Que même ça, je n’arrive pas à le faire correctement… “
Pas d’alerte
Sa compagne, déclare-t-il, lui met “des claques”, “des coups de livre derrière la tête”. Et de répéter cette révélation : l’objet attrapé sur la table avec lequel il lui assène deux coups est une bouteille de jus pétillant. “C'est affreux parce que Nina est par terre et je n'arrive pas à la réveiller.” Mais au lieu d’appeler les secours, il laisse dans l’appartement une femme inconsciente et ensanglantée. “Il faut que je récupère les enfants, c’est ce qui se passe dans ma tête.”
Arrêt au tri
Le père de famille se change. De son propre aveu, il place dans un sac l’objet du crime, le livre évoqué plus tôt et ses vêtements tachés de sang. “Pour éviter toute accusation de violences.” Sur son “vélo-cargo” équipé d’une caisse pour les enfants, il quitte la cité administrative route de l’Anse-Vata. Puis s’arrête à l’hippodrome Henry-Milliard où il jette le contenu du sac dans les conteneurs de tri. Et rejoint l’école, située à Tuband.
Enfin, l’appel aux secours
“J’essaie de faire le plus vite possible.” De retour, les bambins sont priés de rester au bas de l’immeuble. “Je ne savais pas dans quel état j'allais retrouver Nina. Je pensais qu’elle allait se réveiller. Je la vois par terre et je panique encore plus. Elle respire, mais elle respire fort.” Là, il appelle les secours, tente de prodiguer des soins.
L’histoire de l’ampoule
Juste avant l’arrivée d’un premier pompier, il met en scène une chaise tombée, pour faire croire - “je sais que c’est débile” - à une chute en réparant une ampoule. “Ces deux coups, c’est moi qui les aie donnés mais je dis pas, que c’est moi. Les enfants sont en bas, j’ai Nina en haut… Y a plus rien de logique. Alors, je dis qu’elle est tombée.”
“Je n’ai pas dit la vérité”
Plus tôt dans les débats, ses changements de versions successifs ont été passés au crible. L’avocate générale Claire Lanet a notamment fait témoigner le directeur de l’enquête policière. “Je n’ai pas dit la vérité, reconnaît l’accusé. Ni aux pompiers, ni à la police, ni en garde à vue.”
Encore la ligne du papa aimant, tracée avec beaucoup d’émotion : “Pour moi, il était inconcevable que les enfants se retrouvent tout seuls à l’autre bout du monde, sans famille. J’ai dit tout ce qui me passait par la tête. Y avait rien de crédible, je pense.”
Je voulais dire les choses mais j’avais peur des conséquences. Tant que les enfants n’étaient pas en sécurité, je ne pouvais pas parler.
L’accusé donnant sa version des faits, le 20 mars 2025
Un argument contredit par Me Caty Richard, l’une des avocates des parties civiles : même quand la mère de la victime et la sœur de l’accusé sont arrivées en Calédonie, celui-ci a continué à clamer son innocence.
“De l’énervement”
À la question “vous considérez-vous comme un homme battu ?”, il répond : “Non”. “Maltraité ?“ “Non.” Un peu plus tôt, il disait s’en vouloir. “Je suis le responsable. Peu importe si elle me donnait des coups de plus en plus réguliers. Nina n’était pas animée de mauvaises intentions, c’était de l’énervement.” En glissant : “Ce côté-là, je ne le connaissais pas avant la Nouvelle-Calédonie.”
Une piste pour le passage à l’acte
Les débats creusent l'impression d'un basculement après l'installation en Calédonie. D’un mal-être grandissant, nourri par un ensemble de facteurs, chez les deux parents. Loin de leurs proches, sur fond de séparation et de faux-semblants, au moment critique du Covid, avec un ingénieur qui devient père au foyer. Et le seul salaire de la mère pour la famille.
Mercredi soir, l’experte psychologue s’exprimait par visioconférence. Josiane Périssé a relaté son entretien avec l’accusé quelques mois après les faits. Elle a évoqué la piste des humiliations, et des blessures narcissiques, comme moteur d’un passage à l’acte.