REPORTAGE. À Rivière-Salée, des élèves font appel à un transporteur privé après la destruction de leur collège

Privés d'établissement dans leur quartier, les élèves de Rivière-Salée font leur rentrée au collège de Portes-de-fer, ce 17 février 2025.
Saccagé pendant les émeutes, le collège de Rivière-Salée n’a pas rouvert ses portes à la rentrée. Les élèves ont été réorientés aux Portes-de-Fer, à 4 kilomètres de là. Un casse-tête pour les parents qui n’ont pas de voiture. Des dizaines de familles ont opté pour un transporteur privé, qui a créé un circuit spécialement pour eux.

Nouméa, 5 h 30. Le soleil se lève à peine quand Stéphane Washetine quitte le dépôt de bus Lyvaï, dans le secteur du 4ème km. Sur la radio de son véhicule, les enceintes crépitent au rythme des instructions de la centrale, suivies de quelques encouragements : "bon courage à tout le monde et bonne rentrée à tous les enfants !"

Stéphane Washetine n’est pas un habitué du ramassage scolaire. Son créneau, c’est plutôt le transport de croisiéristes. Mais depuis les émeutes du 13 mai, l'entreprise pour laquelle il travaille s’est adaptée aux besoins du marché, comme tant d’autres. "J’ai une trentaine d’élèves à récupérer à Rivière-Salée car le collège du quartier a fermé. Maintenant, ils doivent se rendre aux Portes-de-fer. C’est la première fois qu’on propose ce circuit."

Stéphane Washetine a inauguré la ligne qui relie Rivière-Salée à Portes-de-fer.

Démarrage timide

Le trajet compte quatorze arrêts disséminés dans Rivière-Salée, avec une première escale, en chemin, au 7ème km. Le chauffeur jette un rapide coup d’œil sur sa feuille de route pour vérifier le nombre d’enfants à récupérer à chaque étape, ainsi que leurs noms.

La tournée commence timidement. Aucun enfant ne se présente aux trois premiers arrêts. "C’est parce que c’est la rentrée, je pense. Les parents ont dû s’arranger pour les accompagner en ce jour un peu spécial."

Le quatrième arrêt sera le bon. Pierre, 11 ans, est le premier à monter à bord. Ses parents l’ont accompagné à l’arrêt de bus, juste pour cette fois. Sa mère ne cache pas son soulagement à l’arrivée du car. "Ce transporteur, c’est la facilité pour nous. Au moins, on sait qu’il va partir d’ici tous les matins et revenir au même endroit, pas loin de chez nous."

Je travaille et je n’ai pas de moyen de locomotion pour emmener mes enfants au collège. Je suis obligée de passer par un transporteur.

Ghislaine, maman d'un élève de 5ème

C'est la première fois que ces collégiens de Rivière-Salée prennent le bus pour se rendre en cours.

Sécurité

Avant cette rentrée, Pierre se rendait au collège de Rivière-Salée à pied, comme la plupart des élèves de ce grand quartier populaire de Nouméa. Mais l’établissement a été vandalisé à 70 % pendant les émeutes de mai dernier. Les dégâts, chiffrés à 800 millions de francs, ont convaincu la province Sud de fermer l’établissement.

C’est donc au collège des Portes-de-Fer, situé à plusieurs kilomètres de là, que Pierre a été redirigé comme 150 autres de ses camarades. "Papa ne peut pas m’emmener en voiture car il part trop tôt le matin", explique Pierre. Ses parents ont donc opté pour la solution proposée par le transporteur Lyvaï. "C’est plus sécurisé que dans les bus classiques et puis, on se fait de nouveaux copains", observe, avec plein d'optimisme, le jeune collégien. 

Le choix a été tout aussi vite fait pour Ghislaine, dont le fils est également en 5ème. "Je n’ai pas le choix. Je travaille et je n’ai pas de moyen de locomotion pour emmener mes enfants au collège. Je suis obligée de passer par un transporteur. Et puis, c’est moins cher que les taxis privés. Là, je paie 7 725 francs par mois au lieu de 22 000 !"

Retrouvailles avec les professeurs

Arrivé à mi-parcours, Stéphane, le chauffeur, profite d’un arrêt pour interrompre les bavardages tout à l’arrière du véhicule.  "Les gosses, la ceinture est obligatoire quand vous montez dans le car. Vous passerez le message à tous les copains demain."

Impatients de faire leur rentrée, les cinq garçons de la rangée du fond spéculent joyeusement sur les noms des professeurs de Rivière-Salée qu’ils espèrent retrouver dans leur nouveau collège. Le dépaysement ne devrait pas être total. “La cour de récré est super grande. Et c’est damé de bancs”, lâche l’un des collégiens, qui a pu visiter le collège au moment de la distribution des fournitures. Rien n’y fait, son voisin de bus, lui, a “une boule au ventre”.

Aujourd’hui, il y a des enfants qui vont devoir faire plusieurs kilomètres sous la chaleur ou sous la pluie pour aller au collège. Ça fait mal au coeur.

Patricia Lecomte, gérante de Lyvaï

Vingt-cinq élèves inscrits

6 h 40, le bus arrive à destination, bien avant le traditionnel ballet de voitures qui déposent les élèves sur le parking des Portes-de-fer. Le chauffeur les invite à descendre.

Demain, une fois la pré-rentrée finie, le car devrait se remplir davantage. Vingt-cinq élèves ont choisi de prendre ce transporteur privé. Ce qui reste moins que les estimations de l’Association de parents d’élèves des Portes-de-fer.

C’est elle qui avait sollicité l’entreprise Lyvaï pour ouvrir une ligne à Rivière-Salée. "On était parti sur 100 à 200 élèves mais ce n’est pas étonnant qu'il y en ait beaucoup moins. Je pense que les parents n’ont plus de sous, observe Patricia Lecomte, la gérante. Aujourd’hui, il y a des enfants qui vont devoir faire plusieurs kilomètres sous la chaleur ou sous la pluie pour aller au collège. Ça fait mal au cœur."

Immersion dans le minibus en route vers le collège de Portes-de-Fer :