À bientôt 68 ans, et malgré la maladie de Parkinson avec laquelle elle doit vivre depuis maintenant plus de dix ans, Ghislaine Nekiriai, continue de coudre des vêtements pour ses petites enfants. Jusqu’ici renommée pour ses pâtisseries - elle a pendant 12 ans vendu brioches et madeleines qu’elle fabriquait elle-même -, Ghislaine est désormais connue comme autrice. Son autobiographie, "Moi, l’Auvergnate de Népoui", parue l’an dernier, est devenue un succès de librairie, au point qu’elle a dû être réimprimée. La raison ? Une histoire de vie poignante qui dessine en filigrane le portrait d’une femme dotée d’une résilience hors norme.
Car Ghislaine est née à Aurillac, dans une famille "qui ne me voulait pas. Mes parents m’ont faite pour éviter à mon père de partir à la guerre d’Algérie, car il fallait avoir trois enfants pour en être dispensé", raconte Gishlaine. Le père est violent et fait régner la terreur dans son foyer. Gishlaine se crée une carapace", avec la ferme intention d’échapper au joug familial.
Une vie faite de drames et d'obstacles
Son destin change lorsque, devenue une jeune femme, elle croise le chemin d’un jeune Kanak. "Je l’ai rencontré dans la rue et je l’ai revu dans un bal, une rare fois où j’avais été autorisée à y aller. Finalement, c’est moi qui lui ai demandé de l’épouser." Le jeune homme, dont le passé est lui aussi difficile, accepte, et le couple trouve son équilibre dans cette Auvergne des années 70, où il est "le seul noir du village", raconte Ghislaine. Si le couple est bien accepté, il doit tout de même faire face au racisme. "Notre photo de mariage n’a jamais été exposée dans la vitrine du photographe, alors que tous les jeunes mariés y faisaient un séjour d’au moins une semaine", se souvient Ghislaine. Les 4 enfants, eux, sont finalement scolarisés dans le privé, après que le petit dernier a souffert des brimades racistes d’une directrice d’école.
Mais au mitan des années 90, un drame familial va bouleverser le fragile bonheur de ce couple modeste. "Ma belle-sœur a tué mon frère, et, moi, j’ai raconté la vérité, ce que j’avais vu. Il avait beaucoup de violence en lui, héritée de notre père", raconte-t-elle pudiquement. Menacé par ce père, la famille n’a d’autres choix que de s’exiler en Nouvelle-Calédonie. "Je pensais avoir connu le pire, mais là", soupire Ghislaine, rejetée par le clan de Nekliai. "On n’avait rien, pas de travail et on vivait à 5 dans une garçonnière de la SLN à Népoui, personne ne nous a donné ne serait-ce qu’un morceau de manioc. On a appris que quelqu’un cherchait à acheter du bois, alors on a acheté deux scies et on est partis en forêt. C’est comme ça qu’on a survécu au début".
Ecrire pour transmettre et témoigner
Pour ne rien arranger, Ghislaine se découvre atteinte de la maladie de Parkinson. Une épreuve qui lui donne envie "d’en finir" et "d’écrire ma vie pour transmettre ce que j’ai vécu à mes enfants". Un livre qui restera des années dans les cartons, "grâce au traitement donné par un neurologue qui m’a permis de retrouver un semblant de vie". Un livre fort dans lequel Ghislaine se met à nue, et où elle raconte les conséquences de la violence paternelle sur l’adulte qu’elle est devenue.
"J’avais de la violence en moi, comme mon frère, et de la dépression, comme ma sœur, j’ai navigué entre les deux et essayé de contrôler cette violence que je rejetais. Mais la carapace que je me suis forgée a eu des conséquences. D’une certaine manière, je n’ai pas assez aimé mes enfants. J’ai manqué de tendresse, or la tendresse, c’est important." Ressorti du tiroir sous l’impulsion de Yasmina Metzdorf, alors maire de Poya et qui lui disait qu’elle devrait écrire son histoire, le livre a été édité plus de 15 ans après sa rédaction. Elle espère qu’il donnera à toutes les victimes de parents violents, "d’avancer et de s’affirmer."
Écoutez cet épisode :