Un troisième référendum que "nous allions remporter". Le souhait d'une autre consultation, d'autodétermination, "dans les années qui viennent". Mais "un référendum qui rassemble, plutôt qu'un référendum qui divise". Une bilatérale avec l'Etat en juin pour parler du transfert des pouvoirs régaliens. La volonté de tracer "un dispositif 'gagnant-gagnant' avec la France"… Roch Wamytan a posé sa vision des choses, vendredi 12 mai, dans l'Invité café de Polynésie la 1ère. Il était interrogé par Ibrahim Ahmed Hazi. Transcription d'une partie de cette interview.
Polynésie la 1ère : L'indépendance, la pleine souveraineté, en Nouvelle-Calédonie, selon vous, c'est un objectif envisageable, sous quels délais ?
RW : Nous avons manqué une étape puisque le troisième référendum, pour nous, était pratiquement gagnant. Au premier référendum, nous avons réalisé 43 % de Oui. Au deuxième, 47% [exactement 46,74%]. Le progrès était pratiquement sûr, pour nous. Nous allions remporter le troisième référendum.
Or, ça ne s'est pas passé comme ça. Malheureusement, le président Macron a décidé de maintenir ce référendum alors que nous étions en pleine épidémie de Covid-19. Nous n'avons pas participé à ce référendum. C'était impossible de l'organiser dans des conditions normales. Maintenant, disons que, le compteur n'est pas remis à zéro, mais nous, le FLNKS, nous poursuivons la lutte pour arriver à exercer véritablement un référendum d'autodétermination dans les années qui viennent.
Sous quels délais ?
RW : Notre délai varie en fonction des discussions que nous avons avec l'Etat. Mais disons, dans un délai réalisable entre cinq et dix ans qui viennent.
En parlant de discussions, vous vous êtes vus à Paris. Vous allez vous revoir en juin avec les arrivées des ministres Darmanin et Carenco ?
RW : Voilà. Le ministre de l'intérieur a annoncé son arrivée à Nouméa le 1er juin prochain pour la troisième bilatérale. Quand on dit bilatérale, ce sont les discussions de colonisé à colonisateur, puisque le FLNKS représente le mouvement de libération du peuple kanak, donc représente le peuple colonisé. En face de nous, nous avons notre pouvoir de tutelle et nous discutons face à face. Ça a été comme ça aux différents accords que nous avons passés, à Matignon en 88, en 98 pour l'Accord de Nouméa et là, nous utilisons les mêmes démarches.
Rappelons que l'Accord de Nouméa prévoit le transfert de compétences de la France vers la Nouvelle-Calédonie. A l'exception de la défense, la sécurité, la justice et la monnaie. Vous avez une marge de manœuvre assez grande…
RW : Au niveau du pouvoir institutionnel, il y a eu toute cette série de transferts de compétences, dans les cinq mandats qu'ont duré l'Accord de Nouméa. Il ne restait que le transfert des pouvoirs régaliens. A l'heure actuelle, avec l'Etat, c'est bien sûr une priorité de discuter sur le transfert de ces pouvoirs régaliens dans les années qui viennent. C'est ce que nous allons nous attacher particulièrement, dans cette troisième bilatérale, puisqu'on en a eu une à Nouméa, une deuxième à Paris. Là, c'est la troisième, à Nouméa, et nous allons en avoir une quatrième encore, en début juillet.
Ça va vous permettre quoi ? De dessiner les contours du prochain statut ?
RW : C'est ça. C'est un statut qui a ses fondements dans le dispositif de l'Accord de Nouméa, accord de décolonisation et d'émancipation. Nous avons les fondements d'un futur Etat. Maintenant il nous faut bâtir, à partir de ce socle de vingt-cinq ans de travail et d'expérience. Nous allons poursuivre les discussions avec l'Etat. C'est compliqué, parce que l'Etat a reconnu le troisième référendum, a reconnu les trois Non aux trois référendums successifs. Nos partenaires de l'Accord de Nouméa qui ne sont pas pour l'indépendance, aussi, reconnaissent ces trois référendums.
Mais nous avons entamé une démarche auprès de la Cour internationale de justice pour délégitimer, au niveau politique et au niveau du droit international, ce troisième référendum. C'est un travail que nous menons avec le groupe Fer de lance mélanésien. Ça viendra devant l'Assemblée générale des Nations unies prochainement et ensuite, sur le bureau de la Cour internationale de justice de La Haye. Ça va nous permettre de donner un levier supplémentaire pour pouvoir convaincre l'Etat de nous ramener dans l'axe, cet axe qui a été "cassé" par le président Macron le 12 décembre 2021 en reconnaissant la légitimité politique et juridique, de son côté, du troisième référendum.
Si jamais le prochain référendum débouche une fois de plus sur un Non à l'indépendance, qu'est-ce qui se passe ?
RW : Nous continuons. Un peuple colonisé n'abandonne jamais son droit à l'autodétermination et à l'indépendance (…) Il y a toujours possibilité d'avancer. Dans le préambule de la Constitution de 1958, il est reconnu ce droit à l'autodétermination des peuples associés dans le giron français. Qui plus est, au sein des Nations unies, nous avons ce droit, tant que la Nouvelle-Calédonie restera inscrite sur la liste des pays à décoloniser.
Est-ce qu'il y a un autre exemple de ce type de statut que vous souhaitez ?
RW : Evidemment, nous nous inspirons de ce qui s'est passé dans les autres colonies, les colonies françaises, britanniques ou autres, et notamment les pays mélanésiens puisqu'en tant que FLNKS, le mouvement de libération est membre à part entière du groupe du Fer de lance mélanésien. Nous nous inspirons de leur expérience. Il y a aussi d'autres expérience, dans les Caraïbes, notamment, aux Antilles, même en Europe, qui peuvent nous inspirer. Il y a Monaco, aussi. Nous sommes en train d'examiner toutes les alternatives possibles.
Mais après, le cadre de la Nouvelle-Calédonie est propre à la Nouvelle-Calédonie, du fait de son histoire. C'est à nous, les responsables indépendantistes, avec nos militants, avec le peuple, de discuter et de voir quel sera le meilleur statut pour nous dans une indépendance, demain. Que ce soit une indépendance totale, pleine souveraineté, ou une souveraineté en partenariat avec la France, ou avec d'autres pays...
Vous ne comptez pas rompre complètement avec la France...
RW : On ne peut pas rompre avec la France, c'est compliqué. La France est là. Elle a des intérêts dans le Pacifique. Elle nous a colonisé depuis cent-soixante-dix ans. C'est vrai que le statut de la colonie a évolué. Nous avons beaucoup d'avantages des compétences nouvelles. Nous sommes une collectivité inscrite dans l'article 13 de la Constitution, une collectivité "sui generis". Il nous faut à partir de cela avancer, mais avec la France, puisque c'est notre partenaire. Nous discutons, dans un premier temps, en bilatérale. Ensuite, lorsque nous avons trouvé, disons, les contours d'un dispositif qui va nous convenir, nous allons discuter avec l'Etat d'un côté et ceux qu'on appelle loyalistes.
La condition sine qua none, c'est de gagner les référendums à venir...
RW : Ce qui nous anime actuellement, au niveau du FLNKS, c'est de pouvoir arriver, dans un premier temps, avec l'Etat, au contour d'un dispositif "gagnant-gagnant" avec la France, puisque la France souhaite rester dans le Pacifique (…) Et aussi avec la population et les représentants des non-indépendantistes. Il nous faut arriver à ce dispositif-là pour pouvoir faire en sorte que ce ne soit plus un référendum binaire, qui a vraiment déstabilisé, peut-être, la Nouvelle-Calédonie (…). Un petit peu dans l'idée du référendum de 1998 qui a acté les accords politiques de Nouméa, il faut que ce soit un référendum qui rassemble, plutôt qu'un référendum qui divise.
Ci-dessous, l'entretien complet :