Société territoriale calédonienne de participation industrielle : "un modèle à refonder", estime la Chambre des comptes

Vue de l'usine SLN à Doniambo.
Elle est censée représenter les intérêts des Calédoniens au sein de la Société Le Nickel, dont elle détient 34 % du capital. La STCPI a vu sa gestion passée au crible de la Chambre territoriale des comptes. Celle-ci décrit une société "davantage préoccupée par le retour financier en provenance de ses participations et la gestion de ces retours financiers, que comme un actionnaire investi dans la stratégie industrielle de la SLN."

Encore un sigle qui concerne le monde du nickel calédonien. La STCPI, c'est la Société territoriale calédonienne de participation industrielle. Sa création, en 2000, était liée à la revendication d’une maîtrise locale des outils de production de nickel. Elle a 34 % des parts de la SLN et 4 % de celles du groupe Eramet. Quant à son capital social, il est détenu à 50 % par Promosud, la société d'économie mixte de la province Sud, et à 50 % par la SAS Nordil, qui regroupe la Sofinor et la Sodil (ce sont les sociétés d'économie mixtes des provinces Nord et Îles).

"Une société de portage peu active"

Après avoir analysé sa gestion pour les exercices 2009 à 2020, la Chambre territoriale des comptes écrit que "la STCPI apparaît être une société de portage de participations, peu active, restant dans l’attente des retours financiers". Qu'elle "se positionne, à l’exception de l’année 2009, comme étant davantage préoccupée par le retour financier en provenance de ses participations et la gestion de ces retours financiers (dividendes, prêts participatifs) que comme un actionnaire investi dans la stratégie industrielle de la SLN". Et les magistrats invitent la société de participation et ses parties prenantes "à revoir le modèle d’organisation du portage des intérêts calédoniens dans le capital de la SLN et d'Eramet".

Des missions pas remplies

Le but principal de la STCPI est de détenir des participations au capital de la SLN et d'Eramet. Ça, c'est fait. Mais elle doit aussi participer au développement économique des provinces, insiste la Chambre des comptes. Seulement voilà, "cette partie de son objet social s’est traduite par un simple rôle de distributeur de la quote-part de chacun des associés dans les dividendes attribués à la STCPI par la SLN et Eramet, et du remboursement des prêts participatifs aux provinces. La STCPI n’a aucune connaissance de l’utilisation faite par ses associés des dividendes et partant, elle ne peut donc être assurée de participer au développement économique des provinces".

Pas la main sur le choix de ses représentants

Enfin, les statuts prévoient la mise en œuvre d'une politique et d'une stratégie, et une prise de position dans les assemblées générales et les conseils d’administration de la SLN et d’Eramet. Sauf qu'à part quelques exceptions, la STCPI "ne prépare pas la position de ses représentants" dans ces instances. D'ailleurs, une fois sur deux, ses propres assemblées générales se tiennent après le conseil d'administration de la SLN. Comment, dans ce cas, préparer les arguments à défendre au sein du Nickel ? Pour la Chambre territoriale, la STCPI n’a même pas la main sur la désignation de ces représentants. Elle ne maîtrise pas non plus le choix de son président. 

A noter que trois dirigeants se sont succédés pendant la période contrôlée :

  • Louis Mapou, en fonctions jusqu’au 16 octobre 2014 ;   
  • André Dang, à compter de cette date et jusqu’au 31 mai 2018 ;
  • et à nouveau Louis Mapou, jusqu’au 4 août 2021. 

C'est donc lui qui signe le courrier de réponse au rapport. Un argumentaire d'une vingtaine de pages qu'on peut lire à la fin du document. Il conteste, corrige ou précise plusieurs points dans les observations définitives de la CTC.

Environ 24 milliards de dividendes en onze ans

Entre 2009 et 2020, le montant total des dividendes distribués par la Société territoriale calédonienne de participation industrielle s’est élevé à 23,9 milliards de francs :

  • 13,6 milliards pour la Sofinor (province Nord) ;
  • 6,8 milliards pour la Sodil (province Îles) ;
  • 5,9 milliards pour Promosud (province Sud).

Il faut dire que la répartition n'est pas proportionnelle au poids de chacune dans le capital. Dans un but de rééquilibrage entre provinces, le Nord représente 50 %, quand le Sud et les îles ont 25 %.

Une situation financière dégradée

Les recettes de la STCPI proviennent surtout des revenus issus de sa participation au capital de la SLN et d’Eramet. Et dans une moindre mesure, des revenus financiers engendrés par le placement des dividendes perçus sur des dépôts à terme. Or, depuis 2012, poursuit le rapport, les exercices de la SLN sont déficitaires. Depuis 2014, le Nickel n'a donc plus versé de dividendes à la société de participation. Et celle-ci n'en a perçu d'Eramet qu'en 2018 et 2019. A partir de 2014, ses revenus se sont effondrés. Elle a dû puiser dans la trésorerie pour couvrir les dépenses. 

Cette idée de situation financière dégradée est contestée dans la réponse adressée à la CTC par la société contrôlée, "puisque la STCPI dispose d'une trésorerie de 3,5 milliards." Pour Louis Mapou, l'un des président durant la période examinée, "la situation comptable de la STCPI est impactée par la dégradation de la situation financière de la SLN et d'Eramet (…) mais sa situation financière est saine et sa continuité d'exploitation n'est absolument pas menacée". 

Une gouvernance à clarifier

Les magistrats financiers mentionnent que la société territoriale peut être considérée comme d’intérêt général. Donc, elle est concernée par des incompatibilités qui sont listées dans l'article 53 de la loi organique. Sur le papier, pas possible d'être élu provincial ET président de la société de participation. Il est aussi exclu d'être conseiller provincial ET membre du conseil d'administration de la SLN ou d'Eramet… en théorie !

Dix recommandations

A la suite de ce contrôle des comptes et de la gestion, la chambre formule deux recommandations "de régularité" et huit recommandations "de performance" :

  • Définir une stratégie de mise en œuvre de son objet social en faveur du développement économique et suivre l’utilisation des dividendes distribués.
  • Privilégier le débat entre associés dans le cadre des assemblées générales réunies en présentiel.
  • Clarifier le rôle et les fonctions du président délégué de la STCPI.
  • Engager une réflexion avec les associés afin d’améliorer l’information et la transparence en direction des provinces.
  • Mettre fin à la convention d’assistance administrative, financière et juridique avec la Sofinor.
  • Mobiliser les disponibilités de la société pour la mise en œuvre d’actions propres concourant à une stratégie de mise en œuvre de son objet social en faveur du développement économique.
  • Revoir les statuts et les pratiques internes afin de mettre les administrateurs de la SLN et d’Eramet nommés sur sa proposition en situation régulière par rapport à leurs obligations de discrétion et de respect des obligations de confidentialité ressortant de leur qualité d’administrateur.
  • Mettre fin aux demandes annuelles de reconduction du pacte d’actionnaires ou le résilier et le renégocier.
  • Engager un bilan sur l’exécution de ses missions par la STCPI et une réflexion de fond sur l’évolution de son rôle.
  • Proposer un nouveau modèle permettant d’assurer avec efficacité la représentation des intérêts calédoniens et la forme juridique permettant d’assurer la transparence et le contrôle nécessaire vis-à-vis des collectivités concernées.

La SLN, premier employeur privé de Calédonie

Encore un extrait de ce rapport, pour rappeler ce que la "Vieille dame" pèse en Calédonie. "Avec cinq centres miniers et une usine, la SLN est le premier producteur mondial de ferronickel et premier employeur privé en Nouvelle-Calédonie (2 150 salariés employés dans ses mines et son usine)", résume la Chambre. "Par ailleurs, environ 8 000 emplois indirects sont générés par son activité."

La société a un gisement minier composé de six centres miniers : Thio, Kouaoua, Népoui, Tiébaghi, Poum et Etoile du Nord. "Ces mines, exploitées à ciel ouvert et situées en général entre 500 et 1 000 mètres d’altitude, bénéficient de teneurs en nickel élevées à 2,45-2,50 % environ avec des teneurs de coupure de 1,7 à 2,0 % Ni." Une production surtout expédiée vers l’usine de Doniambo, à Nouméa, qui produit du ferronickel. 

Synthèse du rapport à lire ici (le document entier fait 170 pages).