Elle a le sourire et ne montre pas de traces de fatigue. Pourtant, à 56 ans, l'infirmière libérale Cécile vient de vivre une "période intense de stress". Depuis le début des émeutes, le 13 mai, elle ne s’est jamais arrêtée de travailler. Les premiers jours de crise, avant que l'état d'urgence ne soit déclaré, elle montait dans sa voiture avec "la boule au ventre" "À force d’entendre des choses sur les réseaux, on ne sait plus à quoi se fier", confie-t-elle."Au début des émeutes, on partait à deux infirmières dans la voiture, c’était plus rassurant. On avait surtout de l’appréhension, le bruit des sirènes. Une seule fois, on a fait demi-tour, au 4e Km. Le mot d’ordre de notre syndicat, c’était : 'si tu as peur, tu n'y vas pas.' Moi, personnellement, je n’ai pas eu l’impression de prendre des risques inconsidérés."
L'organisation dans le chaos
Barrages, contre-barrages, routes barrées... Depuis des semaines, elle serpente dans les quartiers de Nouméa. "Au tout début, c’était chaud. On allait voir les patients quand on n'avait pas de doutes sur les endroits et que les lieux étaient sûrs. Certains patients pouvaient prendre leur traitement grâce à la famille. Et puis, on a privilégié certains patients, qui étaient seuls ou avec des soins particuliers, comme en temps de cyclone en fait", explique l'infirmière.
L’organisation dans le chaos a été la clé pour assurer la continuité des soins. Cécile commençait sa tournée un peu plus tard que d’habitude, vers 6h30, et ne travaillait pas l’après-midi. Malgré la tension, elle a vécu de belles histoires. Comme au 4e Km où elle a pu accéder à la maison d'un petit garçon qui avait passé plusieurs jours sans soins. Le père l’a embrassée, lui a fait un café. "J’ai été super bien accueillie, du coup, j’ai fait une photo avec tous les enfants."
Accès aux tours de Magenta
Régulièrement pendant la semaine, Cécile se rend aux tours de Magenta. Même au plus fort des émeutes, elle a bravé les barrages. "Parfois j’ai eu peur, quand ils étaient nombreux sur le barrage. L’un des jeunes m’a dit : 'Si tu veux, je t'escorte' et voilà, je suis rentrée avec lui dans ma voiture". "L’accès aux tours était plus calme le matin", confie l’infirmière.
Cette fois-là, aux tours de Magenta, elle allait voir Simone, une mamie qu’elle soigne depuis longtemps. "Ça faisait quatre jours que je n’étais pas passée, elle avait besoin qu’on vienne pour son soin. Elle m’a prise dans les bras, j’avais la chair de poule, le mari pareil, il m’a remerciée dix fois. Elle était un peu gênée, désolée, de tout ça. J’ai fait une petite vidéo et en partant, elle m’a reprise dans les bras et m’a dit : 'Tu es aussi chez toi ici'. On était super émues toutes les deux", raconte Cécile, encore touchée du geste.
"Quand tu fais ce métier, il ne faut pas trop poser de questions"
Son métier d’infirmière, elle l’a, vissé au corps, depuis trente ans, dont quinze ans en bloc opératoire. "Tu sais, quand tu fais ce métier, il ne faut pas trop se poser de questions déontologiquement. Nous sommes là pour soigner et non pour juger. On a eu à soigner des plaies sur des émeutiers, on a aussi des patients que l'on connaît depuis longtemps avec un affect qui s'est développé au fil du temps", dit-elle.
Sur sa voiture, elle a écrit "infirmière" au marqueur blanc. Cécile estime qu'elle a eu de la chance d'avoir la majorité de ses patients à Nouméa. Elle a pu assurer une continuité de soins. Seul un patient a énormément stressé car il a dû manquer une dialyse. Certains de ses collègues en libéral n'ont pas eu cette chance. À Kaméré, ils ont vu leur cabinet incendié et n’ont pas pu exercer pendant presque trois semaines.
" Pour le moment, on bosse en bénévolat"
Près de 90 % de ses patients bénéficient de l’aide médicale gratuite ou de 100 % longue maladie, donc l'infirmière est payée par la Cafat. "Pour le moment, on bosse en bénévolat, cela fait des semaines que rien ne nous est versé. On sera payé, mais avec un gros retard, je pense", explique-t-elle. Comme les blocs opératoires n’étaient pas ouverts, elle n’a pas eu de nouveaux patients pendant trois semaines mais depuis quelques jours la reprise se fait tout doucement. "Maintenant, on est revenu à une tournée quasi-normale, avec 95 % de nos patients, mais l’avenir me paraît difficile. On vit au jour le jour, même dans nos tournées. Il y a un semblant de vie, pas d’agressivité, mais voilà, quand on voit ce qu’il y a autour…. Nous, on va continuer à travailler pareil ! "