Elle a fini par fondre en larmes, les mains sur son visage, recroquevillée dans le box. Avant de craquer, cette mère de famille de 32 ans, tee-shirt orange sur le dos, chignon haut et petites tresses, avait donné une désagréable sensation de détachement aux faits qui l’ont conduit devant le tribunal correctionnel de Nouméa. "C’était ça que vous vouliez ? Me voir pleurer ? Bien sûr que je regrette, ça me fait du mal ce que j’ai fait mais je ne voulais pas faire ça devant vous".
Issue d’une famille nombreuse défavorisée à Houaïlou, la prévenue avait réussi à s’accrocher, des espoirs d’une vie meilleure dans la tête. Elle avait réussi à décrocher un baccalauréat général avant de prendre la direction de l’Université pour des études de droit. Enceinte de son premier fils en deuxième année, elle avait décidé de tout abandonner pour se consacrer à son enfant puis à son deuxième bébé.
Seule, livrée à elle-même, sans trop de ressources financières, elle va inexorablement s’enfoncer sans jamais se relever. Ses enfants sont placés de familles d’accueil en familles d'accueil où ils subissent parfois des violences, et dès lors, elle nourrit un fort ressentiment à l’égard de la société et des décisions de justice qui l’éloignent de ses deux garçons.
Le 27 septembre dernier, au squat du Caillou Bleu, elle arrache ses enfants des mains de leur grand-mère, qui a obtenu depuis quelques mois la garde officielle. La prévenue frappe si fort sa mère qu’elle va jusqu’à lui perforer le tympan. Dans le langage judiciaire, on appelle cela une soustraction de mineur. Elle part alors se réfugier au squat de Yahoué dans une cabane sans électricité.
Le calvaire va commencer pour les garçons et notamment pour le plus petit. Âgé de 6 ans, il avait été éloigné de sa mère et placé en famille d’accueil alors qu’il n’était qu’un bébé de deux mois. "Je n’arrivais plus à le supporter, ce n’était pas moi qui l’avait éduqué. Quand je l’ai retrouvé, il ne voulait pas faire ce que je lui demandais. Il est pourri gâté".
"La peur a envahi son cerveau"
Le 6 janvier, parce que son fils ne veut pas faire ses devoirs et ne fait pas la vaisselle assez vite, elle s’en prend à lui en l’astiquant, passant un cap innommable dans les violences. Elle s’empare d’une large pelle et lui décroche un violent coup à la tête. Si fort que le manche en bois se brise. Elle continue dans l’insoutenable en lui assénant de nouveaux coups dans le dos et à la main.
Admis aux urgences pédiatriques, le petit garçon est aussitôt pris en charge. Le médecin relèvera des plaies, ecchymoses et cicatrices sur l’ensemble du corps, une fracture de la main et de multiples contusions. Le traumatisme psychologique est immense et encore difficile à évaluer.
Interrogés par les services de gendarmerie, les deux enfants évoquent des violences répétées pour un oui ou pour un non. Le plus grand, âgé de neuf ans, se souvient que le jour des faits, sa mère a hurlé qu’elle allait frapper son petit-frère "jusqu’à la mort". "Ce sont de petites punitions, ce ne sont pas des baffes violentes", exprime-t-elle devant la juridiction horrifiée par ce récit.
"Vous paraissez très distante. J’ai l’impression que les gens sont plus émus dans la salle que vous …", fait remarquer Céline Verny, la procureure de la République. Désormais placé dans une famille à Bourail, le plus petit des enfants "n'a qu’une angoisse, que sa mère le revoit. Ce petit garçon chétif s’est vu mourir devant la folie de sa mère. La peur a envahi son cerveau, et il est marqué dans sa chair par ces violences extrêmes", dénonce son avocate, Me Laure Chatain.
"Colère explosive"
La présidente Lise Prenel décrit un astiquage "insoutenable" et des photos des blessures de la victime "très difficiles à voir" avant que la procureure ne se dise inquiète "du profil difficilement réadaptable" de cette mère de famille qui "n’a aucune remise en question". "C’est incompréhensible pour nous de comprendre comment une maman peut en arriver là ...", continue la présidente. Dans un rapport, l’expert psychiatre n’a pas noté "d’anomalie psychiatrique" mais un "fond névrotique troublé", une "intolérance à la frustration", une "colère explosive" et des "carences éducatives et affectives".
Il est aussi mis en avant "une situation de misère sociale et un isolement" de cette maman. Par le passé, elle a été condamnée à plusieurs reprises pour s’en être pris à une pédiatre, à un juge d’application des peines, pour des menaces sur des éducateurs sociaux et un outrage à magistrat. Son avocat, Me Jean-Victor Bonifas, s’attarde sur l’enfance de sa cliente. "Elle a toujours baigné dans un contexte d’hyper violence de sa mère, de son beau-père puis après de son conjoint. De l’amour, elle n’en a jamais reçu", plaide-t-il.
Pas suffisant pour emporter la conviction du tribunal qui décide, après en avoir délibéré, de condamner cette mère de famille à la peine de cinq ans de prison, dont deux avec sursis probatoire, qu’elle effectuera derrière les barreaux du Camp-Est. Une peine complémentaire est venue alourdir la sentence : le retrait total de l’autorité parentale sur des deux enfants.