Courir sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres. Marcher, gravir, descendre. Ne faire qu'un avec le terrain. Sentir, prévoir, visualiser chaque pierre, chaque racine, chaque crête de sable ou tourbière. Se retrouver seul, dans la nature, avec soi. Souffrir. Prendre du plaisir, un peu. Beaucoup, c'est mieux.
Le trail. Chemin en français. C'est faire de la randonnée en courant. C'est alterner les modes de courses, la marche, la grimpette, le cardio, la descente, sur des terrains naturels. Le trail, c'est une discipline dans laquelle s'engagent ces deux hommes, à des niveaux différents. Morgan Hansen et Yvonnick Simon sont de vrais accros.
Et si j'allais courir hors des sentiers battus
Quand on demande aux deux sportifs les raisons qui, un jour, les ont emmenés loin des routes pour pratiquer la course à pied, la première réponse, esquissée avec un large sourire, est la même : "ce ne sont pas les mêmes sensations".
Courir en terrain naturel est forcément totalement différent que de faire son jogging sur une route en asphalte. Et pour les deux inconditionnels, même si l'expérience du trail diffère sur certains points, on trouve chez eux beaucoup de similitudes.
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Morgan Hansen pratique essentiellement le trail depuis 6 ans. Adepte de la course à pied avant cela, il est manifeste aujourd'hui pour le jeune homme que la manière d'approcher les deux disciplines est totalement différente.
En course à pied, tu cherches souvent à faire un temps, tu te fixes un objectif, une cadence, tant de kilomètres à la minute, ça rythme ton parcours. En trail, tu ne peux pas faire ça !
Morgan Hansen
Lors d'un trail, la technicité du terrain rentre en compte. Hors de question d'aborder un dénivelé de plusieurs centaines, voire milliers de mètres, de la même manière qu'un semi-marathon linéaire où le dénivelé est à peine plus important que celui de la route entre Miquelon et Langlade.
À ce sujet, le conseiller technique régional de football et coach sportif Yvonnick Simon, partage le même point de vue. Il n'en est pas à son coup d'essai en trail et même ultra-trail. Les années de pratique l'ont conduit à affiner son regard sur la discipline. "Quand j'ai commencé, le trail en était a ses balbutiements" lance-t-il avec un brin de malice, "et généralement, sur ce genre de course, on laisse sa montre de côté". Laisser sa montre de côté, parce que l'objectif du "chrono" n'est pas le même. "Enfin, ne l'était pas", témoigne Yvonnick.
Il y a eu une grande évolution dans la pratique du trail. Au début nous étions peu nombreux sur la ligne de départ à le faire pour le plaisir.
Yvonnick Simon
L'homme tempère tout de même. "Je l’ai déjà fait pour la performance, mais pas comme il se pratique à haut niveau aujourd'hui".
Industrie du trail, la nature en péril
"Et ce n'est pas le but !" lance Yvonnick Simon, "à la base, ce sont les vieux randonneurs, les amoureux de la nature qui se sont pris de plaisir pour cette discipline sportive". Yvonnick a d’ailleurs participé à des courses qui n'existent plus aujourd'hui, comme le Tour de France, au départ de Paris. 43 jours de course sur les sentiers de l'Hexagone, en étapes de 70 kilomètres par jour : "c'était comme une famille, on était une cinquantaine, un village qui se déplace d'étape en étape".
Sur ce point, encore une fois, les deux aficionados se rejoignent. Morgan Hansen dit se soucier de l'impact que peut avoir ce genre de pratique. "Il faut savoir qu'aujourd'hui, ceux qu’on appelle "les vrais", ceux qui le font pour le plaisir de courir en pleine nature, boycottent certaines courses, justement à cause des dégradations observées dues au nombre de participants". Plus une course devient populaire, plus elle aura un impact écologique et environnemental.
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Comme nous l'explique Yvonnick, l'industrie du trail y est pour beaucoup. Aujourd'hui, le trail se professionnalise : "on veut briller de plus en plus, par le nombre de performances effectuées, les courses se multiplient et il y a de plus en plus de monde sur les chemins". D'autant que maintenant, certaines courses permettent de gagner des points INTRA permettant de classer les coureurs et leur ouvrant ainsi les portes d'autres courses. "C'est la course au point" lance Yvonnick avec ironie.
En 2006, lors de sa participation à l'UTMB (Ultra Trail du Mont-Blanc), ils étaient moins nombreux sur la ligne de départ, et surtout ils ne postaient pas sur les réseaux sociaux leurs performances, ce qui a tendance à attirer de plus en plus de monde. "S'inscrire à une course, ce n'est plus comme avant. Maintenant, il faut s'y prendre parfois 2 ans en avance, c'est une machine infernale".
Le tableau n'est pas pour autant entièrement noir. Comme le souligne Morgan, "de nos jours de plus en plus de courses mettent en place des jauges". Le nombre de participants est limité sur la ligne de départ, justement pour éviter trop de désagréments. Nos deux sportifs admettent aussi que le Canada est plus alerte sur ces problématiques environnementales.
Il y a de moins en moins de goodies, de moins en moins de gobelets aux points de ravitaillement, il faut venir avec le sien. Les médailles sont souvent faites en bois et le nombre de participants est limité.
Morgan Hansen
Le trail, une passion avant tout
Si certains cherchent la performance avant tout, le trail reste une véritable passion. Pour Yvonnick, la pratique du trail, c'est une multitude de perspectives à la fois. C'est un voyage en soi-même déjà. Presque une thérapie, un moyen de se prouver qu'on est encore capable. "Moi, je l'ai vécu comme ça. J'étais footballeur, j'ai arrêté, il y a toujours un arrêt. Et puis le manque s'installe, le manque de sport, de compétition, franchir la ligne et on se lance" confie-t-il.
Après, l'homme reste conscient des dérives. "C'est une spirale. Plus on en fait, plus on a envie d'en faire. Mais cette spirale peut devenir dangereuse. Il faut faire attention à sa santé". Yvonnick alerte sur la boulimie du sportif, qui touche les ultra-trailleurs. "Il y a un risque de devenir asocial, de ne penser qu'à ça. Et ce n'est pas bon du tout. Il ne faut pas se couper du monde, le trail doit rester une passion !"
La passion pour Yvonnick, c'est la découverte et le partage. Dans ses meilleurs souvenirs, il notera le Tchad et sa course dans le désert de l'Ennedi. La Jordanie, avec un départ depuis la mythique cité de Pétra. L'Éthiopie ou encore sa traversée de 952 kilomètres des Pyrénées. La prochaine étape pour le sportif, le Treg dans le désert Algérien à la fin octobre. Il sera sur la ligne de départ pour un trail de 222 kilomètres sur 5 jours, en étapes, avec en prime des visites culturelles. Ce trail ne comptera que 50 participants.
De son côté, Morgan, encore jeune dans sa pratique, partage le même point de vue. Le trail, c'est une passion, mais ça ne doit pas prendre le pas sur la vie de famille, les amis, sur le travail.
Ce n'est pas l'entraînement qui règle ta vie. Il faut que l'expérience reste à ta portée et que ça ne devienne pas obsédant, sinon ce n'est pas la peine.
Morgan Hansen
Morgan prépare actuellement deux trails sur Terre-Neuve. Il participera aux 50 kilomètres de Twillingate à la fin du mois. Et se relancera sur les sentiers de l'East Coast Trail de St John's fin octobre. Un trail, lui aussi de 50 kilomètres, qu'il a déjà expérimenté l'an dernier.
Pour Morgan, le voyage et la passion du trail, ce n'est pas forcément de partir à l'autre bout du monde. Il a en tête quelques rêves qu'il aimerait réaliser chez lui. "Il y a un très gros potentiel trail à Miquelon" lance-t-il pétillant. Il nous confie avoir déjà une esquisse de circuit, dont il faut peaufiner le côté technique.
Peut-être plus simple à réaliser. Faire le tour de Miquelon-Langlade en autonomie, en bivouac, le tout en courant. Et pour cette épopée, Morgan cherche des compagnons de voyage, l'appel est lancé.