C’est un fait insolite qui est à l’origine du pèlerinage organisé chaque 30 août au Morne-Rouge. Il remonte à une mésaventure survenue au premier évêque de la Martinique, Monseigneur Étienne-Jean-François Le Herpeur, arrivé en 1851 en provenance de Douvres, où il officiait comme recteur de la basilique Notre-Dame de la Délivrande.
Monseigneur Le Herpeur faillit ne jamais débarquer sur l’île. Le bateau, où il avait pris place au départ de Brest, essuya une violente tempête durant la traversée. Le jeune évêque fit alors le vœu, s’il survivait, d’ériger une chapelle à la Vierge Marie et de lui consacrer son nouveau diocèse. Finalement, les flots s’apaisèrent et le voyage s’acheva dans de bonnes conditions.
Dès sa prise de fonction, le prélat honora son serment. Il fit construire dans la commune du Morne-Rouge, grâce aux bras de la population et aux dons venant de toute l’île, un sanctuaire dédié à Notre-Dame de la Délivrande, avec un bel autel en marbre de Carrare et une imposante statue de la Vierge et de l’Enfant Jésus commandée auprès d’un sculpteur normand.
Les femmes martiniquaises offrirent leurs plus beaux bijoux pour réaliser les deux riches couronnes qui furent posées sur la tête de la statue de Notre-Dame et de celle du Christ lors de l’inauguration, devant quinze mille personnes, de la basilique, le 8 décembre 1868.
Une explosion du catholicisme en Martinique après 1848
Monseigneur Le Herpeur institua également, dès son arrivée, un pèlerinage diocésain en l’honneur de Notre-Dame de la Délivrande, qui devait drainer chaque année une foule considérable venue de toutes les paroisses de Martinique.
Le catholicisme connut d’ailleurs à cette époque une explosion sans précédent, alors que, jusqu’ici, la pratique religieuse était freinée par l’esclavage, incompatible avec le message biblique que les prêtres cherchaient à inculquer à ces hommes, femmes et enfants dont l’Église avait avalisé la servitude.
De plus, les maîtres voyaient d’un mauvais œil l’évangélisation des esclaves, susceptible de les enhardir et de provoquer un jour ou l’autre une agitation sociale. Du coup, ils refusèrent, pour la majorité d’entre eux, de laisser les ecclésiastiques entrer sur leurs habitations. Quant aux esclaves eux-mêmes, ils avaient trop à faire le dimanche pour aller à la messe. C’était le jour où ils cultivaient leur jardin personnel afin de se procurer de quoi manger. Quelques-uns, néanmoins, étaient assidus à l’église. Mais ils ne formaient qu’une minorité.
Tout change avec l’abolition en 1848, d’autant que le gouvernement, pour assurer une transition en douceur, décide de jouer à fond la carte de l’Église catholique en créant un évêché en Martinique et en donnant les moyens au clergé de christianiser massivement. C’est le triomphe par exemple des Frères de Ploërmel, une congrégation religieuse laïque d’enseignants qui peinait jusqu’alors, face à l’hostilité des maîtres, à instruire les esclaves.
En 1850, elle gère, avec ses trente-quatre catéchistes présents sur l’île, onze écoles élémentaires, accueillant plus de trois mille élèves. En 1875, ils sont quatre-vingt-neuf catéchistes et administrent trente-cinq écoles où ils instruisent cinq mille cinq cents enfants. Six autres catéchistes de la congrégation ont mission, quant à eux, de sillonner la Martinique et d’évangéliser à domicile, voire sur le lieu de travail des nouveaux affranchis.
Le résultat ne se fait pas attendre. On baptise à tour de bras. Au Lamentin, les demandes de premières communions sont si nombreuses – trois cents en moyenne chaque année – que le curé est obligé d’organiser deux sessions, une pour les adultes et une autre pour les plus jeunes, tant il craint de ne pas pouvoir, à lui seul, confesser tout le monde.
À Fort-de-France, les curés ont du mal, lors des grandes fêtes religieuses, à faire face aux demandes pléthoriques de confessions, si bien que, une fois, selon un témoignage de l’époque, "on dut suspendre à trois heures du matin, faute d’hosties, la communion qui se donne après la messe de minuit".
C’est l’époque où fleurissent des symboles catholiques – statues, croix, autels – à la croisée des chemins un peu partout sur l’île, mais aussi à l’intérieur des maisons, transformées pour la plupart en véritables chapelles, avec une "grande étagère fixée au mur, sur laquelle sont placées des croix et des images saintes, avec des vases de fleurs et des cierges qui brûlent pendant la nuit".
C’est dans cette ambiance de ferveur que grandit l’une des premières grandes figures féminines de l’Église martiniquaise, Laure Sabès. Issue d’une famille de Saint-Pierre, elle décide de se consacrer à la dévotion de la Vierge à la suite d’une vision qu’elle a eue lors d’un pèlerinage au Morne-Rouge.
Laure Sabès fonde la congrégation des religieuses de Notre-Dame de la Délivrande, qui accueille de jeunes Martiniquaises désireuses de prendre le voile, mais aussi des candidates extérieures. La communauté prospère tant et si bien qu’elle ouvre en 1888, au François, une petite antenne composée de deux ou trois sœurs.