Christian Karembeu : son sentiment sur le référendum en Nouvelle-Calédonie

Le champion du monde de football 1998 se confie sur le scrutin d'autodétermination, sur les problèmes de l'archipel et sur ses racines kanakes.
Christian Karembeu, né en 1970 sur l'île de Lifou, a suivi de près le référendum, dimanche 4 novembre. Arrivé en métropole en 1988, l'année de la prise d'otages tragique de la grotte d'Ouvéa, le Kanak a toujours défendu sa culture et ses racines. Aujourd'hui ambassadeur de la Fifa en Océanie et directeur sportif du club grec de l'Olympiakos Le Pirée, l'ancien joueur avait accepté de répondre aux questions de franceinfo à quelques jours du scrutin.
 

Vous avez exprimé à plusieurs reprises votre attachement à la culture kanake, êtes-vous favorable à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie ?


Christian Karembeu : Il faut d'abord remettre l'histoire en place, depuis le début jusqu'à aujourd'hui. Pourquoi existe-t-il une envie d'indépendance ? Je crois que la France le sait très bien. Cela fait partie du processus, depuis les accords de Matignon [en 1988] et ceux de Nouméa [en 1998] jusqu'à aujourd'hui, tout a été signé par les différentes parties. Aujourd'hui, le mot "indépendance" est obsolète. On va être indépendant de quoi ? L'idéologie au départ est de rendre le pays aux natifs. Mais aujourd'hui, on a une nouvelle génération de l'internet, qui n'a pas connu les violences et cette envie d'indépendance, d'émancipation culturelle et identitaire. Le mot "indépendance" est périmé aujourd'hui.

A l'heure de la globalisation, on interagit, on fait du commerce avec ceux qui nous entourent dans la région : le Japon, la Corée, la Chine, l'Australie... La réalité économique est là, et la France métropolitaine est assez éloignée.

Par ailleurs, il y a toujours un problème avec le coût de la vie. Les denrées et les produits sont toujours très, très, très chers par rapport au coût de la vie calédonienne. Si vous achetez une voiture en France, elle est cinq fois moins chère qu'en Nouvelle-Calédonie. Cela veut tout dire.
 

Selon vous, cette indépendance est donc inéluctable ?


En fait, il faut d'abord réécrire, réapprendre l'histoire du pays. Avant d'aller voter, il faudrait que toutes les personnes vivant en Nouvelle-Calédonie connaissent l'histoire du "caillou". Il y a des fondamentaux à respecter. Il y a eu deux colonies de peuplement dans l'histoire de la France : l'Algérie et la Nouvelle-Calédonie. A un moment donné, il faut connaître l'histoire. L'Algérie a connu des bains de sang, des déportés, des emprisonnements, des meurtres, des violences...

Il s'est passé presque la même chose en Nouvelle-Calédonie avec une petite guerre civile, si on peut dire ainsi. Il faut comprendre pourquoi on en est arrivé là. Et ça, la nouvelle génération ne le sait peut-être pas. Il faut que dans les écoles, on puisse apprendre l'histoire du pays, parce que dans ma jeunesse et celle de mon père, c'était le général de Gaulle et nos ancêtres les Gaulois qui étaient au programme.

Il faut réécrire l'histoire et approfondir avec les nouvelles générations. Les acteurs de ce pays, qui ont vécu ici depuis 200 ans, ont aussi le droit à la parole. Et la volonté de certains de rester avec la France est compréhensible. Mais encore une fois, il faut surtout connaître l'histoire des uns et des autres.
 

Soutenez-vous le "oui" à l'indépendance ?


Peu importe, si c'est "oui" ou "non" dimanche. Moi, c'est le futur qui m'intéresse. Toute ma famille vit sur place. De temps à autre, je vais les voir. Toutes mes racines sont là-bas et j'ai envie que les personnes que j'aime vivent bien. On a tout pour ça : pas de famine, pas de maux. 

Ensuite, si on pense à l'indépendance, il faut trouver des solutions politiques. Le mot démocratie doit apparaître quelque part, car il est important d'éviter un pouvoir autoritaire avec un dictateur. L'objectif est de rester ce que nous sommes aujourd'hui, en intégrant encore mieux les gens et en vivant des ressources du pays.

Mais les partis politiques qui existent en Nouvelle-Calédonie retournent leur veste à chaque fois. Alors moi ça va, ça suffit. Pour arriver à l'indépendance ou à une vie politique normale, il faut que certains politiques proposent des idées pour le pays, dans son ensemble.

Quand la France a mis en place en 1988 les trois provinces [la province Sud, la province Nord et la province des îles Loyauté], c'était aussi une manière de diviser le pays. Mais si on veut construire un pays, il faut parvenir à l'unité. Pour le bon déroulement du vote, il faudrait aussi recenser les personnes sur place, car cela fait des années que l'on n'a pas fait de recensement. Avant d'aller véritablement aux urnes, il faut savoir qui est là, depuis quand.

Pour l'instant, c'est un territoire français et avec l'immigration, il peut arriver de nombreuses personnes, ce qui peut fausser le résultat des urnes. Il y a une loi qui a été faite [pour fixer les conditions d'accès au référendum], mais rien n'a jamais été fait au niveau du recensement.

 

Les sondages donnaient le "non" largement en tête. Comment l'expliquez-vous ?


Je pense que c'est par rapport aux emplois, à la santé... C'est malheureux de voir qu'il y a des pauvres dans mon pays, alors que nos ressources nous permettraient d'être parmi les premiers mondiaux et de bien vivre. Comment cela se fait-il qu'elles ont été mal partagées ? Je ne sais pas, mais cela fait 200 ans que le nickel est exploité et cela ne revient pas à la Nouvelle-Calédonie et à son peuple. Il y a des choses à rectifier. 
 

L'histoire récente de l'archipel a parfois été marquée par des violences entre les communautés. Ne craignez-vous pas un retour de ce phénomène ?


Je ne l'espère pas. On est assez intelligents et on prône le vivre-ensemble au pays, la vie en communauté. "Si tu n'es pas là, je ne suis pas là" : c'est notre leitmotiv en Nouvelle-Calédonie.
Et avec l'indépendance, il ne faut pas faire peur aux gens. L'indépendance, c'est être libre, mais ensemble. Cela ne veut pas dire se séparer. Certains partis politiques prônent ces idées-là, avec une séparation des communautés. Mais c'est complètement faux. L'indépendance, c'est vouloir être libre par rapport à un système ou à un gouvernement, et de vouloir être rassemblé dans un pays qu'on a construit ensemble pendant des années et des années. Nous vivons dans ce pays. Nous pouvons en faire un modèle dans le Pacifique.

 

Certains problèmes semblent pourtant difficiles à régler...


Il reste effectivement du travail. Un exemple : quand j'organise des tournois en Nouvelle-Calédonie, je fais les finales dans le nord de l'île [majoritairement habité par les Kanaks et plus défavorisé]. Mais la plupart des enfants, comme leurs parents, ont peur d'y aller. Il y a encore des zones d'ombre à éclaircir dans ce pays. Le vivre-ensemble doit se ressentir, sans ressentiments du passé, sans communautarisme. Parce qu'à l'arrivée, chacun reste chez soi, on ne se rencontre pas, on ne discute pas... Un pays ne se construit pas comme ça.
 

Une partie des Kanaks semblent tiraillés entre leur culture d'origine et un fonctionnement plus individualiste apporté de la métropole, le ressentez-vous ?


Oui, c'est tout à fait normal. On a tenté d'uniformiser à partir d'un système capitaliste et européen. On a uniformisé les aliments, les idées... et à l'arrivée, tout le monde devrait faire la même chose. On ne peut pas arriver dans un pays et dire : "Il faut faire comme ci, comme cela, parce que c'est le droit et la justice." Il faut prendre en compte celui qui est là et voir comment il vit.

Quand on arrive à l'école et qu'on ne peut pas apprendre l'histoire de notre pays, cela veut tout dire. Quand vous êtes à Cuba, vous parlez d'abord de Fidel Castro et de Che Guevara, avant de parler des Etats-Unis. Et dans tous les autres pays, c'est pareil. Mais chez nous, non. Pour aller vers l'indépendance, il faut d'abord savoir qui nous sommes.
 

A votre arrivée en métropole en 1988, qu'est-ce qui vous a le plus marqué par rapport à votre vie en Nouvelle-Calédonie ?


En 1988, j'arrive au moment des troubles qui sévissaient en Nouvelle-Calédonie, avec le groupe d'Ouvéa, etc. Moi j'ai vécu, j'ai vu... et je me souviens notamment de la communication des journalistes très pro-français par rapport à ces événements. On parlait de bandits, de rebelles, qu'ils étaient mauvais. Pour moi, ce sont des cousins, des frères. J'ai vécu avec eux, je sais comment cela se passe. 
 

En 1998, avant la Coupe du monde, une polémique éclate quand vous déclarez jouer avec la France pour être "une vitrine" pour votre "peuple et ses problèmes". Avec le recul, diriez-vous la même chose aujourd'hui ?


J'ai porté le maillot des Bleus avec beaucoup de fierté. Mais quand je prends la parole à cette époque, je connais l'histoire de mon pays. J'ai failli mourir dans ce contexte. A 15-16 ans, on fait des manifs et après, il y a des balles perdues. Des étudiants ont été tués et j'étais dans ces manifestations, et la balle aurait pu... Enfin bref, cela fait partie de ma jeunesse.

J'ai perdu des amis, de la famille. Ils sont partis, mais l'idée est restée. Et il faut aussi respecter leur volonté, respecter ceux qui sont morts. Moi, le foot m'a donné la force d'être là aujourd'hui et de pouvoir continuer à travers mon sport à transmettre l'envie de liberté. La France a connu aussi cette envie de liberté, elle est allée dans la rue, elle a fait la révolution. C'était aussi notre cas quand on manifestait, quand on organisait des marches non-violentes et qu'on était gazés par des lacrymogènes. On prônait la liberté. 

La démocratie et la liberté d'expression étaient en France, et en Nouvelle-Calédonie, je ne pouvais pas marcher dans la rue, je ne pouvais pas défiler. Il y a des contradictions que je n'ai pas comprises. Donc j'ai utilisé cette liberté d'expression. C'est la démocratie. Evidemment, cela peut être dur à entendre, mais ce sont des vérités. Pareil sur Moruroa, quand je me suis exprimé contre les essais nucléaires. Quand je prends la parole, je suis nature, je suis sincère.
 

Vous avez également toujours refusé de chanter La Marseillaise. Votre position n'a pas évolué ? 


Mon père – paix à son âme – était professeur d'école. Cela voulait tout dire pour lui l'Education nationale. Quand on parle de La Marseillaise, il faut savoir que dans toutes les écoles de Nouvelle-Calédonie, c'est une obligation de connaître la Marseillaise, la cartographie de la France et l'histoire de France. Il fallait se mettre en colonne avant de rentrer dans l'école et saluer le drapeau. Est-ce qu'on fait ça en France ? Non.
 

C'était donc un signe de protestation ?


Oui, comme pour mes cheveux. Comme mon père me coupait souvent les cheveux, je les ai laissés pousser. Ça me permettait aussi de montrer qui j'étais en tant qu'individu. Après évidemment, La Marseillaise je l'ai dans la peau et je peux la chanter. Mais simplement, en tant que sportif de haut niveau, c'était difficile de mettre ce maillot avec beaucoup de fierté et en même temps de représenter un pays qui avait tué des membres de ma famille et des amis. C'était difficile, mais c'est comme ça. C'est mon histoire et celle de mes deux pays.
 

Souhaitez-vous retourner vivre un jour en Nouvelle-Calédonie ?


J'ai tout là-bas. Je rends visite souvent à ma famille, j'ai mes terres, j'ai ma case sur place – comme on dit dans mon jargon. J'espère y retourner un jour. J'irai avec mes petits-enfants, on va dire ça [rires]. 
 

Songez-vous à vous lancer dans la politique, à l'image d'autres footballeurs comme George Weah ?


[Rires] Non, je préfère rester dans ma position et réveiller les consciences par rapport aux abus, aux injustices. J'ai vu ce que la politique a fait chez moi, et c'est pour cela que je peux dénoncer. Je préfère rester dans ce rôle-là, pour l'instant. Après, on verra... ce sont des sujets très profonds. Il faut avoir du temps pour réfléchir, car une politique, c'est aussi une pensée philosophique.