Le foncier, une question épineuse en Polynésie

C'est la problématique abordée par "Ma'ohi Nui, terre de marchandises", un documentaire de Benoît Tarahu et Jeanne Phanariotis, diffusé dans la sélection hors compétition du 17e FIFO.
"Ma'ohi Nui, terre de marchandises" est un film de Benoît Tarahu et Jeanne Phanariotis. Projeté dans la sélection hors compétition du FIFO, il revient sur un problème épineux en Polynésie française : le foncier et, en particulier, l’indivision pratiquée ou subie par la population. On compte pas moins de 1 040 indivisions entre Tahiti et Moorea. Cette question majeure, à l’origine de nombreux conflits, est posée au Pays qui a ouvert un tribunal foncier en 2019. Le documentaire revient sur l’histoire du droit foncier en Polynésie, qui, avant la colonisation était gérée par la communauté, la propriété individuelle n’existant pas. Les deux réalisateurs suivent le cas de familles aujourd’hui expulsées avec ou sans raison de leur terre, ils racontent les conséquences de la législation et les batailles juridiques. Ils reviennent sur ce lien viscéral à la terre et à la mer du Polynésien et ce combat qui avance difficilement pour revendiquer leurs terres. Quelles sont les solutions ? Est-ce que la Polynésie souhaite une gestion collective ou à l’européenne, à titre individuel ?
 

Benoît Tarahu et Jeanne Phanariotis posent beaucoup de questions qui nécessitent aujourd’hui des réponses. Rencontre. 
 

 

Pourquoi s’être intéressé à cette problématique du foncier en Polynésie française ?



Benoît Taharu : J’ai vécu ce problème personnellement, je fais partie des familles qui ont été expulsées. C’est d’ailleurs ça qui m’a poussé à faire un film, je n’en pouvais plus. Et, je ne suis pas seul car beaucoup de famille sont désunies et n’ont pas les moyens de payer les frais de partage et d’avocat. Le gouvernement aussi n’arrive plus à gérer même s’il propose des aides et des moyens comme le tribunal foncier. Mais je ne crois pas qu’il soit une solution, en tout cas lorsque tu entends la réaction des gens, cela n’a pas réglé le problème. 

Jeanne Phanariotis : La grosse problématique est surtout la manière dont les familles gèrent leur histoire. Je me suis rendu compte qu’elles avaient énormément de problèmes familiaux. Du coup, le tribunal n’a pas vraiment fait avancer les choses. Il y a certes un jugement qui est rendu et un verdict qui est tenu, mais il ne peut pas contenter tout le monde. Sur les 1 180 dossiers qui ont été mis sur la table du tribunal, aujourd’hui on est à peu près 580 dossiers en attente de verdict. Donc, oui, cela a fait évoluer les choses mais pas dans le sens des familles encore plus divisées. 
 

Quelles ont été les difficultés rencontrées pour faire le film ? 


Jeanne Phanariotis : On s’est parfois retrouvé face à des personnes qui n’ont pas voulu accorder d’interview car elles se sentaient mal à l’aise, même politiquement. Le sujet est tellement chaud qu’elles craignaient qu’on mette de l’huile sur le feu. Au niveau politique, on nous a clairement fait comprendre que si certaines personnes n’apparaissaient pas à l’écran, on était interdit d’antenne. On a eu des personnes politiques haut placées qui nous ont menacés. Notre intention n’était pas de diviser mais d’apporter un éclairage nouveau, ce qui n’a pas été compris en face. C’est très révélateur de l’importance de la problématique. On a rencontré de réelles oppositions mais aussi un bel accueil. A la sortie de ce documentaire, on s’est rendu compte que cela a apaisé énormément de gens parce que finalement ils ont pu se libérer en me parlant de choses qu’ils ne disaient pas vraiment. Ils ont pu mettre le doigt sur des difficultés internes à la famille comme des problèmes de premier, deuxième ou troisième lit, ou encore des histoires de filiation. On a surtout permis à des personnes de se reconnecter. Ce qui est aujourd’hui est encore difficile, mais on a pu être un maillon de cette liaison. En ça, on a été novateur. 

Benoît Tarahu : On a essayé d’avoir beaucoup d’associations mais même là il y a des conflits. Il y avait cette crainte que si on les voyait à la télévision alors qu’ils attendaient des aides, elles ne leur soient pas attribuées.

 

Était-il important de faire un film sur cette problématique aujourd’hui ? 


Jeanne Phanariotis : Ah oui. On a d’ailleurs explosé le taux d’audimat à Polynésie la 1ère, le soir de la diffusion. Et surtout, on a eu de réels échanges. Aujourd’hui à Mataiea, il y a d’ailleurs une association qui s’est constituée en tomite et qui va, plutôt que de vendre leur terrain, élire des sages pour fédérer les familles. 

Benoît Tarahu : Ce film, on l’a fait avec nos propres moyens car il était nécessaire de le faire. C’est un investissement et cheminement personnel. Je l’ai fait pour moi mais aussi pour les Polynésiens. Il y a encore des expulsions en ce moment et il y en a beaucoup. Pour moi, il y a un vrai problème politique derrière tout ça. La cause des problèmes, c’est l’Etat. La solution est que l’Etat prenne en charge ce problème, de ne pas faire payer les gens, car ce sont eux qui ont créé ça.