Saisis, procès, détention… Les premières images du documentaires plongent l’assemblée du Grand Théâtre au cœur du sujet. Elles dévoilent la portée de cette drogue appelée ice qui circule depuis plus de vingt ans sur le territoire polynésien. Les élèves des lycées et collèges de Tahiti, venus à cette projection dans le cadre de la journée scolaire organisée par le festival, sont silencieux, absorbés par ces histoires. La réalisatrice a pris le parti de tendre le micro aux (ex)consommateurs, de faire entendre leur voix et leur histoire, à la fois si personnelle et pourtant si commune. Aujourd’hui, les autorités estiment à un peu plus de 10 000 le nombre de consommateurs mais la réalité est tout autre. Dans chaque famille, il y a au moins un membre qui a déjà fumé de l’ice. C’est dire à quel point cette drogue s’est banalisée au sein de la société polynésienne. C’est dire aussi l’importance de montrer un tel documentaire aux jeunes générations. Car si un documentaire raconte des histoires, il a aussi un autre rôle : celui de prévenir et de sensibiliser. A travers trois personnages, André, Vanina et celui que l’on appelle M., Lucile Guichet-Tirao, journaliste émérite, dévoile des pans de vie détruits par cette drogue. Une vie sociale inexistante, une famille déconstruite, une vie professionnelle absente et une santé qui en prend un coup.
Un problème de santé publique
« Que deviennent ces personnes accros ? », interroge un élève de 4e à la réalisatrice à la fin de projection. « Certains s’en sortent d’autres non. Ça demande beaucoup de volonté personnelle et de soutien. Mais comme nous n’avons pas de centre de désintoxication et d’hospitalisation en cure ici, c’est difficile pour eux », répond la réalisatrice qui fait face à l’assemblée, debout sur la grande scène. Dans son documentaire, à travers la parole des personnages, elle pointe du doigt cette absence d’accompagnement et de suivi des personnes addicts à cette drogue surnommée « sana » en Polynésie française. « Votre film est donc un moyen de dénoncer ce manque d’aides ? », interpelle un autre élève, du lycée Paul Gauguin. « Oui, car le seul projet aujourd’hui qui existe est un centre avec huit lits d’hospitalisation pour les toxicomanes. Alors qu’il s’agit d’un vrai problème de santé publique ». Malgré les prix exorbitant pour se procurer cette méthamphétamine, qui se vendait avant la crise covid à 200 000 Fcfp le gramme mais qui coûte aujourd’hui à 600 0000 Fcfp, le nombre de consommateurs ne diminue pas pour autant. « Plus les tarif augmentent plus la délinquance et la violence augmentent. Car même si on a un salaire, il est impossible de se payer ça », analyse très justement la journaliste.
Montrer pour parler aux plus jeunes
La projection s’est terminée sous les applaudissements des élèves. Le documentaire a marqué et a parlé à cette jeunesse, premier public confronté à l’ice. « C’est un très bon film. J’avais une idée de cette drogue et ses effets mais là j’en sais plus. Il montre qu’on doit faire vraiment attention », admet ce jeune élève de 1er au lycée Paul Gauguin. Son collègue, Teuiarii, 16 ans, a lui été touché par le parcours des protagonistes. Prisons, addiction… Les personnages racontent sans filtre leur descente aux enfers, ils racontent aussi comment ils luttent pour en sortir et ô combien il est difficile de s’en détacher. « C’était méga car on parle de chose dont on entend souvent parler. On dit que c’est dur mais on ne sait pas à quel point. Mais, là, on a vraiment senti avec les personnages à quel point c’est difficile psychologiquement et émotionnellement ». Si les jeunes collégiens et lycéens sont entrés l’esprit léger, ils sont sortis de cette projection avec cette réflexion : celle d’éviter de tomber dans cet engrenage qui n’apporte que destruction. « On connaît l’ice mais ce film nous donne pas envie d’en consommer », confie ce jeune adolescent de 3e au collège Maco Tevane. Le documentaire aura donc tenu pleinement son rôle, celui de faire passer le message…
Trois questions à Lucile Guichet-Tirao, journaliste et réalisatrice.
Tu as mis un peu plus d’un an à réaliser ce documentaire, était-il difficile à faire ?
Ça été difficile parce que ce sont des gens qui sont insaisissables. Des fois, on convient d’un jour de tournage puis finalement au dernier moment, ils ne peuvent pas. C’est la seule difficulté. Après, ce qui nous a tenu à cœur, justement, est de les suivre sur le long terme pour voir l’évolution et pour voir comment ils s’en sortaient ou pas ! C’était donc important de faire ça sur le long terme et de les voir régulièrement.
On sent bien dans le film l’impact de cette drogue dans la vie de ceux qui la consomment, une réalité qu’il fallait montrer ?
Oui, il fallait en parler. On entend souvent parler des affaires qui passent au tribunal ou des règlements de compte qu’il peut y avoir mais derrière cette violence, la réalité est que des centaines de familles sont touchées. On n’a pas de chiffres précis mais aujourd’hui on parle d’une fourchette entre 10 000 et 20 000 consommateurs, cela veut dire qu’il n’y a pas aujourd’hui une famille qui ne soit pas concernée, qu’il n’y a pas un frère, une fille, une cousine, un oncle qui soit concerné par la consommation de méthamphétamine.
Était-ce important de le montrer aux jeunes générations ?
De voir des gens qui s’expriment et témoignent avec beaucoup de courage, j’espère que ça peut résonner à ce public jeune, que ça peut leur parler. Car témoigner à visage découvert sur une petite île, ce n’est pas facile, je remercie beaucoup les personnages qui ont eu ce courage-là. Ils ont d’ailleurs souhaité participer au film pour justement faire passer un message, qu’il soit entendu. Par Suliane Favennec