Ce documentaire poignant montre à quel point le racisme et la discrimination sont encore d’actualité dans la société australienne. Rencontre avec le réalisateur, Alan Clarke.
L’endroit est emblématique et tire sa force de son somptueux banian. C’est ici que se passe une partie du FIFO, c’est ici que les réalisateurs et les producteurs viennent parler des histoires de l’Océanie.
Sous le paepae a Hiro de la Maison de la Culture, les Inside the doc offrent un échange entre les faiseurs de film et les festivaliers.
Mardi, Alan Clarke est venu s’asseoir pour prendre le temps de raconter son film The Bowraville Murders. On est 1990, au pays de Gumbayungi en Australie. En quelques mois, une jeune femme, un enfant et un adolescent disparaissent.
Les familles partent aussitôt à la recherche de ces trois jeunes aborigène. La police, elle, prend les choses plus à la légère. Dès le début de l’affaire, les autorités ne croient pas au meurtre. Pire, elles suspectent les proches des disparus. La police n’envoie d’ailleurs pas d’enquêteur criminel mais un agent de la protection de l’enfance.
Un homme qui va enquêter au sein des familles, qui va aller voir s’il n’y a pas eu d’abus ou de négligences sur les enfants.
« C’est intéressant car l’histoire se répète. Ces brigades de protection de l’enfance ont aujourd’hui une forme différente mais elles sont issues d’anciennes unités du gouvernement en charge d’enlever les enfants aborigènes pour les placer dans des institutions religieuses ou autres. On a ici le même mécanisme », explique le réalisateur, journaliste d’investigation spécialisé dans les questions aborigènes.
Une lutte intergénérationnelle
Dans ce film, la négligence de la police est exaspérante, insupportable. Elle est pourtant le reflet de la ségrégation dans cette ville Bowraville où la communauté aborigène vit à l’écart, où le monde des blancs et celui des noirs ne cohabitent pas.
C’est d’ailleurs tout l’enjeu de ce documentaire, celui de montrer que le racisme est encore bel et bien présent dans la société australienne. « Je voulais donner un contexte : expliquer pourquoi et comment le racisme institutionnel existe à la fois au niveau de la police et de la justice, et comment ce racisme a un impact sur les familles aborigènes. »
Si la police n’a pas fait son travail, la justice n’a pas non plus rendu justice. Les familles se battent depuis près de 30 ans pour que le principal suspect de ces meurtres soit jugé puis rejugé.
La seule façon d’y parvenir est de modifier la législation et cette fameuse loi britannique dite de « double incrimination ». Malgré sept rejets dont un de la plus haute juridiction, les familles ne lâchent pas le combat. Il s’est même transmis de génération en génération.
Hier, il était celui des parents, aujourd’hui, il est celui des enfants et petits-enfants.
« La nouvelle génération a pris en main ce combat. Elle s‘est imprégnée de cette lutte constante. Au départ, les parents ne voulaient pas transmettre ce fardeau mais ça s’est fait naturellement. Je pense, donc, que ça ne s’arrêtera jamais ! », raconte le réalisateur à qui il aura fallu cinq ans pour terminer ce film dont le tournage aura été particulière éprouvant et difficile. Il faut dire que la majeure partie des séquences se sont
faites en pleine crise covid avec, donc, toutes les restrictions qui en ont découlées.
«On avait une infirmière spéciale covid pour s’occuper de l’équipe mais aussi des psy pour les familles. Sans parler de toutes les formalités à remplir pour être dans les clous en terme de sanitaire. »
Confronter la réalité
Des conditions compliquées qui n’ont pas eu raison de la détermination du réalisateur.
D’origine aborigène, Alan Clarke sait à quel point il est, encore aujourd’hui, difficile de parler de ces histoires. Ce n’est pas pour rien que l’on parle toujours du « grand silence australien ». « C’est très difficile d’impliquer le public australien dans une histoire comme ça. On n’aime pas ouvrir cette porte du passé car si on l’ouvre, on ne pourra jamais la refermer. Mais moi, je voulais être cru, je voulais confronter cette réalité. Lors des projections, on a eu pas mal de retours racistes ».
Dans ce vaste territoire qu’est l’Australie, beaucoup de personnes sont encore coupées des histoires indigènes, qui ne sont pas racontées et enseignées à l’école.
« Certains n’ont parfois jamais rencontré un aborigène. Mais, heureusement, la nouvelle génération est plus ouverte à cette question », rassure le réalisateur.
Il confie d’ailleurs que l’un des grands donateurs financier du film est un jeune Australien, qui a, donc, cru en cette histoire. Une histoire essentielle pour continuer de parler de ce racisme omniprésent et de l’injustice que vivent les aborigènes. Une histoire qui grâce au film tient un rôle de révélateur de vérité.