Gaston Flosse : la politique, l'amour de sa vie

Gaston Flosse
À 92 ans, Gaston Flosse vient certainement de participer à ses dernières élections. L'homme pensait pouvoir gagner une dernière fois en s'alliant à son ennemi de dix ans, il a finalement perdu. Un coup dur pour celui qui a longtemps été considéré comme le père des Polynésiens. Retour sur un personnage incontournable du paysage politique du fenua.

« Il faut avouer, il a attendu 46 ans, il a créé son parti en 1977 mais ce n’est qu’en 2023 qu’il devient président (…) Ce n’est pas une défaite pour les Rouges et les Oranges, c’est une victoire pour les Bleus ». Difficile pour Gaston Flosse d’admettre la défaite au soir du deuxième tour. La mine déconfite, l’homme est pourtant obligé d’accepter l’inacceptable : son plus grand rival lui a volé la vedette. Oscar Temaru a remporté ces Territoriales, les indépendantistes vont donc prendre le pouvoir. Un coup dur pour le Vieux lion. « Si on gagne, je pars en beauté, je ne veux pas partir par la petite porte », assurait-il assis sur son siège du bureau du Amuitahiraa, à côté du marché de Papeete, quatre jours avant que le couperet tombe. À cet instant, l’homme y croyait encore. Les portes de la Présidence étaient à portée de main. Il a d’ailleurs mis toute son énergie pour goûter une dernière fois au pouvoir. Quoiqu’il en coûte… « Je suis parti aux Raromatai pour cet entre-deux tours, Pascale m’a disputé, elle a dit que si je continuais j’allais crever ». Après dix années à fustiger son fils prodigue, Edouard Fritch, il s’est allié à celui qui était pourtant devenu un traître à ses yeux. Une alliance étonnante et déroutante qui lui a sûrement coûté la victoire. Mais Gaston Flosse était bien déterminé à finir sa carrière politique, en beauté. Rien ne pouvait donc l’arrêter.

Gaston Flosse

Jeudi, trois jours avant le second tour, l’homme a offert une prestation digne du Flosse au temps de sa splendeur. La bête politique était de sortie pour ce dernier meeting avant élection. Assis entre d’Edouard Fritch et sa future femme Pascale Haiti, enfoncé dans son siège, la tête souvent baissée, il a sagement attendu son tour, écoutant les candidats du Tapura faire leur discours. Si on ne connaissait pas le personnage, on pourrait croire à un papi fatigué. Que nenni… Une fois debout à la tribune, c’est un tout autre homme qui s’est révélé. Droit, animé, habité par ses mots, Gaston Flosse a fait un one man show de près d’une heure. Il connaît très bien les Polynésiens, il sait comment leur parler, en français comme en tahitien, il sait comment attirer leur attention. Il joue avec les mots, s’amuse et use de l’humour, il sait aussi être direct, franc et pertinent. Fin stratège, il n’a rien perdu de son verbe, sa vivacité et de son intelligence malgré ses 92 ans. Le secret d’une telle forme ? Le travail et une hygiène de vie irréprochable. Selon certains proches, il se lève avant même que les premiers rayons de soleil n’apparaissent. Il fait son yoga puis se met au travail et épluche les dossiers. Il est du coup intransigeant et exigeant avec ses collaborateurs. « Il faut travailler dur avec lui car c’est un homme qui a un sacré caractère et qui est bosseur. Quand il dit quelque chose, il aime qu’on l’écoute », confie une partisane qui a déjà vu le politique à l’oeuvre au sein du parti orange. 

« Je le considère comme mon papa. J’ai beaucoup de reconnaissance, c’est le Vieux lion."

Une partisane des Oranges

Ces traits de caractère ont contribué à faire de lui un homme respecté et adulé. Sa carrière et son parcours politique ont fait le reste. Gaston Flosse fait partie du paysage politique polynésien depuis près de soixante ans. Il est père de neuf enfants, a connu plusieurs épouses, mais l’amour de sa vie c’est bien la politique. Au départ, ce n’était pourtant pas son destin. Né sur la petite île de Mangareva, dans l'archipel des Gambier, d'un père lorrain et d'une mère polynésienne, baigné dans le catholicisme, Gaston Flosse a d’abord été instituteur avant d’être assureur pour ensuite épouser une carrière politique. Père de l’autonomie et première président de la Polynésie, il gouverne pendant deux décennies. Un règne sans partage. Également député, sénateur, secrétaire d’Etat aux affaires du Pacifique Sud, il est « la » référence politique de la Polynésie. Ceux qui deviendront plus tard des « traîtres » sont passés par son école. Il sera un père pour tous les jeunes politiques en devenir, il sera aussi un père pour les Polynésiens. « Je le considère comme mon papa. J’ai beaucoup de reconnaissance, c’est le Vieux lion. Il me rappelle le temps de mes parents, il est un metua pour des générations et des générations, je continuerai à être orange pour lui », confie Micheline, 50 ans dont 30 ans à être fidèle à Gaston Flosse. Elle est d’ailleurs au premier rang de ce dernier meeting, impossible de manquer une intervention de son idole. Flosse a aussi des adversaires. Eux le voit en politicien affairiste à l’origine d’un système de clientélisme en Polynésie. Beaucoup le tiennent responsable de la dépendance économique avec la Métropole, accentuée depuis les essais nucléaires dont Gaston Flosse sera un fervent défenseur. Il sera d’ailleurs très proche de Jacques Chirac, son grand ami, à l’origine de la reprise des essais en 1995. 

Gaston Flosse

Tout bascule en 2004. Gaston Flosse perd le pouvoir face à son rival de toujours, Oscar Temaru. Il entame alors une traversée du désert de neuf ans, malgré quelques retours furtifs au pouvoir à la faveur d’alliances politiques. En 2012, il revient en force : les trois députés polynésiens sont issus du parti orange. Un an plus tard, il remporte les Territoriales et est réélu à la Présidence. Puis en mars 2014, le Tahoeraa rafle les trois quarts des communes aux municipales. Mais ses déboires judiciaires le rattrapent… Affaires de corruption, emplois fictifs, les accusations s’enchaînent. Gaston Flosse devient l’homme le plus poursuivi de la Ve république. Si il échappe à de nombreuses condamnations grâce à ses excellents avocats, il finit par être terrassé par la justice… En 2013, il est démis de ses fonctions après avoir écopé d’une peine de trois ans d’inéligibilité. Une condamnation qui signera pour lui la fin de son règne. Mais Gaston n’est pas du genre à baisser les bras. Quand son fils prodigue le « trahit », il abandonne le nom de son parti emblématique, Tahoeraa, pour un autre nom : Amuitrahiraa. Il change aussi d’idéologie politique : le père de l’autonomie se veut alors souverainiste. Un revirement étonnant mais qui n'est pas le dernier. Quelques jours après les résultats du premier tour de ces Territoriales où il n’est pas au deuxième tour, il change de nouveau d'avis. En se ralliant à Fritch et en prônant de nouveau l’autonomie, il pensait certainement pouvoir accéder encore au pouvoir. Sa stratégie ne fonctionnera pas. Lui qui rêvait de terminer sa carrière par la grande porte, c’est bien par la petite porte qu’il partira...