INCESTE. "Il est temps que la honte change de camp" : Isabelle et Kahaia témoignent avec force et courage à visage découvert

Isabelle et Kahaia ont toutes deux subi l'inceste étant jeunes.
En Polynésie française, 7% des femmes ont déjà subi une agression sexuelle avant l'âge de 15 ans, contre 4% en métropole. Comment se reconstruire après de tels actes ? Quelles solutions s'offrent aux victimes d'inceste ? Alors que se tient un procès devant la cour d'Assises pour inceste sur mineur, Isabelle et Kahaia nous livrent leur témoignage poignant, empreint d'émotion et de sagesse. Elles veulent briser le silence.

Un sourire à son enfant, comme une thérapie pour cicatriser les horreurs de l’inceste. Isabelle Atiu se souvient encore des six longs mois en 2011 à supporter silence et violence. Elle avait neuf ans à l'époque. Le calvaire s’est invité dans sa vie de petite fille. « J’ai eu honte parce qu'on m'a fait honte. C'est à moi qu'on a fait porter cette responsabilité. C'est moi qui devais avoir honte de ce que j'ai dit. J'ai été rejetée aussi. (...) Ce jour-là j'ai vraiment cru que j'allais mourir parce que c'était même plus de la correction, c'était de l'acharnement. On n'a pas cherché à comprendre si j'avais raison, [pour eux] je mentais » relate la jeune femme. 

Quand ça s'est su, on m'a rossé

Isabelle Atiu, victime d'inceste

Retirée de sa famille et placée en foyer d’accueil, la fillette peine à se construire une identité, perd confiance en elle, comme en tout être humain. Aujourd’hui Isabelle est devenue praticienne en libération émotionnelle et énergétique.

Isabelle Atiu, 30 ans avait 9 ans lorsqu'elle a subi l'inceste.

Elle a trente ans et un petit garçon de dix ans qu'elle veut sensibiliser sur ce problème insidieux de notre société. « Il sait ce qu'est l'inceste, il connaît les abus sexuels, je l'ai préparé au monde tel qu'il est. (...) Il a été la première personne à qui j'en ai parlé après avoir guéri et c'était important pour moi qu'il sache d'où je viens et qu'il sache que ça existe. On est des femmes mais je n'oublie pas les hommes qui ont vécu ça. C'est réel. Les hommes aussi le vivent. Et mon garçon n'est pas à l’abri ni de le vivre, ou d'être un jour violeur » livre-t-elle. 

« Il est temps que la honte change de camp »

Durant son séjour au centre d'accueil pour victimes, Isabelle a rencontré Kahaia. Depuis, les deux femmes ne se lâchent plus la main. Kahaia Guitton aussi a été abusée au sein de son cercle familial de ses 7 ans à ses 14 ans. Sept ans de cauchemar. Une enfance volée. Elle aurait voulu savoir pour ne pas avoir à attendre aussi longtemps. « Je ne savais pas ce que c'était. Mon agresseur m'a dit de ne pas en parler sinon j'allais en prison. À 6-7 ans, est-ce qu'on a la capacité de le faire ? Non... C'est nous, parents, adultes qui devons surveiller les enfants, les gens. Soyez attentifs, parlez, posez les bonnes questions aux enfants. On peut sentir ce genre de choses. Cela peut ne pas arriver » lance-t-elle. 

Kahaia Guitton, 27 ans, a subi l'inceste de ses 7 ans à ses 14 ans.

Après des études à Toulouse et Nice, elle est devenue développeuse informatique. Aujourd'hui, à 27 ans, elle a le recul et le courage nécessaires pour témoigner et dénoncer certaines choses. « Si je fais cette interview, c'est parce qu'il est temps que la honte change de camp. On a en France un bel exemple : Gisèle Pelicot, qui s'est battue pour ça et elle a raison, il faut que la honte change de camp, on n'a pas à se cacher. C'est sûr que ce n'est pas très beau. Oui j'ai été victime d'inceste, oui je me suis reconstruite. Ce n'est pas moi qui dois avoir honte. Quand on arrive au foyer, il y a tout ce qui est procédure pour le procès, les jeunes filles ont un examen psychologique, puis gynécologique. C'est horrible. (...) Comment c'est possible qu'une jeune fille qui vient de subir des attouchements pendant plusieurs années, on lui demande encore de faire un examen gynécologique ? L'agresseur vit toujours en liberté mais nous en attendant on aura passé un ou deux ans en foyer. Il y a quelque chose à faire, ce n'est pas normal. Il faut que ça change. La honte c'est de leur côté » soutient ardemment Kahaia.

Il y a plein de choses à changer dans le système.

Kahaia Guitton, victime d'inceste

Marquées à jamais dans leurs chairs, les deux jeunes femmes ont réussi à se reconstruire sainement. Pour que leur voix puisse servir à d’autres, elles se rendent régulièrement au centre d’accueil pour encourager les victimes à mettre fin au tabou de l’inceste. Car même dans les foyers parfois, les victimes ne sont pas à l'abri. 

Isabelle et Kahaia ne se quittent plus depuis leur rencontre au foyer.