Quelle (mauvaise) surprise de retour au fenua en découvrant le débit internet proposé par les opérateurs locaux ! À peine 20 Mb/s en réception contre 4 Mb/s en envoi.
Pourquoi des résultats aussi bas alors qu'une semaine auparavant, le même test de vitesse effectué à Paris donnait des chiffres 4 fois plus élevés ?
Étonnant car depuis deux mois, nos opérateurs clament haut et fort, à grand renfort de publicité, que la 5G est bien là, en Polynésie !
Le haut débit, le rêve !
Les mauvaises langues diront que le problème vient d'abord de l'opérateur historique Onati-Vini qui briderait volontairement le flux d'internet vendu à ses concurrents Vodafone et Viti, lesquels le refacturent ensuite à leurs clients.
Payer pour un service en dessous de leurs attentes ? Ces derniers sont tentés par des alternatives technologiques jusqu’à présent interdites sur le territoire. L’idée d’utiliser les services de Starlink grâce à une antenne dédiée fait de plus en plus son chemin localement. Car bénéficier à tout moment et partout d’un internet haut débit relève encore du domaine du rêve en Polynésie.
En France, la question du très haut débit, en fixe comme en mobile, ne se pose même plus tant il est devenu normal là-bas de naviguer sur le web ou de visionner des films en streaming avec une fluidité extrême.
À Paris, qui songe à se balader avec une antenne Starlink aussi petite soit-elle pour surfer le net ? Personne, hormis celles et ceux qui habitent dans des zones blanches, peu ou mal couvertes par les opérateurs classiques.
Dans ces zones blanches, comme dans certains endroits en Polynésie, avoir accès à internet via la technologie par satellite laisse songeur.
À Paris, pas de Starlink
Teiki, un internaute de Tahiti, avoue avoir frauduleusement importé une de ces antennes de Starlink. Pour lui, il n’y a pas photo : l’internet par satellite, c’est de la bombe : 166 Mb/s ! "Quel que soit le temps, qu’il pleuve ou non, car les milliers de satellites lancés par Space X (maison mère de Starlink) sont positionnés à 500 km d’altitude. La couverture est très bonne", confie le jeune homme.
Et ce chiffre de 166 Mb/s est loin d’être considéré comme extraordinaire dans l’Hexagone.
Le site spécialisé Frandroid écrivait ainsi début août, à propos de la nouvelle mini-antenne de Starlink, qu’elle permettait "de profiter d’une connexion internet haut débit avec des vitesses allant jusqu’à 100 Mb/s en téléchargement et 10 Mb/s en envoi. Cela paraît peu, mais c’est amplement suffisant pour de la navigation Internet ou pour regarder des vidéos en HD. En revanche, il ne faut pas compter sur elle pour le jeu en ligne".
À Paris, avoir recours à Starlink est donc un non-sens quand une simple carte SIM à 10 euros suffit pour bénéficier du très haut débit.
Que dire aussi de celui offert là-bas par la fibre optique : 350 Mb/s en réception comme en envoi ! Là encore, de tels résultats sont obtenus avec des forfaits pour les particuliers défiant toute concurrence.
Certes, de telles conditions ne peuvent actuellement pas être transposables ici. Ne serait-ce qu’en termes de clientèle, la comparaison est vaine : 60 millions de consommateurs contre à peine 250 000 en Polynésie. Autant de clients qui amortissent plus rapidement les investissements des opérateurs métropolitains.
Être partout a un coût
Au fenua, ceux réalisés récemment pour lancer la 5G sont bien sûr encourageants. Après plus d’un an et demi de tests, l’opérateur Vodafone s’est lancé le premier, le 10 juin 2024, avec une couverture d’abord centrée sur la capitale. Coût de l’investissement : 300 millions CFP. "C’est un investissement constant, on va évoluer. Les clients des communes avoisinantes vont bientôt profiter de cette technologie également", déclarait à l’époque Patrick Moux, patron de Vodafone.
La concurrence a aussi fourbi ses armes. Viti a investi dans une quinzaine d’antennes 5G pour 1 milliard cfp. "On va d’abord déployer de la 5G de Arue à Punaauia pour démarrer. Ensuite, dans les zones les plus denses, les plus chargées, on améliore le réseau et on augmente la vitesse à 30 Mb/s", confiait Raymond Colombier, directeur commercial de Viti.
Pour l’instant, Viti comme Vodafone ne proposent, pour leurs forfaits fixes en 5G destinés aux particuliers, que des vitesses de 20 Mb/s en réception pour 10 Mb/s en envoi, et jusqu’à 100 Mb/s et 60 Mb/s.
Pas de quoi fouetter un chat, surtout pour les utilisateurs qui ont vu autre chose ailleurs ! Car "le débit théorique de la 5G est de 50Gb/s", selon l’Arcep, le gendarme des communications électroniques, " lorsque la 5G sera pleinement déployée".
Sur le territoire, "la vitesse théorique de la 5G est de 2Gb/s", signale Tehina Thuret, directeur technique d’Onati-Vini, l’opérateur historique qui, pour l’instant, n’a installé qu’"un seul pylône, la 5G ce ne sera pas avant janvier 2025", reconnaît-il. "On n’est pas en retard…Par contre on a une stratégie plus globale et qui concerne toute la Polynésie et tous les Polynésiens, quasiment toutes les îles qui sont habitées. La tâche n’est pas tout à fait la même", remarquait par ailleurs en juillet dernier Nicolas Weinmann, directeur général d’Onati.
Un pylône, une maison
Et installer un seul pylône avec les équipements revient à "environ 50 millions cfp", précise Tehina Thuret, "sans oublier au préalable de régler les problèmes foncier et juridique". Onati doit ainsi équiper " une dizaine de sites pour couvrir le grand Papeete".
La course à l’armement ne fait donc que commencer dans la bataille de la 5G. Onati installe "5 à 10 pylônes par an pour répondre à la demande" sans cesse croissante, et cela sans compter tous les autres "milliards de francs dépensés en investissement (comme les câbles sous-marins) et en fonctionnement" pour desservir "une trentaine îles…représentant 90% de la population polynésienne". Service public oblige.
Et lorsqu’il y a "une surcharge de clients sur un même pylône, le débit baisse". De fait internet ralentit et fait enrager les utilisateurs. Ce que décrit Iotani, un internaute de Punaauia, client de la fibre. Il y a 5 ans, "au début c’était fluide. Dans la famille, la connexion était rapide pour chacun des membres. Aujourd’hui, la latence est beaucoup plus grande". Comprenez : le temps d’attente pour accéder à internet s’est allongé. Logique, le nombre d’abonnés ne cesse d’augmenter, leurs usages également, pour un même équipement.
A Paris aussi la consommation d’internet croît, mais les équipements suivent mieux qu’ici.
La capitale est bien pourvue car là-bas, répondre à la demande coûte moins cher qu’ici. En effet, "les opérateurs installent [plus facilement] des antennes sur les toits des immeubles", remarque justement Tehina Thuret, quand ici il faut les percher sur des pylônes, chacun d’eux valant le prix d’une petite maison.
La Présidence presse l’OPT
Dans ce contexte lié à des contraintes techniques, financières et géographiques, fournir du haut débit comme à Paris relève d’une véritable gageure.
Revient alors la question de se tourner vers la solution interdite de Starlink ou d’un autre opérateur par satellite si l’on veut aujourd’hui proposer un internet de qualité pour tous et partout à des prix raisonnables.
Un pari qui n’échappe pas aux autorités locales. Dans un courrier adressé fin juillet à la directrice du groupe OPT, dont la société Onati-Vini est une fililale, le président de la Polynésie indiquait que " desservir les zones non couvertes et garantir du haut débit sur tout notre territoire devient donc urgent au travers de nouveaux partenariats de distribution comme celui d’Eutelsat/Oneweb. En effet, il sera difficile de lutter contre les dérives et de contrôler l’utilisation de matériel de Starlink interdit par le code des postes et télécoms [local]. Néanmoins une fiscalisation des activités de Starlink est étudiée conjointement avec la Nouvelle-Calédonie".
Consulté sur un projet de loi de pays portant modification du code des télécoms local, le CESEC (représentant la société civile), s’est lui aussi penché sur le problème de la réduction de la fracture numérique en Polynésie. Il recommande ainsi au Pays "d’autoriser l’importation et l’utilisation de matériel de connexion satellitaire en faveur des archipels éloignés et des zones non connectées, des navires de pêche, des voiliers et qu’un bilan des opérateurs extérieurs soit effectué de manière régulière et transparente". Son avis n’est que consultatif mais témoigne bien de l’enjeu d’un internet vraiment rapide afin de développer, entre autres, une réelle économie locale du numérique.
Starlink ou Oneweb ?
À défaut d’utiliser les services de l’américain Starlink, dont la politique est de traiter directement avec les clients et donc de se passer de tout intermédiaire, le Pays préconise à Onati de se tourner vers la société européenne Oneweb pour obtenir de l’internet satellitaire et couvrir les zones blanches de la Polynésie, notamment certaines îles où le débit internet culmine à 1 Mb/s (quand ça fonctionne) !
Oneweb est donc une alternative qui sera opérationnelle "en janvier 2025", confirme Tehina Thuret.
Ses services seront-ils aussi performants que ceux de Starlink ? "Les tests sont pour l’instant concluants. Ils se poursuivent. Des discussions commerciales sont également en cours, Onati espérant forcément un prix plus attractif…[tout en offrant]…un meilleur service (plus de débit) à un meilleur prix au client final", poursuit Tehina.
Espérons que les 600 satellites de Oneweb positionnés beaucoup plus haut (1200 km) que les milliers de Starlink stationnés en orbite basse fassent aussi bien.
Dans le cas contraire, la tentation d’aller vers le géant américain sera toujours aussi grande.