Offrir à nos Matahiapo un cadre de vie digne et sécurisé, c'est tout l'enjeu des assises « Aupuru Matahiapo » qui se tiendront aujourd'hui et demain, à l'université de la Polynésie et à l'assemblée. Pour en parler, nous avons reçu ce lundi matin, 24 mars, la vice-présidente de la Polynésie, Chantal Minarii Galenon.
Interview :
Madame la vice-présidente, Ia ora na et bienvenue dans notre studio de Pamatai. Notre population vieillit... Aujourd'hui, 15 % de la population a + de 60 ans (42 000 personnes)... Selon les projections, on atteindra les 20 % d'ici 2030 et les besoins pour les accompagner augmentent aussi. Quand on parle de besoins, on parle de quoi exactement ?
Nous savons que, en vieillissant, certaines difficultés apparaissent. L'idée est donc d’anticiper et de mieux comprendre ce que signifie être un Matahiapo. Il est essentiel de prévoir un accompagnement et un cadre adapté à leur bien-être. Le deuxième point sur lequel nous souhaitons travailler est le renforcement de la solidarité intergénérationnelle. Nos Matahiapo ont beaucoup à transmettre : ils sont porteurs de sagesse et de maturité, et notre société devrait en tirer parti. Enfin, le dernier enjeu est d’améliorer la qualité de vie de nos Matahiapo.
Une enquête a été réalisée l’année dernière par le Dr Lauriane Dos Santos, sociologue à la Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique, sur la prise en charge notamment de nos Matahiapo par les familles. Pourquoi était-il important pour le Pays de comprendre cela ?
Cette étude était essentielle pour le Pays, et j’ai souhaité la mettre en place en collaboration avec l’université. Il était également primordial de travailler en étroite coopération avec l’Assemblée de Polynésie, car cette thématique préoccupe aussi les élus.
L’enquête révèle aussi des risques sociaux qui rendent nos Matahiapo vulnérables. Quels sont ces risques sociaux ?
Nos Matahiapo souhaitent être entourés de leurs proches
Chantal Minarii Galenon, ministre des Solidarités
L’enquête met en lumière plusieurs risques sociaux qui rendent nos Matahiapo vulnérables, notamment des risques psychosociaux. En vieillissant, notre réflexion devient plus acerbée, car nous sommes plus conscients de la proximité de la mort, ce qui entraîne des besoins spécifiques différents de ceux que nous avons plus jeunes. Cela peut engendrer des difficultés, notamment en matière de lien familial. Nos Matahiapo souhaitent être entourés de leurs proches, mais ces derniers sont souvent occupés par leur travail, ce qui peut conduire à une forme d’isolement. Par ailleurs, après 60 ans, les risques de maladies chroniques augmentent, plaçant nos Matahiapo dans une situation parfois délicate.
Est-ce que l’isolement social des Matahiapo est important en Polynésie ? Est-ce que de plus en plus de Matahiapo se retrouvent dans des centres ? Ou sont délaissés par leurs familles ?
Sur les 42 000 Matahiapo recensés, environ 1 000 sont accueillis dans des centres, selon les données de la DSFE. Cependant, il ne faut pas oublier que de nombreux Matahiapo restent dans leurs foyers, notamment dans les îles, où il n’existe généralement pas d’unités de vie spécifiques. La plupart d’entre eux sont donc pris en charge par leur famille.
Les aidants-feti’i qui jouent un rôle essentiel auprès de nos Matahiapo au sein des foyers.
Chantal Minarii Galenon, ministre des Solidarités
En tant que ministre des Solidarités, je tiens à soutenir ces aidants-feti’i qui jouent un rôle essentiel auprès de nos Matahiapo au sein des foyers. Mais au-delà de l’accompagnement à domicile, il est aussi crucial de réfléchir à l’occupation des Matahiapo en journée, afin de rompre leur isolement et de leur offrir des activités adaptées.
Actuellement, je rencontre les maires des différentes communes pour identifier des actions concrètes qui pourraient être mises en place afin d’accompagner nos Matahiapo au quotidien. Certaines communes, comme Punaauia, Papeete et Faa’a, ont déjà mis en place des initiatives exemplaires en la matière.
Qui sont les aidants-feti’i ?
Les aidants-feti’i sont généralement des membres de la famille des Matahiapo. Ce sont ces derniers qui choisissent et acceptent qu’un proche prenne soin d’eux. L’aidant peut être un mo'otu'a ou un enfant direct. Ce lien familial est fondamental, car il permet de renforcer la solidarité intergénérationnelle.
En contrepartie de leur engagement, les aidants-feti’i perçoivent une indemnité de 50 000 Fcfp. J’ai conscience que de nombreuses familles estiment que cette aide est insuffisante, et je compte sur ces journées de réflexion pour trouver des solutions ensemble. Cependant, toute revalorisation de cette indemnité devra être étudiée en concertation avec le ministre de la Santé et le ministre des Finances.
Est-ce que c’est facile d’en trouver ?
Actuellement, 350 aidants-feti’i bénéficient d’une prise en charge par la DSFE. Cela peut sembler peu au regard des besoins, mais au total, on estime à plus de 2 900 le nombre d’aidants-feti’i en activité aujourd’hui.
On l’a vu dans certains reportages en métropole, des personnes âgées qui étaient maltraitées dans des centres… Est-ce que ces cas de maltraitance ont été constatés également au fenua ?
il n'y en a pas beaucoup, il doit y en avoir trois, qui ont décidé d'aller dans la rue, qui sont SDF, puisqu'ils ne sont pas loin de l'Assemblée. Je les vois, je les rencontre quelquefois. Ils ont fait le choix d'être dans la rue parce qu'ils veulent avoir leur liberté.
Chantal Minarii Galenon, ministre des Solidarités
Alors, je vais être franche. Depuis que je suis ministre des Solidarités, sincèrement, je n'ai pas été alertée de maltraitance directe. Ce qu'il y a seulement, c'est plutôt des Matahiapo, mais il n'y en a pas beaucoup, il doit y en avoir trois, qui ont décidé d'aller dans la rue, qui sont SDF, puisqu'ils ne sont pas loin de l'Assemblée. Je les vois, je les rencontre quelquefois. Ils ont fait le choix d'être dans la rue parce qu'ils veulent avoir leur liberté. Parce qu'ils me disent que quand ils sont chez eux, on leur demande de faire ceci, faire cela, ou de payer cela. Ils ne veulent pas. Je dis, ils ont aussi leur liberté. Concernant la maltraitance directe, non. On ne m'a vraiment pas saisie pour cela.
Est-ce qu'il y a eu une étude qui a été réalisée sur les Matahiapo maltraités ?
les Matahiapo ont des histoires à raconter, ou bien apprennent aussi, par exemple, à tresser ou à coudre à tifaifai.
Chantal Minarii Galenon, ministre des Solidarités
Oui, notre docteur m'a alertée là-dessus, mais c'est plutôt sur la solitude. La solitude de nos Matahiapo qui sont seuls à la maison. Parce que souvent, on ne les sollicite pas. Parce qu'en fait, on a eu aussi des modèles de Matahiapo avec la famille ou avec des associations qui vont leur rendre visite. Et puis les Matahiapo ont des histoires à raconter, ou bien apprennent aussi, par exemple, à tresser ou à coudre à tifaifai. Parce que je crois que c'est une des missions principales, à mon sens, qui m'est dévolue en tant que ministre des Solidarités.
Je dois prendre en compte que ces Matahiapo ont des savoirs à transmettre à notre jeune génération. Et c'est vraiment ce que je tente de mettre en place depuis l'année dernière, puisque je fais des grands rassemblements de Matahiapo et d'associations de jeunes, pour que les jeunes se rendent compte de la richesse justement de nos Matahiapo. Et que nos Matahiapo aussi transmettent peut-être aussi leur joie de vivre, parce qu'ils chantent, ils rient, ils ont une autre façon de voir. Et je veux vraiment mettre cela en place, garder ces relations intergénérationnelles.
Comme je vous le disais tantôt, je rencontre les Tavana pour leur demander comment je peux faire, au sein des communes, avoir des salles et avoir des moments d'activité pour ces Matahiapo. Mais qu’il y ait aussi des rencontres. J'ai même demandé au ministre de l'Éducation si on pouvait faire des déplacements des Matahiapo vers des classes pour apprendre, pour raconter des légendes, pour apprendre à chanter en Reo Tahiti. Et le ministre de l'Éducation a accepté. Donc ce sont les types d'actions, d'activités que nous pouvons mettre en place facilement.
Il y a aussi les inégalités d’accès aux soins de santé en Polynésie qui posent problème… Beaucoup d’évasan sont réalisées chaque année entre les archipels éloignés et Tahiti, et certains Matahiapo refusent de se faire évasaner. Comment peut-on expliquer ces comportements ?
Ce qui nous préoccupe particulièrement, c’est la dispersion de nos îles. N’oublions pas que 68 îles sont habitées, ce qui pose un problème de distance et de transport. Parfois, nous avons besoin d’équipements spécifiques pour assurer des évacuations sanitaires en avion en cas d’urgence. De plus, certaines îles ne disposent ni de médecins ni d’infirmiers, ce qui nous oblige à organiser des transferts vers Tahiti.
Il est vrai, vous avez raison de souligner que certains Matahiapo refusent de venir à Tahiti. Face à ces inégalités, nous travaillons activement avec le ministre de la Santé pour essayer de les réduire, bien que trouver des solutions soit un véritable défi. Je suis convaincue que nous pouvons aussi nous appuyer sur les confessions religieuses et les communes pour améliorer la situation et chercher des solutions adaptées à chaque île.
Les assises « Aupuru Matahiapo » c’est aujourd’hui et demain. Rappelez-nous l’objet de ces assises ? Qui participera à ces assises ?
Pour cette première journée, nous avons choisi de tenir cette rencontre à l’université, car Mlle Dos Santos a invité plusieurs experts, dont des diplômés et des universitaires venus de l’Hexagone, spécialisés en gérontologie. Leur intervention vise à expliquer l’évolution d’un individu lorsqu’il devient Matahiapo, ce qui me semble essentiel pour mieux comprendre leurs besoins.
Aujourd’hui, la réflexion sera principalement théorique, avec notamment la présentation des résultats de son enquête et des tables rondes. Demain, à l’Assemblée, la réflexion sera plus pratique : nous discuterons avec les élus et le public présent des moyens concrets de mettre en œuvre les 10 recommandations formulées par la mission d’information des représentants de l’Assemblée.
Justement, qu'est-ce que vous retenez concrètement de ces 10 propositions de la mission d'information de l'Assemblée ?
Jusqu'à 2028, je suis prête à avoir un échéancier d'action, que j'accepterai, qu'on mettra en place avec les élus de l'Assemblée, puisqu’au niveau des textes, ce sont les élus de l'Assemblée qui me soutiendront là-dessus.
Chantal Minarii Galenon, ministre des Solidarités
Écoutez, d'abord, je voulais remercier mes collègues de l'Assemblée pour toutes ces préconisations, parce que, évidemment, que la première préconisation, c'est le bien-être au quotidien de nos Matahiapo. Alors, dire qu'on est déjà en train d'y réfléchir, ne serait-ce que par le fait de prendre nos Matahiapo, de les amener vers des centres communautaires la journée. Vous avez aussi les Fare Ora que nous allons mettre en place avec la ministre Crolas. Et ça aussi, c'est un bon dispositif pour moi, parce que ça sera un lieu de réunion aussi pour nos Matahiapo avec la population.
Il faut dire aussi que, ce qui m'importe, ce sont les textes réglementaires aussi qui viennent entourer les Matahiapo, que je vais vraiment travailler avec les élus de l'Assemblée. Et le dernier point, c'est de favoriser la reconnaissance des aidants feti’i, parce que ça, c'est important pour nous.
La fiscalité au ménage complexe, ça, c'est le dixième point. Je dis que ça demande beaucoup de réflexion. Il faut surtout que le ministre de l'Economie et le ministre de la Santé soient présents, qu'on voie ensemble comment mettre en place ces dix préconisations. Jusqu'à 2028, je suis prête à avoir un échéancier d'action, que j'accepterai, qu'on mettra en place avec les élus de l'Assemblée, puisqu’au niveau des textes, ce sont les élus de l'Assemblée qui me soutiendront là-dessus.
Est-ce que selon vous l’aîné est toujours respecté ?
Pour moi, l’aîné est globalement toujours respecté. Surtout dans les îles éloignées. Ça me rassure et ça me réconforte. J’étais à Raivavae dernièrement pour des camps de familles. J’ai entendu les orero et les discours de ces aînés. Ils nous ont parlé de leur coutume je peux vous dire qu’on respecte toujours les aînés. C’est ensemble avec les communes les associations les confessions religieuses et le Pays même que nous pouvons travailler dans ce sens.