Invité café - Jeanne Lecourt : un salon de l'entrepreneuriat féminin organisé à la presqu'île

L'invité-café du mercredi 26 mars 2025 : Jeanne Lecourt, présidente de l'association Vahine Arata'i no Porinetia.
Un salon pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin au fenua. Une initiative de l’association Vahine Arata’i no Porinetia, dont Jeanne Lecourt est la présidente. Elle était l'invitée café de notre matinale radio de ce mercredi 26 mars, pour nous parler de l'organisation de ce salon et de son programme. Il se tient du vendredi 28 mars au dimanche 30 mars de 9 heures à 16 heures, au parc Teaputa de Taravao.

Un salon pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin au fenua. L'initiative est louable, quand on sait que 70% des salariés en Polynésie sont des femmes.

L'association Vahine Arata’i no Porinetia est à l'origine de ce salon de l'entrepreneuriat au féminin, qui se tient au parc Teaputa de Taravao du vendredi 28 au dimanche 30 mars. Pour en parler, nous avons reçu dans notre rubrique l'invité café, la présidente de l’association, Jeanne Lecourt. Elle donne également des précisions sur l'enquête en cours sur la condition féminine en Polynésie. 

Interview :

Axelle Mésinèle, journaliste : Jeanne, bonjour. L’association Vahine Arata’i no Porinetia a été créée en avril 2022. Pourquoi avoir créé cette association ?

Jeanne Lecourt, présidente de l'association Vahine Arata'i no Porinetia : La création de Vahine Arata'i no Porinetia est issue d'abord d'un constat. D'un constat concernant les patentés et les chefs d'entreprise de Polynésie et notamment les TPE, les très petites entreprises, celles qui n'ont pratiquement pas de salarié. C'est un constat d'un sentiment d'isolement. Donc Vahine Arata'i a été fondée pour leur venir en aide, pour les représenter, pour construire ensemble des programmes d'actions pour pouvoir apporter des solutions. C'est pourquoi nous nous sommes construits.

Nous fonctionnons d'une façon transversale. C’est-à-dire que nous sommes constitués de commissions. Par exemple, les patentés qui sont tradipraticiens, dans tout ce qui est développement personnel et bien être, c'est une commission qui s'appelle "loisirs et bien-être". La présidente est Mihimana David et avec ses équipes, elle met en place des programmes d'actions. 

Nous avons, notamment là pour le salon de l'entrepreneuriat elle sera présente, Sandrine Salmon, qui est présidente de la commission "care and active". À Paofai, nous avons distribué une centaine de serviettes hygiéniques.

AM : On est en 2025, est-ce que c'est encore difficile pour une femme de monter son entreprise ?

JL : Monter son entreprise, ça signifie beaucoup de choses. Patenté, c'est un peu différent. Je connais des patrons ici à Tahiti qui, sachant que beaucoup de femmes aujourd'hui sont chargées de famille [...]

Il faut savoir que 70%, selon les derniers chiffres de l'ISPF dans la brochure Vahine du mois d'août, 70% des familles mono parentales en Polynésie sont à la charge des femmes. Donc elles ne vont pas travailler pour payer les garderies. Donc elles prennent des patentes, pour pouvoir assurer des emplois comme vendeuse dans les magasins. Je connais une vendeuse qui est mère de famille, en charge de bébé, et les patrons ne sont pas, quelques fois, très [...] Elles doivent payer la CPS, leur sécurité sociale, etc.

En 2023, plus de 50% des créations d'entreprises en Polynésie l'ont été d'origine féminine. Elles ne représentent encore que 42% des chefs d'entreprise en Polynésie. Mais c'est en train de monter.

AM : Quelles sont les craintes pour franchir le pas ?

JL : Alors d'abord, c'est un état d'esprit. C'est oser. On dit : "ose entreprendre". Beaucoup pensent que l'entrepreneuriat est lié à un sentiment de leadership. "Est-ce que je me sens digne ? Est-ce que je suis capable de ?" D'ailleurs, on parle toujours d'un leader. Je demande souvent, c'est quoi le féminin d'un leader ? Eh bien c'est leadeuse. Et ce n'est jamais utilisé. Donc déjà, à la base, être entrepreneur c'est avoir, soi-disant, une capacité de leadership et donc à la base c'est masculin.

Donc ça vient d'une éducation. D'une éducation qui fait que les jeunes filles ne se sentent pas "oser entreprendre" et "oser se lancer" et la confiance en soi. La confiance de dire : "ok, j'y vais".

AM : Est-ce qu'il n'y a pas un travail à faire avec les jeunes filles ? Leur dire aussi cette possibilité, qu'il n'y a pas qu'une voie vers la fonction publique par exemple ?

JL : Justement, dans les chiffres des brochures de Vahine, plus de 70% des employés sont féminins. C'est là que l'on voit la différence. Ce sont les jeunes filles qui ont le plus de diplômes en Polynésie et pourtant, elles vont vers des carrières de fonctionnariat ou d'employé, alors qu'elles sont diplômées plus que les hommes. Mais encore une fois, c'est issu d'un sentiment de confiance en soi et de se dire "oui, je suis capable de me lancer".

Par rapport à ça, il y a une évolution qui est en train de se faire. Et je dirais que c'est un peu les conséquences positives des réseaux sociaux. Cette capacité de se voir et de se mettre en valeur sur les réseaux sociaux, donne aux jeunes filles l'envie de créer leur marque, à l'image d'elle-même.

AM : Oui, mais il y a une différence entre une influenceuse et un chef d'entreprise ou une entrepreneuse.

JL : Exactement. L’entrepreneuse, elle doit gérer, elle doit être multidisciplinaire et elle doit gérer tous les domaines de sa vie.

AM : Vous travaillez actuellement sur une enquête qui s’intéresse à la condition féminine en Polynésie. Sans trop dévoiler ce qui sort de cette étude, qu’est-ce qu'ont donné vos premières rencontres ?

JL : Nous avons commencé à présenter le questionnaire de l'enquête sur la condition féminine lors du séminaire du 6 mars, parce que nous avons souhaité le faire au travers du tissu associatif, des associations féminines. Parce qu'elles connaissent bien leurs adhérentes, elles pourront nous assister pour diffuser le questionnaire auprès de leurs adhérentes.

Nous n'avons pas encore de premiers retours, nous sommes en train justement de finaliser le questionnaire, pour qu'il soit de plus en plus adapté aux îles, aux archipels. L'idée de cette enquête, ce n'est pas une enquête quantitative, c'est une enquête qualitative. C'est de leur dire : "quels sont tes défis ?" Je suis certaine que l'entrepreneuse aux Marquises, la patentée Marquisienne, n'a pas les mêmes défis, les mêmes obstacles que celle des Raromatai [Îles Sous-le-Vent, NDLR] ou celle des Australes ou celle des Tuamotu. 

AM : Justement, c'est quoi la situation des femmes qui essayent d'entreprendre dans ces archipels ? À quelle situation et à quels obstacles elles sont confrontées ?

JL : Le principal obstacle, c'est ce sentiment d'isolement : "je ne sais pas comment faire". J'ai des formations en ligne et des associations qui viennent m'aider pour comment gérer une entreprise, comment monter une entreprise, comment, aujourd’hui, créé son entreprise. Mais après, une fois que je l'ai fait, qu'est-ce que je fais ? C'est là le sentiment d'isolement.

AM : Justement, ce vendredi 28 mars, vous organisez ce salon de l'entrepreneuriat au féminin. Ce sera à Taravao. Au programme, des expositions-ventes de bijoux, de vêtements, de vannerie, etc. Mais ce n’est pas tout, puisque des ateliers, des conférences, des tables rondes seront également mis en place. Samedi 29 mars dans l'après-midi, par exemple, il y aura un atelier sur la gestion du stress. Une femme d’affaires stressée ce n’est pas bon pour le business et pour la famille ?

JL : Ce n’est pas bon pour la famille déjà. Une femme d'affaires stressée, elle va trop s'attacher aux détails. Ça dépend de comment est sa réaction, mais c'est clair que c'est pas très bien.

L'estime de soi, c'est justement le thème de cet atelier. Pourquoi nous offrons cet espace convivial à ces patentées et ces TPE ? C'est que lors de la table ronde que nous avons réalisée avec la commune de Paea il y a environ dix jours, une femme avait exprimé une opinion qui m'a beaucoup touchée. Qui disait que le droit à l'indépendance financière fait partie des droits des femmes du 8 mars. Le droit à l'indépendance financière peut participer à la sécurité des enfants.

Quand on dit à une femme : ton mari est violent, quitte-le. OK, il y a des associations qui vont la recueillir, mais pas à vie. Donc elle fait quoi ? L'indépendance financière peut, dans un certain sens, garantir la sécurité des enfants. Parce que quand elle va pouvoir assumer financièrement sa famille, alors elle pourra plus facilement prendre cette décision, de mettre ses enfants à l'abri.

AM : Ça commence aussi, comme vous le disiez au début de cette entrevue, sur l'éducation des jeunes filles.

JL : Absolument. Ça commence par la confiance en soi, l'estime de soi et la capacité d'oser le pas et la capacité de se lancer dans l'entrepreneuriat. Je fais une conférence par exemple sur la femme, joyau des origines. Pour dire quoi ? Pour dire "vous êtes toutes des perles. Et il n'y a pas une perle qui est plus jolie qu'une autre. Vous êtes toutes capables. Vous avez toutes un talent. Donc exprimez ce talent, quand vous n'avez pas d'autres possibilités". À nous ensuite, les associations, de venir vous offrir un espace commercial.

Tous les salons commerciaux se réalisent à Papeete. Ces TPE, ces patentées, ne peuvent pas se déplacer. Encore aujourd'hui, on a commencé le mois de la femme à Paofai. Alors nous avons tenu, avec les associations féminines, à le clôturer à Taravao. Pour justement aller à l'approche, aller au contact de ces patentées et de ces TPE. Et de leur dire, on vous offre un salon commercial, venez, exposez vos talents.

On invite le public à venir découvrir des talents qu'ils n'ont jamais vus ailleurs. Des produits qu'ils ont jamais vus sur d'autres salons ou d'autres manifestations commerciales. C'est rare ces salons-là. Et on veut être révélatrice de talents.

AM : Vous disiez que les femmes manquaient de confiance en elles pour pouvoir se lancer, mais aussi, est-ce qu'il n'y a pas des a priori par rapport aux femmes, quand elles veulent monter leur dossier ?

JL : Encore une fois, c'est l'estime de soi, la confiance en soi. On fait un atelier sur le marketing de soi, c'est un outil de l'entrepreneuriat. L'image qu'on donne, l'image qu'on donne à ses clients, il y a un atelier là-dessus, avec la gestion d'entreprise.

Mais effectivement, tout est dans l'éducation. C'est d'être capable. Une maman, elle prépare la société de demain. Quand elle-même donne l'exemple, et quand elle-même ose aller en dehors de sa zone de confort, toutes les adhérentes de Vahine Arata'i on se pousse à aller en dehors de nos zones de confort, on permet à nos filles d'oser aussi. De se dire maman l'a fait, moi je peux le faire aussi. 

AM : Il va y avoir des ateliers pour la confiance en soi, contre le stress, et vous allez aussi avoir des choses bien concrètes pour accompagner ces femmes qui veulent se lancer dans l'entrepreneuriat ? 

JL : Ensuite, nous avons l'association quand même, avec nos commissions. On a la commission "Co Naissance" qui propose des ateliers de formation aux techniques de vente, au suivi, aux réseaux sociaux, etc.

Ensuite, on est là aussi pour le suivi. Pas juste pour se présenter sur un salon et après elle retourne chez elle en se disant : "mais qu'est-ce que je fais ? J'ai rencontré du public, j'ai des commandes, je fais comment ?" On est là et on est là avec toutes les associations. Il y aura l'UFO, j'attends le conseil des femmes, il y aura d'autres associations de la presqu'île.

On est là avec toutes les associations pour leur dire : on vient vers vous, osez franchir le pas. Tu peux vendre des plantes, tu peux vendre dans la restauration, évidemment il faut avoir pris une patente pour être dans la réglementation. Là aussi, ça procède à la réglementation et à arrêter le marché noir. On leur dit : "oser prendre le pas, viens sur le salon et tu vas participer à des conférences qui vont t'expliquer".

On fait du coach flash aussi. C’est-à-dire aller chacune individuellement et leur proposer un coaching par rapport à qui elles sont. Par rapport à leur culture, par rapport à leur éducation, on commence un peu à connaître. 

L'enquête sur la condition féminine va se terminer fin juillet. Il est prévu que nous fassions une restitution au ministère de la condition féminine. On présentera les plans de recommandation, pour présenter les attentes et les besoins des femmes entrepreneures et des femmes en Polynésie. 

AM : Merci beaucoup Jeannne Lecourt d'avoir été avec nous et d'avoir répondu à nos questions. Ce rendez-vous à ne pas manquer, le salon de l’entrepreneuriat au féminin, c’est du vendredi 28 mars  jusqu’à dimanche 30 mars au parc Teaputa de Taravao, de 9 heures à 16 heures. En plus des expositions-ventes, il y aura des conférences, des ateliers, etc. Et si vous avez besoin de vous détendre, des stands de massages et de bien-être sont aussi prévus au programme.

JL : Merci beaucoup et je voudrais juste remercier la commune de Taiarapu Est et son maire qui nous a fait confiance, Anthony Jamet, māuruuru.