"Tout a une fin", ce sont les mots de Kelly Slater, juste après son élimination en huitième de finale lors d'une compétition de surf en Australie. Âgé de 52 ans, l'Américain avait l'air très touché en déclarant ces propos sur la plage de Margaret River. Cela pourrait être sa dernière apparition sur le circuit mondial.
Kelly Slater, Robert de son premier prénom, est né sous le signe du génie, le verseau, le 11 février 1972. Il marque l'histoire du surf, notamment à Teahupoo, avec ses cinq victoires en 2000, 2003, 2005, 2011 et 2016. Le palmarès du King est impressionnant : un 20/20 face à Keanu Asing lors du round 5 en 2016, le neuvième de toute l'histoire du surf pro et le troisième pour Kelly.
"Personne ne s'en rapproche et personne ne dominera aussi longtemps à l'avenir. C'est le plus grand", affirme sans détour auprès de l'AFP l'Australien Tom Carroll, double champion du monde (1983&1984), témoin privilégié de l'ascension de Slater au sommet.
Si le débat fait encore rage dans certains sports comme le tennis ou le football pour désigner le meilleur joueur de tous les temps, "King Kelly", né en Floride, a depuis longtemps mis tout le monde d'accord concernant le surf. Homme de tous les records, "l'extra-terrestre" aux yeux vert d’eau étincelants, est devenu, à tout juste 20 ans, le plus jeune champion du monde de surf de l'histoire en 1992, lors de sa première année complète sur le circuit.
Il a ensuite enchaîné les titres sans interruption de 1994 à 1998, avant une pause de quatre ans, puis a récidivé à plusieurs reprises dans les années 2000, en dépit de la féroce concurrence opposée par son grand rival, l'Hawaïen Andy Irons, décédé en 2010. Un an plus tard, il a remporté son onzième et ultime sacre mondial après une saison étincelante à 39 ans, devenant le plus vieux champion du monde de l'histoire. Pendant sa carrière, il aura signé 56 victoires d'étape, loin devant son idole Tom Curren (33).
"Ce gamin a le truc"
"Mon secret, c'est ma puissance de concentration. Par rapport à mes adversaires qui ont des familles, des responsabilités, pour moi le surf est resté au-dessus de tout", confiait Slater au quotidien L'Équipe en 2011 pour expliquer sa longévité.
Enfant, il a appris à surfer aux côtés de ses deux frères sur les petites houles de Cocoa Beach, où il réside toujours quand il n'est pas sur le tour professionnel ou en voyage. L'alcoolisme de son père le pousse alors à se réfugier dans la compétition.
Son sens de l'équilibre exceptionnel, son acharnement et sa lecture de l'océan lui permettent rapidement de battre des surfeurs deux fois plus âgés que lui. "Il surfait déjà de manière tellement mature", se souvient Tom Carroll, qui l'a vu à l'eau pour la première fois en 1986 à Hawaï. "La façon dont il approchait la vague, c'était comme s'il pouvait voir le futur... on était tous à se dire : + ce gamin a le truc +", décrit-il.
Insatiable de victoire et "toujours en train de réfléchir à de nouvelles stratégies" pour briller, Slater apprivoise petit à petit, en parallèle de ses succès sur le tour, le surf de grosses vagues.
En 2002, il réussit d'ailleurs à faire taire ses derniers détracteurs adeptes du "free-surf", en gagnant le "Eddie Aikau", un événement à Waimea Bay (Hawaï) qui se joue sur des vagues d'au moins 12 mètres.
"Kelly, c'est le talent à l'état pur et pour énormément de gens, c'est tout simplement le surf", résume le Français Jérémy Florès, longtemps adversaire de l'Américain sur le tour pro et désormais coach de l'équipe de France.
Trente ans après ses débuts et à quelques jours de son cinquantième anniversaire, il a signé en 2022 sa dernière victoire sur le tour pro, sur la vague légendaire de Pipeline à Hawaii. "J'ai dédié ma vie à tout ça", disait-il alors en larmes.
Une rivalité légendaire
En trente ans dans l'élite, le "King" a affronté de nombreuses générations de surfeurs. Mais personne ne l'a autant poussé dans ses retranchements que l'Hawaïen Andy Irons, triple champion du monde (2002, 2003 et 2004).
La rivalité entre Kelly le génie et Andy la tête brûlée a été mise en lumière dans de nombreux documentaires depuis le début des années 2000. Les deux champions ont partagé les deux premières places du classement général à trois reprises (en 2003, 2005 et 2006) et lors des interviews, ne cachaient pas leur inimitié.
Cette rivalité aurait d'ailleurs pu continuer quelques années supplémentaires si Irons, souffrant d'une addiction aux opiacés, n'avait pas perdu la vie en 2010 après une overdose.
Au moment de remporter son dixième titre mondial, quelques jours seulement après la mort d'Irons, Kelly Slater lui a rendu un vibrant hommage, saluant la mémoire de son rival qui avait gagné son respect au fil des années.
L'artiste au-delà du surf
Comme pour Michael Jordan au basket, sa domination pousse, dès ses premières victoires, les marques et les organisateurs à en faire la star du circuit. Dans le monde entier, les surfeurs de plusieurs générations espèrent pouvoir un jour assister au "Kelly Show".
Sa notoriété a également dépassé le milieu du surf, au milieu des années 1990, après sa prestation dans la série Alerte à Malibu, où il a incarné le jeune surfeur Jimmy Slade pendant une vingtaine d'épisodes, entre 1992 et 1993. Une période durant laquelle il entretenait une idylle médiatisée avec l'actrice Pamela Anderson.
Il a depuis raconté en interview qu'il n'avait que très peu apprécié la fréquentation des plateaux, mais a continué à participer à d'autres projets (documentaires, formats courts, cameo) et a aussi donné son nom à un jeu vidéo de surf sorti en 2002.
Guitariste, il est apparu à de nombreuses reprises sur scène pendant les concerts de ses amis musiciens, Jack Johnson, Eddie Vedder (Pearl Jam) ou encore Jimmy Buffett.
"Mais même après tout cet emballement, il est resté simple, d'une incroyable gentillesse", témoigne Charley Puyo, ancien directeur de compétition du Quiksilver Pro d'Hossegor (France), qui a accueilli le Floridien à de nombreuses reprises depuis 1985.
L'entrepreneur aux multiples facettes
Comme de nombreux sportifs multimillionnaires, le natif de Cocoa Beach a également investi une bonne partie de sa fortune dans des projets associés à son image. Lié par un juteux contrat à Quiksilver jusqu'en 2014, il a ensuite lancé sa propre marque de vêtements (Outerknown) et a participé aux designs de nombreuses planches et dérives pour des entreprises spécialisées. Quand il n'est pas sur l'océan, Kelly Slater s'entraîne désormais sur sa vague artificielle en Californie, conçue en 2015 avec des chercheurs universitaires, et passe de nombreuses journées sur les terrains de golf, qu'il pratique à un très bon niveau. Le "Surf Ranch" représente son plus gros investissement : cette vague artificielle construite au milieu de champs agricoles en Californie, a coûté plusieurs dizaines de millions de dollars. Ouvert au public depuis quelques années, le "Surf Ranch" est devenu une étape du tour pro en 2023.
Discipline et hygiène de vie
Quand Kelly Slater a commencé sa carrière, le circuit professionnel en était encore à ses débuts et le mode de vie des surfeurs était très souvent assimilé à la fête et aux excès. Mais Slater a toujours affirmé s'être tenu à distance de la drogue et de l'alcool.
Pour rester le plus longtemps possible au haut niveau, le Floridien a également adopté une hygiène de vie très stricte basée sur le volume d'entraînement, la récupération et la nutrition, flirtant parfois avec des concepts ésotériques ou la spiritualité.
Dans une interview au magazine GQ en 2022, il a ainsi expliqué avoir essayé de nombreux régimes différents avant d'en choisir un, principalement végétarien, qu'il estimait mieux convenir à son groupe sanguin. Obsédé par la nutrition et respectant une hygiène de vie très rigoureuse, il avait également fait des vagues pendant la pandémie de Covid-19, en affichant sur les réseaux sociaux son scepticisme vis-à-vis de la vaccination.
Un accro aux réseaux
Star internationale, suivie par 3,3 millions de personnes sur Instagram, Kelly Slater diffuse quotidiennement des photos et des vidéos de surf et de golf et répond régulièrement à ceux qui l'interrogent dans les commentaires.
"Je passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, à lire, regarder, interagir. C'est une étrange addiction. Cette possibilité d'entrer dans le monde d'autrui l'espace de quelques instants est à la fois étrange, amusante et terrifiante", a-t-il expliqué.
Le 20 mars dernier, il a récolté, grâce à son activité 2.0, les félicitations de centaines de milliers de fans, après avoir annoncé la grossesse de sa compagne Kalani Miller, dans une vidéo en noir et blanc diffusée sur Instagram. L'extraterrestre du surf prend bientôt sa retraite : à 52 ans il s'apprête désormais à consacrer sa vie à son deuxième enfant : le premier issu de son union avec l'Américaine Kalani Miller, qu'il a rencontrée lors d'une convention... sur le surf.