L’homme et son environnement : un thème fort du Fifo

L’homme et son environnement : un thème fort du Fifo
Une table ronde et une soirée étaient organisées mercredi soir sur un des thèmes forts du festival, au centre de beaucoup de documentaires : l’homme et son environnement. Deux réalisatrices, Briar March et Christine Della-Maggiora, ont raconté leur propre travail et expérience.

Briar March, réalisatrice, Christine Della-Maggiora, réalisatrice et membre du jury, et Jason Man, militant écologiste, étaient les invités d’une table ronde organisée mercredi au Fifo. L’environnement, un thème fort du festival, revient souvent dans les documentaires présentés. Mais est-ce que cela fait bouger les choses ? Oui, à l’évidence pour les trois personnes.

Quand Briar March réalise There once was an islan – Te Henua e Noho, nous sommes en 2006 et la montée des eaux n’est pas encore connue alors que sur cette petite île de Taku à 250 km de la Papouasie Nouvelle-Guinéee, c’est une réalité.

Le documentaire reçoit le grand prix du Fifo en 2010 et depuis ces années, la réalisatrice constate que le sujet est désormais courant même si les solutions n’ont pas été trouvées… « Filmer les habitants de cette petite île était comme une allégorie sur la manière dont le monde allait répondre au changement climatique. À l’époque, on me disait que ce n’était pas dû au changement climatique mais aujourd’hui il y a plus d’acceptation. J’ai vu un changement. Mais la semaine dernière, il y a eu des inondations à Auckland.C’est fou ! Et c’est contrariant de voir ce qu’il se passe. »

Pour Christine Della-Maggiora, son film Le salaire des profondeurs, sur ces pêcheurs fidjiens qui meurent ou restent gravement handicapés après des accidents de pêche, a réussi à influencer le gouvernement fidjien qui a pris des mesures pour interdire cette pêche des profondeurs terriblement dangereuse. Les effets ont donc été immédiats. 

C’est en montrant la réalité que les réalisatrices parviennent à éveiller les consciences et parfois à faire bouger les choses. « En tant que cinéaste, on montre leur monde, un endroit où habituellement il n’y a pas de caméra. C’est une forme de pouvoir et une forme d’activisme. On apprécie le dialogue et la façon dont les films provoquent la discussion. C’est une grande valeur pour nous que le Fifo amène ces films dans les îles, les écoles… », explique Briar March. « Quand on a convaincu ou touché une personne, alors c’est gagné ! » précise Christine Della-Maggiora, qui essaye avec sa partenaire,

Dominique Roberjot, de remettre le vivant au centre en faisant par exemple parler un igname dans un film, en se battant pour la protection des bêches de mer, « faire des films plus organiques ». Pour Jason Man, c’est évidemment la solution : parvenir à toucher le cœur des gens. « L’émotion peut amorcer l’éveil. Les actions sont nécessaires mais il faut aussi raconter des histoires. » Briar March ne cache pas son désespoir sur une situation qui n’évolue pas dans le bon sens et souhaite désormais raconter des histoires positives, « là où il y a de la réussite ».

« J’aime l’idée du partenariat avec des associations pour qu’elles utilisent nos documentaires pour trouver des solutions pratiques. »

Si Christine Della-Maggiora a été activiste avant de devenir réalisatrice, Briar March a fait le chemin inverse, d’abord réalisatrice puis activiste. Jason Man compte bien rester activiste tout en espérant que les réalisateurs continueront à attirer l’attention du public et des autorités sur ces sujets. 

Interview :

Christine Della-Maggiora, réalisatrice et membre du jury


« Le Fifo est une plateforme de rencontres »


Vous avez d’abord été activiste avant de devenir réalisatrice, quel a été votre parcours ? 
J’ai grandi dans les quartiers nord de Marseille, au 10e étage d’une tour et très rapidement, je me suis rendue compte que dans l’environnement dans lequel je vivais il y avait peu d’opportunité donc dès que j’ai pu, je me suis envolée. Je vivais dans le béton et mon fantasme c’était la nature, la forêt. J’ai fait un doctorat en anthropologie social et je me suis orientée vers ce qu’on appelait à l’époque les peuples premiers. J’ai travaillé en Australie avec les peuples aborigènes, j’ai fait une thèse sur l’impact du tourisme sur les cultures aborigènes. Je suis rentrée dans les communautés et je suis devenue activiste, je me suis battue sur tout ce qui touche aux droits à la terre, l’impact de la colonisation… Ça m’a forgée. 

À cette époque, vous êtes donc militante ?

Oui, je monte aux Nations Unies, j’accompagne les activistes aborigènes, je suis à fond dedans ! Une fois que j’ai passé ma thèse, on m’a proposé un poste d’enseignante chercheur à l’université de Toulouse mais je ne pouvais pas rester enfermer dans une pièce alors que le monde est en mouvement. La seule façon de continuer était de repartir sur le terrain. Il me fallait trouver un métier ajusté à mes envies. L’évidence a été le film documentaire. 

Comment êtes-vous devenue réalisatrice ?

J’ai d’abord voulu devenir écrivain, je suis partie vivre en Australie, puis aux îles Salomon et je suis arrivée un peu par hasard en Nouvelle-Calédonie où je vis désormais. J’ai rencontré Dominique Roberjot, qui coréalise et coécrit les films avec moi. Elle était photographe et j’ai commencé à faire de la photo. A l’époque, nous étions sur l’île de Maré et c’est parti d’une soirée dans un nakamal où les gens de Maré nous disaient qu’ils ne pouvaient pas voyager et partager leur culture. Leur rêve était de rencontrer d’autres peuples. Nous sommes alors parties en tour de monde sur la même latitude que Maré (21) à la rencontre des peuples autochtones avec une exposition itinérante que nous avons ramenée sur l’île. Mais on s’est rendu compte qu’il y avait plein d’histoires… La photo ne suffisait pas, on s’est donc formé pour devenir documentariste.

Quels ont été vos premiers films ?

Dans le premier, nous avons fait toutes les erreurs qu’il fallait faire ! Et puis le deuxième a été tourné au Paraguay, sur un peuple qui sortait de la forêt, forcé d’abandonner leur mode de vie traditionnelle à cause des entreprises pétrolières. Ce film a été acheté par Arte et on a continué à voyager et à se former. Parfois la production était difficile car nos films étaient engagés et inquiétaient un peu les chaînes. Nous avons donc décidé de monter notre propre société Latitude 21. 

Quels sont les thèmes de vos films ?

Les premiers étaient très engagés sur l’environnement et les droits humains, puis on est passé sur du social en essayant de faire rayonner la Nouvelle-Calédonie dans l’Océanie. C’est là où le Fifo a permis d’élargir les horizons. Nous avons présenté plusieurs films au festival.

Que représente le Fifo pour vous ?

C’est une plateforme de rencontres. Le Fifo permet de discuter entre Océaniens de tout ce qui concerne la région. Ce sont des histoires différentes mais ça résonne dans les îles. Cette année, c’est un véritable honneur d’être membre de jury, on est entre professionnels, on parle du documentaire, de ses objectifs, de son importance, de son écriture, du fond, de la forme, c’est très intéressant. Les échanges sont très riches. Entre professionnels on se comprend et en même temps, on apprend énormément. Quelqu’un d’Australie ne pose pas le même regard qu’une personne de Nouvelle-Calédonie… C’est une très belle expérience.

Est-ce difficile de choisir un seul documentaire pour le grand prix ?

Oui bien sûr mais nous sommes plusieurs et ce sera de longues discussions. Comme Marie-Hélène Villierme l’a dit, nous n’allons pas beaucoup parler mais nous allons parler longtemps. 

Est-ce que ce sont des critères précis qui permettent de choisir les documentaires primés ou bien ça vient du cœur ?

C’est le festival international du film documentaire océanien, il y a trois mots clefs : documentaire, international et océanien. Qu’est-ce qu’un documentaire ? Parle-t-il de l’Océanie ? Peut-il porter le message au-delà de nos petites îles ? Nous avons aussi un attachement particulier sur la manière dont le fond est porté par la forme pour être le plus impactant possible. Nous discutons de la manière de réussir à toucher les gens sur une thématique et comment un film arrive à son objectif car il a été écrit et structuré d’une certaine façon. 

Quels sont vos projets ?

Nous avons trois grands projets. Le premier s’appelle Femmes kanak, femmes d’influences autour de l’histoire des femmes kanaks de Nouvelle-Calédonie et surtout de cette nouvelle génération qui depuis 10 à 15 ans est en train d’accéder à des postes à haute responsabilité et prennent une place dans la société qu’elles n’avaient jamais eu ; le deuxième avec Wallis-et-Futuna qui va retracer le peuplement de l’Océanie à partir de Taïwan, à travers la linguistique et les dernières technologies qui confortent les découvertes des linguistes ; le troisième concernera l’impact géopolitique de la Chine dans le Pacifique. 


Propos recueillis par Lucie Rabréaud - FIFO