La Nouvelle-Calédonie en voie de cessation de paiement ?

Le siège de la Province sud où siège le gouvernement local.
La Nouvelle-Calédonie en mauvaise posture financière. L'actuel débat sur le possible soutien de l'Etat de 7 milliards cfp met en lumière la gravité de la situation. Le taux d'endettement de la collectivité est de plus de 200%. Des réformes sociales et surtout fiscales sont attendues depuis longtemps afin de rééquilibrer les comptes.

La situation financière de la Nouvelle-Calédonie n'est pas bonne comparée à celle de la Polynésie.

La récente annonce par Milakulo Tukumuli, le président du parti de l'Eveil océanien (afflilié aux indépendantistes), d'une aide financière de l'Etat de 7 milliards cfp, et détaillée par le membre du gouvernement chargé des finances, Yannick Slamet, a obligé le haut-commissaire à faire des précisions sur cette éventuelle aide. "Pour l'instant, il n'y a aucune décision qui a été prise à ce stade. Les décisions sont prises par les autorités politiques nationales", a déclaré la semaine dernière le représentant de l'Etat en Nouvelle-Calédonie, Louis Lefranc.

©polynesie

Ce débat sur cette aide financière est l'arbre qui cache la forêt. "Si depuis 3 ans les 2 prêts de l'Etat de 50 milliards cfp et la subvention exceptionnelle de 14 milliards cfp ont permis à la Nouvelle-Calédonie d'assurer sa trésorerie, aujourd'hui faute d'une réforme du Ruuam (Régime unifié d'assurance maladie et maternité) et fiscale, le Caillou est de nouveau tributaire du soutien financier de l'Etat. Sans lui il serait en cessation de paiements", soulignent nos confrères de Nouvelle-Calédonie la 1ère.

En fait, depuis longtemps, la sonnette d'alarme est tirée. 

"Problème de trésorie" 

Au mois de juillet, un article de l'AFP rappelait ainsi que la Nouvelle-Calédonie était de nouveau en voie de cessation de paiement, faute de trésorerie, une situation préoccupante pour cette collectivité territoriale qui négocie aujourd'hui son avenir institutionnel. 

La Nouvelle-Calédonie est "sur la voie d'une cessation de paiements", avait alors indiqué à l'AFP [le même] Yannick Slamet, confirmant ses propos tenus la semaine précédente au Congrès.

Le doyen du 17e gouvernement calédonien avait appelé à poursuivre le plan de réformes qui apporterait "de l'oxygène" et à engager rapidement une concertation entre élus de tous bords afin de "trouver les solutions". "Les budgets sont bien gérés, il s'agit en fait d'un problème de trésorerie", assurait-il.

Le Congrès de Nouvelle-Calédonie, l'équivalent de l'assemblée de Polynésie.

Il y a plus de deux mois, les fonctionnaires territoriaux, qui demandaient une revalorisation du point d'indice, avaient engagé une grève illimitée et les retraités de la fonction publique calédonienne étaient inquiets quant au versement de leur pension de juillet.

Les principaux indicateurs financiers du budget propre à la Nouvelle-Calédonie sont fortement dégradés depuis quatre à cinq ans et sont dans le rouge. Le fonds de roulement est équivalent actuellement à six jours de dépenses de fonctionnement et d'investissements, alors que le seuil recommandé est d'au moins trente jours, selon les données du gouvernement de Nouvelle-Calédonie.

La mobilisation de deux prêts massifs garantis par l'État et mis en oeuvre par l'Agence française de développement (AFD), pour financer la crise sanitaire et soutenir les comptes sociaux, en 2020 puis en 2022, a fait progresser le taux d'endettement propre à 201%, bien au-dessus des 90% admis.

Les déficits se creusent 

 La ligne de trésorerie n'est plus à la hauteur des années précédentes, selon la même source, ce qui handicapera les versements réguliers aux collectivités et autres établissements publics.

Les comptes de la Cafat, la CPS calédonienne, sont aussi dans le rouge.

"Une commission spéciale du Congrès travaille, mais pendant ce temps-là, les déficits se creusent. Il faut une sortie rapide du problème", avait déclaré à l'AFP Jean-Pierre Kabar, président de la CAFAT, la caisse sociale de Nouvelle-Calédonie rappelant le déficit structurel du Régime unifié d'assurance maladie et maternité (Ruamm) qui est de l'ordre de 13 milliards cfp par an (108,6 millions d'euros).

Accélérer les réformes

"La Nouvelle-Calédonie recueille 100% des recettes fiscales, mais elle n'en perçoit in fine que 17%", le reste allant aux provinces, communes et autres établissements publics, constatait le député Renaissance Philippe Dunoyer, aussi élu Calédonie ensemble (Loyaliste) au Congrès du territoire.

"Il est nécessaire de revoir l'architecture des ventilations des recettes fiscales entre les collectivités", et ce, à l'heure de discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Louis Mapou, à droite, président du gouvernement calédonien.

En mai, le président du gouvernement calédonien, Louis Mapou, avait sollicité un soutien financier de l'État d'environ 13 milliards cfp (108,6 millions d'euros).

Dans un rapport sorti au mois d'août, la Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie encourageait le gouvernement local à accélérer les réformes fiscales tout en améliorant l'efficacité du système, afin de retrouver des marges de manoeuvre dans un contexte budgétaire particulièrement contraint. 

TGC (TVA locale) inefficace

Les magistrats de la Chambre territoriale des comptes (CTC) avaient examiné la gestion de la compétence fiscale exercée par la Nouvelle-Calédonie entre 2017 et 2021.

Une période marquée notamment par l'instauration de la taxe générale à la consommation (TGC), équivalent de la TVA appliquée en France métropolitaine, et par les prémices d'une réforme fiscale de grande ampleur.

"La diminution des recettes fiscales en valeur absolue et en pourcentage du PIB depuis 2018 apparaît comme inhabituelle par son intensité et sa durée", constataient les magistrats de la CTC. Cette baisse résultait en grande partie d'un rendement fiscal de la TGC plus faible qu'attendu, de l'ordre de 60 millions d'euros (7,159 milliards cfp) pour la première année (pour un rendement total d'environ 370 millions d'euros soit plus de 44 milliards cfp).

"Limites de solvabilité"

La Chambre rappelle que le Congrès (assemblée) de la Nouvelle-Calédonie avait adopté en mai 2022 une délibération appelant le gouvernement territorial à "engager sans délai un ensemble de réformes dans le secteur de la fiscalité". Le plan devait permettre d'augmenter le rendement fiscal pour 2023 d'environ 275 millions d'euros (32,8 milliards cf).

Les magistrats avaient constaté toutefois "que peu de mesures ont été votées et que la programmation a ainsi pris du retard". Pour surmonter ses difficultés budgétaires, le gouvernement calédonien a eu massivement recours à l'emprunt (580 millions d'euros entre 2020 et 2022, soit 69,2 milliards cfp), faisant atteindre à la Nouvelle-Calédonie "les limites de sa solvabilité".

La CTC avait donc recommandé à la collectivité, outre les hausses d'impôts, d'améliorer l'efficacité et de moderniser le système fiscal. Dans cette optique, il a été préconisé de "produire des statistiques et des analyses rétrospectives et prospectives" qui font aujourd'hui défaut.