Un tremblement de terre avait annoncé un grand bouleversement mais les Tahitiens étaient loin d’imaginer ce qui allait suivre…. Car ce n’est pas le premier navire qu’ils voient débarquer à Tahiti. Wallis, Cook ou encore Bougainville sont déjà passés par là. Avec l’équipage du DUFF de la London Missionnary Society, les habitants de Tahiti notent une différence notable et s’interrogent. Eux qui s’étaient habitués aux négociants et marchands venus leur prendre des ressources naturelles avant de repartir sur les eaux. Cette fois, ils observent des étrangers à la peau blanche certes, mais qui semblent avoir un autre but.
Vêtus d’une redingote, ces hommes dont quatre pasteurs débarquent à Matavai alors sous le pouvoir de Pomare II, avec une idée : évangéliser les Tahitiens. « Les missionnaires n’avaient aucune idée de ce qui se passait alors à Tahiti. Pomare II était à Arue mais le pouvoir était détenu à l’époque par le clan Teva sur la côte Ouest. Ils sont donc arrivés avec leur bonne foie et leur rigidité parce qu’il y avait à cette époque en Angleterre, sous le règne de la reine Victoria, le mouvement de la réforme. Ils devaient donc évangéliser tout ceux qui étaient dans l’ombre, dans les ténèbres. », explique Vahi Tuheiava, présidente de la Société des Etudes Océaniennes (SEO). Mais comment réussir à convertir la population ? Comment s’y prendre ?
Quand un bouleversement en appelle un autre
A l’époque, Tahiti vit un bouleversement interne. Le culte des divinités changent. Le dieu Oro prend le pas sur son père, Taaroa. A cause des Arii, celui qui était vénéré comme dieu de la fertilité glisse vers le dieu de la guerre. Pourquoi ? Parce qu’il y a alors une révolution des Arii, des royautés qui devenaient de plus en plus puissantes. «On ne peut pas faire fi de l’histoire. Aujourd’hui, les protestants, les catholiques et toutes les églises qui sont implantées ici s’accaparent en quelque sorte la christianisation des Tahitiens grâce à l’arrivée de l’Evangile mais en réalité, on ne peut pas oublier sous quel socle cela a eu prise. Il existe déjà à l’époque des bouleversements internes profonds pour expliquer la passation de la divinité Taaroa Tane - Oro qui sera remplacé par Jehovah. Quand les missionnaires arrivent, la voie était donc tracée pour que les esprits soient préparés. Après ça ne s’est pas fait comme ça, c’est très lent ici ».
Les protestants ont alors une obsession : amener le plus grand nombre à la connaissance de la bible et donc de l’écrit. Finalement, peu importe l’autorité qui ramène les fidèles, ce qui compte c’est d’abord la référence au texte sacré. Mais comment faire lorsque l’on doit faire face à un peuple où l’écrit n’existe qu’à travers des tatouages et la transmission se fait par l’oral ? Il devient évident pour les missionnaires de former le Tahitien et lui apprendre à décrypter, lire puis écrire pour lui donner un accès au livre sacré d’où émane la connaissance de Dieu.
L’écriture, base de l’évangélisation
Au tout début du XIXe siècle, les missionnaires ouvrent la première école à Matavai. On y apprend l’alphabet et à lire. Au départ, seule une poignée d’autochtones y viennent puis ils sont de plus en plus nombreux jusqu’à atteindre plus de 300 personnes. L’engouement est réel et l’école devient un lieu de rendez-vous. Les Tahitiens délaissent le reste de leurs tâches pour suivre des cours du soir. C’est donc une nouveau modèle qui s’érige. Pomare II, qui a tout de suite vu l’intérêt de l’écriture, est parmi les premiers à savoir lire et écrire. Il a bien compris que les missionnaires tiraient leur mana d’un livre…
Un livre qui va être le premier à être traduit. C’est Henry Nott, simple maçon de profession mais doté d’un don pour la langue, qui va s’y atteler. Arrivé avec le DUFF, il est rejoint par John Davis dès 1801. Ensemble, ils vont travailler avec les Tahitiens sur la traduction de la bible. « Nott et Davis se sont rapprochés de quelques Tahitiens pour faire des dictionnaires car pour traduire la bible il fallait maîtriser la langue. A l’époque, ils n’avaient aucun outil mais que leurs oreilles et cette volonté de dire : il faut qu’on y arrive…. Nott mettait des mots, prononçait à haute voix, et les autres rectifiaient au fur et à mesure, ils inventaient des mots. Cette bible est donc une conjonction du travail entre popa’a missionnaires et les Tahitiens qui donnaient de leur temps. ».
La société change
Le travail commence en 1801 et durera plus de trente ans. Au cours de ces années, Henry Nott, qui finit par maîtriser le reo tahiti et devient un orateur hors pair, part dans les îles Sous le Vent avec sous les bras des pages de traduction de la bible. Même s’il passe par l’oralité, il souhaite terminé son travail d’écriture. « En dehors de la conversion des âmes, il fallait absolument rendre le texte sacré accessible aux Tahitiens. Le premier évangile traduit est celui de Luc en 1817. Il a ensuite fallu l’arrivée de l’imprimerie en 1817-1818 pour diffuser le texte. Après il y a eu la traduction de l’évangile de Mathieu et de Jean beaucoup plus tard, puis l’ancien testament. On ne sait pas grand chose de cette phase historique, mais il est certain que les missionnaires n’ont pas seulement désacralisé, ils ont amené l’accès à l’écriture. Ce qui a changé radicalement la suite… »
Dans le même temps, Pomare II est consacré Roi en 1819, une autre révolution pour une île régie par des clans et non par une seule personne. L’évangile fait donc voler en éclat le modèle de société de l’époque. Quand le nouveau roi se fait baptiser, il est suivi par ses fidèles qui se convertissent en masse. Les premiers évangiles tahitiens partent alors avec les missionnaires britanniques à la conquête du reste de l’Océanie. Îles Cook, Samoa, Tonga, Nouvelles-hybrides, Nouvelle-Calédonie… De 1820 à 1830, ces territoires seront évangélisés et Tahiti devient le centre de rayonnement car c’est là où que la LMS s’est d’abord implantée, que tout a commencé. Aujourd’hui, la bible en tahitien est le seul livre que l’on retrouve dans toutes les familles polynésiennes. « Elle est partout et les textes sont appris par coeur, surtout les psaumes, et sont même cités dans les meeting politique. Il faut citer la bible car elle est la seule parole qui ne ment pas. C’est pour ça qu’ici, politique et religion ne sont jamais séparées. » L’influence de l’évangélisation ne s’est donc pas arrêtée à une simple conversion, elle a changé à jamais la société polynésienne. « L’école est apparue, l’écriture a été fixée, la société a été bouleversée…. L’espace a changé. Les maisons se sont construites, les outils ont changé, il fallait faire les choses autrement. Il était important de traduire dans l’espace ce qu’on a appris des autres ». Il y a aura donc un avant 5 mars et un après…