Olivier Pollet, Lucile Guichet-Tirao, Dean Gibson et Briar March ont tous les quatre réalisés des documentaires sur des faits de société explosifs : la colonisation et les excès de la pêche pour le premier, la consommation d’ice et ses impacts pour la deuxième, l’incarcération des populations aborigènes pour le troisième et enfin la montée des eaux avec le changement climatique pour la quatrième.
Quand Olivier Pollet réalise Canning Paradise, il veut « montrer et comprendre » : « Les ressources halieutiques de la Papouasie-Nouvelle-Guinée étaient détruites à cause des thoniers qui venaient des Philippines. Ils déplaçaient toutes les conserveries des Philippines en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ça m’interpellait à l’époque. On parle de développement mais n’est-ce pas une régression ? Comme je ne comprenais pas ce paradoxe, j’ai décidé d’y aller. »
Il découvre que cette industrie est passé de 400 000 tonnes de thon par an dans les années 1950 à 4 millions et que la population souffre de cette pêche industrielle. Aujourd’hui, Olivier Pollet est ravi d’expliquer que le documentaire continue à être diffusé et visionné : « Dans certains endroits, des conserveries n'ont pas pu s’installer. Ça redonne espoir. »
Ce premier documentaire l’a mené à réaliser le second : Ophir, grand prix du Fifo 2020. « Ce sont des communautés qui nous ont demandé de travailler avec elles sur l’histoire de Bougainville.
Le film évoque la colonisation et la tentative d’une compagnie minière de s’installer sur l’île provoquant une guerre civile. « Nous avons voyagé pendant deux ans dans le monde pour chercher les rapports secrets qui pouvaient exister avant d’aller recueillir cette parole. »
Le film s’accompagne d’une plateforme éducative qui permet d’accéder aux ressources du documentaires : les documents et rapports trouvés, les interviews, des vidéos…
Olivier Pollet a constaté que la parole est une libération et qu’elle peut toucher à la conscience collective.
Lucile Guichet-Tirao a présenté Sana, le cristal qui consomme, au Fifo 2022. En tant que journaliste, elle est interpelée par les chiffres « hallucinants », une consommation « qui progresse de manière incroyable ».
« Pendant un an, on a suivi trois personnes dans leur parcours pour essayer de se sevrer de l’ice. « On n’a pas le pouvoir de changer les choses mais on parvient à mettre la lumière sur des faits de société, on a fait le job. C’est bien de se sentir utile. Et sinon qui va parler des minorités, des toxicomanes ? » Devenue journaliste pour « porter la voix de ceux qu’on n’entend pas », elle souhaitait raconter le problème de l’ice et toutes ses conséquences : la délinquance, la violence, la destruction des familles. « Sa sélection au Fifo a permis d’en parler. Puis il a été projeté aux autorités de l’État, du pays, aux associations, qui se sont ensuite interrogés collectivement sur ce qu’on peut faire. Mais une année plus tard, il ne s’est rien passé. Il y a un projet de centre de sevrage mais avec 20 lits. On pense qu’il y a environ 18 000 consommateurs. On est complètement déconnecté de la réalité. Mais il faut accepter que ce n’est plus de notre ressort. »
Dean Gibson, réalisateur australien, présente cette année au Fifo, en compétitions : Incarceration Nation.
« En Australie on parle beaucoup de statistiques, de données, de rapports… Le pays est très fort pour les rapports mais pas pour agir. C’est ce qui m’a motivé. Quand on va à la bibliothèque du parlement, on voit l’empilement des rapports sur les morts en détention ou sur les taux d’aborigène derrière les barreaux. Je ne voulais pas faire un film de plus qui allait se retrouver sur une étagère à côté des rapports. On voulait donner vie aux statistiques et choquer les gens. » Sa motivation : que les brutalités policières ne se reproduisent plus. »
Briar March a présenté son premier film en 2010 au Fifo : Te Henua e Noho – There once was an island, montrant les conséquences du changement climatique avec la montée des eaux sur l’île de Taku au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
« Des films donnaient les statistiques et disaient ce qui allaient arriver. Mais la communauté là-bas est unique et allaient-ils devoir quitter cette île à cause de la montée des eaux ? Tout quitter : leur terre, leur culture… C’était quelque chose de puissant. Je voulais faire ce film en tant qu’histoire humaine, parler du changement climatique d’un point de vue universel et humain. »
Le film a beaucoup voyagé et cette petite communauté sait désormais que leur histoire a été portée ailleurs dans le monde. Pour les quatre réalisateurs, leur objectif est de faire passer les paroles et de bâtir des ponts pour générer des discussions, du partage et aussi une meilleure compréhension.
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Olivier Pollet, réalisateur et membre du jury
« Aller à la rencontre des populations et comprendre le monde »
Comment êtes-vous devenu réalisateur ?
J’ai commencé par étudier l’histoire et l’anthropologie puis j’ai suivi une formation de journalisme en Australie. À la fin de mes études, je me suis intéressé au journalisme d’investigation et en même temps j’ai toujours été passionné par le documentaire. J’ai grandi en regardant la chaîne Planète et je me disais que ça pourrait être une belle vie d’aller à la rencontre des populations, de sujets et d’essayer de comprendre le monde. C’est une journaliste d’investigation australienne, qui était aussi notre enseignante, qui nous a montré une vidéo YouTube d’un chef Papou qui racontait l’histoire de ce qu’il se passait sur sa terre : accaparement de terres, multinationale qui vient pour exploiter les ressources, de femmes qui tombaient dans la prostitution. On en a parlé ensuite en classe et cette enseignante m’a encouragé à partir en Papouasie-Nouvelle-Guinée car personne ne veut y aller.
Avez-vous suivi son conseil ?
C’est considéré comme un pays compliqué, dangereux, il y a 850 langues… Tout ça est vrai et faux. Mais je n’y connaissais rien et je me demandais quelle légitimité j’aurai à aller là-bas. En même temps je me rendais compte de l’étendue de l’histoire de cette vidéo YouTube : ça parlait de développement et de progrès mais on retrouvait les pires dynamiques avec la destruction des ressources, de la terre, sociale. On parle de progrès et c’est finalement un appauvrissement général de la population.
Vous êtes finalement parti là-bas ?
J’ai commencé à contacter les communautés et une ONG. En bon petit étudiant, je leur envoie une centaine de questions et le directeur de cette ONG me répond que toutes mes questions sont intéressantes, il constate que je suis passionné par le sujet et il me dit de venir. Ils me logeaient, me nourrissaient et m’aideraient à partir à la rencontre des populations. Au départ, je ne pensais pas faire un documentaire comme Canning Paradise. J’avais juste fait quelques vidéos de deux ou trois minutes à l’université, suivi un cours sur les bases de la production vidéo... J’ai donc tout appris moi-même. Je pensais également faire un partenariat avec un étudiant papou pour cette histoire : lui avec son regard intérieur et moi avec mon regard extérieur. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça ! Je me suis retrouvé à enseigner en Papouasie-Nouvelle-Guinée ! J’ai noué des relations très fortes avec des étudiants et nous sommes restés en contact. Nous avons collaboré sur des courts-métrages et ils m’ont incité à revenir pour l’histoire coloniale de Bougainville (le documentaire Ophir).
Que représente la Papouasie-Nouvelle-Guinée pour vous aujourd’hui ?
C’est une partie de ma vie ! Ce n’est pas un territoire que j’ai choisi mais les choses se sont faites de cette manière, peut-être qu’il n’y a pas de hasard. Je n’avais pas d’obstination particulière à faire des films sur ce pays mais au bout d’un moment on comprend mieux les codes culturels, les langues, la confiance s’installe et il y a tellement d’histoires à raconter.
Avez-vous d’autres projets aujourd’hui ?
On pense souvent que le doc se termine une fois le montage fait et qu’on passe à autre chose. Mais la distribution est aussi importante et c’est autant de travail que la création. J’ai travaillé pendant des années sur ce sujet et je veux le faire vivre. Ophir a obtenu 30 prix, il a été diffusé dans 45 pays dans 130 festivals, c’est super ! Avec la recherche qui a duré des années, on avait tellement de matières pour ce documentaire, que l’idée est née de créer une plateforme. Je travaille désormais à la distribution de cette plateforme. J’avais envie de faire de nouveaux documentaires mais je n’ai pas eu le temps. Et puis quand on sort d’un énorme projet comme celui-là, on est un peu fatigué, physiquement, émotionnellement… C’est un combat énorme de faire un doc. Aujourd’hui, j’ai une piste pour un autre projet mais je fais une petite pause pour réfléchir.