Le Pacifique Sud, plaque tournante du narcotrafic

Photos d'archives - Voilier arraisonné au large de Gambier début 2016 avec de la cocaïne à bord
Le narcotrafic s'enracine sur le Pacifique Sud, où des bandes criminelles profitent de l'isolement des Etats insulaires pour faire passer leurs cargaisons vers le reste du monde, entraînant une hausse de la toxicomanie dans la région, selon des responsables policiers et onusiens.

Situés aux carrefours de routes océaniques globalement non surveillées, des archipels comme les Fidji et les Tonga sont employés par les trafiquants pour faire transiter la cocaïne d'Amérique latine et la méthamphétamine et les opioïdes d'Asie.

Entre l'Amérique du Sud et l'Australie

La dernière grosse saisie en Polynésie française date de septembre 2022. Un voilier suédois avait été intercepté par les douanes avec 423 kilos de cocaïne à bord. Le navire avait quitté le Panama et devait regagner l'Australie. La marchandise n'était pas destinée à la Polynésie, très peu consommatrice de cocaïne.

"Nous sommes victimes de notre localisation", explique à l'AFP le responsable de la police des Tonga, Shane McLennan. Le royaume de 176 îles "dans l'ensemble non protégées" est "un point de transit idéal", d'après M. McLennan.

La drogue, "surtout de la méthamphétamine", de même source, est déchargée dans des ports paisibles avant d'être expédiée vers de lucratifs marchés.

De quoi faire bondir la consommation de cette substance de synthèse aux Tonga, peuplés de 105.000 habitants, au point que l'indice mondial du crime organisé, de l'ONG Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC), parle d'une "épidémie".

"C'est un problème (...) Certaines personnes qui marchent par ici sont ravagées" par cette drogue, moins chère que la cocaïne et particulièrement addictive, s'alarme Latimuli Taliauli, un chauffeur de taxi de 39 ans dans la capitale, Nuku'alofa.

Au nord-ouest, dans l'archipel des Fidji, la travailleuse communautaire Kalesi Volatabu dit pour sa part constater "un non-respect de la loi dans les quartiers, les écoles, et les risques et dangers présents dans les villages ruraux où ces poisons se répandent".

L'ice aux Tonga et à Fidji aussi

A l'image de la Polynésie française, les données sur la consommation, l'addiction et la criminalité sont rares, voire inexistantes dans de nombreux pays du Pacifique.

Aux Tonga, des documents de justice témoignent d'une congestion du système judiciaire par des cas de consommation ou de deal parmi des ouvriers du bâtiment, mécaniciens ou enseignants. 

Un adolescent et son complice majeur jugés en 2024 ont notamment fait les titres après le vol d'objets précieux au musée national des Tonga, échangés pour un seul gramme de méthamphétamine valant 100 dollars, selon un document judiciaire obtenu par l'AFP.

En Polynésie, le trafic d'ice touche tous les milieux socio-professionnels.

Autre indicateur : des prises récentes équivalentes à d'autres survenues dans les grands carrefours que sont la Thaïlande et Hong Kong. C'est le cas de quatre tonnes de méthamphétamine saisies aux Fidji cette année.

La cocaïne, elle, a commencé à s'écouler il y a plus de 20 ans dans le Pacifique, lorsque des cartels d'Amérique latine ont souhaité fournir l'Australie.

Le pays ne consommait en 2008 que 2% du volume mondial de cocaïne, mais les prix astronomiques en faisaient alors le troisième marché le plus lucratif du monde, selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

Présence du crime organisé

Pour rejoindre la région, les narcotrafiquants emploient deux routes distinctes.

L'une provient d'Amérique latine et des Etats-Unis et traverse la Polynésie en direction de l'Ouest, vers les Tonga, les Fidji ou les Samoa.

La seconde achemine la drogue préparée dans des laboratoires d'Asie du Sud-Est à travers les Etats mélanésiens tels que les Palaos et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Parfois, d'énormes cargaisons de drogue sont attachées à des bouées et dérivent au gré des courants océaniques, comme trois tonnes de cocaïne découvertes en 2023, un "point de transit flottant" précédant leur acheminement vers l'Australie, d'après la police néo-zélandaise.

A la manoeuvre, les autorités retrouvent des "cartels de la drogue" aux Fidji ou encore des "organisations internationales de trafiquants de drogue" en Papouasie-Nouvelle-Guinée, selon des documents judiciaires consultés par l'AFP.

Jeremy Douglas, responsable au sein de l'ONUDC, identifie aussi dans le Pacifique "des cartels d'Amérique latine, des organisations et triades asiatiques" ainsi que des gangs d'Australie, de Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis.

Le grand cartel mexicain de Sinaloa est "le plus important dans l'arène", note quant à lui le GI-TOC établi à Genève.

Aux Palaos, Washington considère pour sa part que la triade 14K, l'un des plus importants groupes du crime organisé à Hong Kong, constitue une menace majeure.

Outre la drogue, la présence du crime organisé a renforcé le blanchiment d'argent, la prostitution et les casinos illégaux dans la région.

"Pendant longtemps, le Pacifique était une région où peu d'acteurs extérieurs étaient impliqués", relate le chercheur Sinclair Dinnen de l'université nationale d'Australie.

"Cela est relativement nouveau dans cette partie du monde. Mais il semble que cela augmente."