Licences de pêche : petits arrangements entre amis ?

Mi-avril, une partie des pêcheurs avaient fait part de leur colère face, notamment, à l’attribution de licences de pêche professionnelle "par affinités", selon eux. Des retraités, des entrepreneurs, mais aussi une poignée d’élus bénéficiant par la même occasion des aides publiques qui vont avec.

A ce jour, 524 licences de pêche professionnelles circulent en Polynésie, mais seulement 442 bateaux professionnels actifs. Alors, nous avons épluché les licences accordées. Des données publiques, toutes publiées au Journal Officiel de Polynésie. Figurent parfois des salariés retraités, des entrepreneurs ou encore quelques élus. Une minorité parmi les professionnels du secteur.

Mais pour chaque licence professionnelle, des aides publiques sont accordées : la défiscalisation d’Etat, une aide à la construction (DAI), 500.000 F de remise sur le moteur et surtout le carburant détaxé à 30F le litre. Des aides publiques censées soutenir un secteur aux revenus irréguliers. Une injustice pour ce pêcheur qui préfère rester anonyme : "Par rapport à ceux qui vivent vraiment que de la pêche, c'est vraiment injuste. Ils profitent du carburant détaxé pour aller juste le week-end, c'est de la pêche de loisir. C'est pas leur premier revenu. Quelqu'un qui vit vraiment de la pêche, c'est de lundi à samedi. [...] Les avantages, le carburant détaxé...ça aide beaucoup le pêcheur. Sans ça, personne n'irait à la pêche. Tu vois un élu ou une personne qui n'a pas besoin de vivre de la pêche et qui reçoit une licence de pêche, c'est pas juste. Sûrement grâce à des copains par-ci par-là, ils connaissent les bons copains aux bons endroits et puis c'est comme ça que c'est accordé. C'est comme ça que ça marche un peu dans notre système."

Dauphin Domingo et Cyril Tetuanui pêcheurs professionnels

Parmi la poignée d’élus, le maire-délégué de Tiarei, Dauphin Domingo, par ailleurs retraité de l’équipement. Rejetée une première fois, sa demande a finalement été acceptée par la Commission de la Pêche Hauturière, le 21 avril dernier,  pour un poti marara "en projet de construction". Le président du syndicat Rava'ai Rau, Marc Atiu, y siégeait. Pour lui, il n'y a pas de problème : "[La première fois] Le bateau était déjà en construction. On a ouïe dire que le bateau allait être construit pour son fils, ça a été aménagé de façon à ce que ce soit son fils qui aille dessus, il n'a pas le diplôme...on a demandé un complément d'informations, on a refusé, c'est tout. La deuxième fois, c'est passé parce qu'il a vu les personnes à la Direction des Ressources Marines et, je pense, des personnes autour de lui pour lui faire des attestations comme quoi il allait bien faire la pêche." Mais le syndicaliste temporise "ça ne veut pas dire qu'il va bénéficier de la défiscalisation ou de l'aide à la construction. Pour en bénéficier, il faut demander ces aides avant la construction. Si la construction est engagée avant, c'est régit par des textes, il ne peut rien demander. [...] Mais ce n'est pas mon rôle de contrôler, c'est le rôle de la Direction des Ressources Marines et de la douane parce que c'est de l'argent public. Moi, je ne peux que le conseiller et lui dire de faire attention..."

Marc Atiu reconnaît globalement "une partie, peut-être infime, qui fraude. Ce sont ces gens-là qui causent un préjudice à la profession. Mais ce n'est pas de la compétence de la Commission, c'est de la compétence des Ressources Marines et de la douane : ils doivent faire leurs contrôles. [...] ça concerne en grande partie le carburant détaxé. Nous avons aussi certaines personnes qui utilisent le carnet de licence pour pouvoir obtenir des avantages sur certains matériels de pêche."

Car, pour obtenir la précieuse licence de pêche professionnelle, seulement deux critères : détenir le brevet de capitaine ou une équivalence par l’expérience, mais surtout tirer l’essentiel de ses revenus de la pêche en l'attestant...d'une déclaration sur l’honneur. C'est ce dernier critère, flou, qui pose problème. 

Ensuite, la licence est accordée presque à vie, sauf en cas de vente du bateau, changement de moteur ou insuffisance d'activité. Mais selon Marc Atiu, il n'y a plus eu de commissions disciplinaire "depuis 5 ou 6 ans."

Par téléphone, Dauphin Domingo se défend : "J'ai toujours pêché, c'est mon septième bateau que je fais. Aujourd'hui, je suis à la retraite [de l'équipement ndlr] et on peut demander une licence de pêche. La Commission me l'a attribuée. Y'a pas d'arrêté du Pays qui dit "un retraité..." Aujourd'hui, il y a plein de retraités qui ont une licence, qui ont bien abusé avant. La Commission est consultative, le dernier mot c'est le ministre. C'est le ministre qui a attribué." Le maire-délégué a refusé toutes nos demandes d'interviews : "il faut demander l'avis du ministre ou de la Commission."

Egalement détenteur de la licence de pêche professionnelle pour un bonitier, le maire de Tumaraa et président du Syndicat pour la Promotion des Communes, Cyril Tetuanui. Problème de réseau ou refus de nous répondre, il raccrochera dès la première question et ne répondra plus à nos nombreux appels.

Le maire de Punaauia armateur

Le maire de Punaauia est armateur. Autrement dit, Simplicio Lissant est propriétaire d’un bateau qui est exploité par un capitaine de pêche. Les textes lui interdisent de piloter lui-même son navire. Le carburant détaxé doit servir exclusivement à la pêche professionnelle, en aucun cas aux loisirs. Le maire l'assure : "Je ne peux utiliser mon bateau qu'occasionnellement, selon le bon vouloir de mon capitaine bien sûr. C'est d'abord son activité de pêche qui prime. Je peux quand même l'utiliser, en sa présence bien entendu puisque c'est l'obligation par les textes, il y a des règles bien précises. Mais, ce n'est qu'occasionnel, très très rarement. [...] J'ai le permis haute mer, sans souci. En tant que plaisancier, j'ai les titres de navigation, mais le bateau dispose aussi des titres professionnels au nom du pêcheur."

"Il y a des règles, on passe à travers"

Par téléphone, un élu nous explique sous couvert d'anonymat les ficelles de l’attribution de la licence, même s'il assure qu' "on ne donne pas les licences 'comme ça' ". Autrefois lui-même détenteur d’une licence de pêche professionnelle, qu’il a depuis annulée : "Certains passent à travers le filet, on va dire...Il y a certains, c'est le mari qui travaille et ils la mettent au nom de la femme. Mais après, c’est sûr c’est pas la femme qui pêche, c’est le mari qui pêche, c’est le salarié. Y’a plein de petits…disons, les textes ne sont pas encore bien ficelés, on va dire. Il faut revoir la réglementation pour que ce genre de situations n’arrivent pas. Il y a des règles, on passe à travers. Actuellement, ce qui pose problème, à juste raison, c'est que des plaisanciers vendent leurs poissons."

Davantage de contrôles et un toilettage du statut de marin pêcheur

Les syndicats de pêcheurs regrettent le manque de contrôle. "Au moins 5 ou 6 agents pour faire des contrôles assez sérieux, réclame Marc Atiu du syndicat Rava'ai Rau. Il faut aller devant les stations, les pompes, pour vérifier si ça va bien dans les réservoirs des bateaux des pêcheurs professionnels et s'ils sont bien les titulaires de la licence. Je pense que la Direction des Ressources Marines n'est pas assez dotée en personnels pour pouvoir faire des contrôles partout. Il faut être à la presqu'île, comme il faut être à Arue, comme il faut être dans les îles. Ils n'ont pas les moyens."

Les syndicats demandent également à amender le statut de marin-pêcheur, qui pourrait, par exemple, fixer un plafond sur le montant des retraites pour pouvoir obtenir une licence professionnelle. Surtout que dans le même temps, les pêcheurs professionnels, quant à eux, sont obligés de rendre leur licence arrivés à l'heure de la retraite.

Contactés, le ministère de l’économie bleue se dit indisponible pour une interview.

Ce mardi 4 mai, un collectif de pêcheurs a effectué un signalement au procureur pour fraude à la défiscalisation.