"Je voulais savoir où c'en était pour..., en fait on l'attend", demande Ludivine Togna au téléphone, infirmière coordinatrice de soins.
Cette patiente, attendue dans le service psychiatrie pour son suivi, ne viendra pas. L’équipe médicale est préoccupée, mais ne la lâche pas pour autant.
Ludivine Togna intervient dans le dépistage précoce des pathologies psychiatriques, dès 16 ans. Changer l’image de la psychiatrie, briser les tabous, pour mieux accompagner les patients et leurs familles. Car plus la prise en charge commence tôt, moins il y a de risque chronique.
Mais les décompensations (dégradations) et les rechutes font aussi partie du quotidien de ces soignants. "Je ne dirais pas qu'on a l'habitude, bien sûr que c'est vécu comme un échec pour nous, on essaie de faire le maximum. Nous on fait de la psycho-éducation qui permet de faire prendre conscience aux patients que c'est une maladie, que ça se soigne et que c'est important d'avoir un traitement, qu'on ne peut pas s'en sortir tout seul", explique Ludivine Togna.
"Il faut prendre conscience que le cerveau, c’est un organe qui s’abîme aussi et peut aussi être malade, comme plein d’autres maladies qui ne se voient pas"
Martin et Yesica reviennent de leur tournée de visites à domicile. A eux deux, ils suivent 69 patients sur Faa’a et Moorea…Maillons essentiels dans le suivi de ces maladies chroniques, et pour éviter la rupture des soins. "Chaque patient a sa propre raison de l'arrêter, après en règle générale, cela fait partie de symptômes qui est le déni de la maladie. Donc la non-acceptation des soins. Tout notre travail est là : faire comprendre la maladie au patient, à la famille, à l'entourage, pour les accompagner dans la vie de tous les jours", souligne Martin Tevenon, infirmier diplômé d’Etat en psychiatrie.
Oui mais voilà, la géographie de la Polynésie ne permet pas un accès aux soins équitable à tous les patients. Seuls deux centres existent : à Papeete et à Taravao. Des missions ont lieu régulièrement, en fonction de l’isolement des îles. Certains patients ne voient leur psychologue ou leur psychiatre qu’une fois par an. Aucune structure d’hospitalisation non plus pour la prise en charge des toxicomanes, lorsque l’on sait que certains troubles psychotiques entraînent une appétence pour les substances addictives.
Les pathologies psychiatriques souffrent encore d’un tabou. Les maladies mentales font parfois honte ou peur. Et la tolérance de l’entourage peut aussi mener à retarder l’accès aux soins.
Trop peu de psychiatres
Enfin, l’offre de soins reste insuffisante par rapport au nombre d’habitants. Seulement 12 psychiatres pour 100 000 habitants. C’est presque 2 fois moins que dans l’Hexagone qui compte 23 psychiatres pour 100 000 habitants, un des ratios les plus élevés d’Europe. "Les gens qui souffrent de troubles psychiatriques sévères sont davantage victimes en fait de violence, de la dangerosité des autres, ou se font du mal à eux-mêmes avant de faire du mal à autrui. Enfin ça peut exister dans certaines situations très rares", indique le docteur Johan SEBTI, chef de service psychiatrie.
Les addictions (paka, alcool, ice) ou un environnement violent augmentent le risque de passage à l’acte agressif. La justice prononce des peines individualisées. L’altération du discernement doit être établie médicalement. Elle sera prise en compte pour juger aussi la dangerosité des prévenus et l’atténuation de leur responsabilité au moment des faits. "Quand il y a une atténuation, bien évidemment c'est pris en compte par les jurés et les magistrats. Mais quand on n'est pas dans l'atténuation par rapport au profil psychologique et psychiatrique, effectivement la peine est adaptée au profil des personnes. D'où l'intérêt de faire des expertises de ces personnes-là, et ici nous avons un vrai problème pour trouver des experts psychiatres", remarque Thomas Pison, procureur général près la Cour d'appel de Papeete.
Il n’existe aucun chiffre sur le nombre de détenus atteints d’une pathologie psychiatrique.
Troubles mentaux : 40% de la population
En cas de rupture de soins, les médecins conseillent d’abord aux familles d’en parler avec le patient afin qu’il reprenne son traitement, de faire appel aux associations (SOS Suicide ou Taputea Ora) ou de contacter les équipes de soins ou le SAMU.
Une étude de l’OMS de 2015 avait relevé que 40% de la population polynésienne souffrait de troubles mentaux passés ou actuels.