Cybèle Plichart : Les ressortissants australiens et néo-zélandais ont été rapatriés rapidement, pourquoi cela a été si long pour les Polynésiens ?
Moetai Brotherson : "On va d'abord rappeler que l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont des pays indépendants qui disposent de leurs propres moyens militaires. Nous, nous sommes une collectivité territoriale. Aujourd'hui, les vols civils ne sont pas autorisés... Quand ils le seront, s'il y a encore besoin de ramener des gens -j'espère qu'on aura résolu tout ça avant- bien sûr que l'on prendra les dispositions qui s'imposent."
C.Plichart : Un amendement de l’opposition vendredi à l’Assemblée proposait de consacrer une enveloppe maximum de 100 millions xpf pour venir en aide à « nos frères océaniens ». Vous étiez contre. Si ce n’est pas en numéraire, comment comptez-vous aider les Calédoniens au titre de la solidarité océanienne ?
M.Brotherson : "Je pense qu'il faut attendre que les choses se calment un peu. Aujourd'hui, distribuer ne serait-ce que des denrées alimentaires, c'est un peu sportif. Nous sommes en contact permanent avec les autorités de Nouvelle-Calédonie. Il faut organiser les choses. Le formulaire que nous avons mis en ligne [tauturu.presidence.pf, NDLR] permet, au moins pour les ressortissants Polynésiens en Calédonie mais aussi pour les Calédoniens qui sont ici, de se manifester et d'exprimer les besoins en aide concrète. En fonction, nous agissons."
C.Plichart : Concernant la situation politique, vous aviez été pressenti pour jouer le rôle de médiateur, le député Steve Chailloux l’a rappelé lors d’une question au gouvernement à l’Assemblée. Cela n’a pas été le cas finalement : qu’avez-vous pensé du passage du président Macron sur le caillou ?
M.Brotherson : "Je pense que les déclarations du président du Macron ne vont pas dans le bon sens. Les actions qui sont menées aujourd'hui ne vont pas dans le sens de l'apaisement. Déjà l'insistance de l'Etat d'avoir validé le troisième référendum alors que la population kanake n'y a pas participé. Il y a quand même 56% des votants qui n'y ont pas participé. Cela a été le point de départ de tout ce qu'on vit aujourd'hui. Et ensuite l'insistance de passer ce projet de modification de la Constitution sur le dégel du corps électoral, ça aussi pour moi, c'est une erreur politique. (...) Le travail de dialogue, il faut qu'il démarre, il n'a pas démarré aujourd'hui. Les uns et les autres ont besoin de se mettre autour d'une table et de dialoguer."
C.Plichart : Demain (mardi), ce sera à votre tour de recevoir les représentant de la liste La France Insoumise à la présidence. Antony Géros ne s’est pas positionné et n’a pas spécialement affiché son soutien. Quelles sont les consignes de vote au sein du Tavini ?
M.Brotherson : "Pour l'instant, il n'y en a pas. Ou la seule dont j'ai entendu parler, c'est l'abstention. Maintenant, peut-être que les discussions avec Younous Omarjee et Mathilde Panot changeront la donne. C'est une décision qui revient au président du Tavini Huiraatira. (...) Ces élections sont mal comprises. L'Europe est assez lointain dans l'esprit des gens. Et puis notre statut de PTOM ne nous avantage pas quand on compare avec les autres territoires qui n'ont pas le statut de PTOM et qui bénéficient de beaucoup plus d'aides de l'Europe."
C.Plichart : Il y a l’Europe et il y a Singapour. Vous revenez tout juste d'un deuxième voyage là-bas. Pour vous, c’est l’exemple à suivre, le nouvel eldorado ?
M.Brotherson : "Non, ce serait naïf de voir les choses comme ça ! C'est un pays extraordinaire, qui est passé en soixante ans d'un des pays les plus pauvres du monde à un pays qui a deux fois et demi le PIB par habitant de la France. Donc il y a certainement des choses à apprendre là-bas. Il y a une administration et une efficience extraordinaire. Des transports en commun qui arrivent en avance quasiment. Il y a beaucoup de leçons à tirer de Singapour. C'est un peu plus de la moitié de Tahiti et ils sont six millions. Je ne dis pas qu'il faut être six millions d'habitants à Tahiti mais tout de même, c'est une preuve que l'urbanisation maîtrisée et planifiée permet d'avoir six millions d'habitants sur la moitié de la surface de Tahiti, sans que les uns et les autres se marchent sur les pieds. Il y a, à Singapour, des investisseurs qui sont très intéressés par l'hôtellerie chez nous. Je les avais déjà rencontrés lors de mon premier séjour. Ensuite, c'était une réunion des ministres des Affaires étrangères du Pacifique, à l'initiative du gouvernement de Singapour, donc étant en charge des relations internationales c'était normal que ça soit moi qui y aille. J'ai emmené Jordy Chan avec moi pour qu'il voie ce qu'on peut faire en matière d'urbanisme et de travaux publics de manière efficace, pour que ça lui donne des idées. On a pu voir de très près ce fameux avion Airfish (l'avion-bateau qui vole au ras de l'eau) dont je pense qu'il pourrait changer la donne de la desserte aux Tuamotu."
C.Plichart : À court terme, concrètement ce que vous rapportez de Singapour ce sont cinq câbles sous-marins installés par Google ?
M.Brotherson : "Oui, c'est du concret. Quand j'entends certains dire que nous n'avons rien fait en un an... Nous avons réussi à amener Google et cinq câbles sur Tahiti. Le bateau d'exploration arrive au mois de juin. Et les câbles commenceront à être tirés au mois de novembre."
C.Plichart : Vous avez été très critiqué ces derniers jours par l’opposition pour votre bilan. Édouard Fritch parle de mensonge, d’amateurisme, du manque de visibilité. Teva Rohfritsch évoque la communication plutôt que l’action...
M.Brotherson : "Nous avons affaire à un club de vieux aigris, je les laisse à leur karma, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise..."
C.Plichart : Vous dites que l’ancienne majorité vous aurait laissé « une ardoise » de 34 milliards de francs : L’an dernier vous disiez qu’il y avait de l’argent dans les caisses pour compenser la suppression de la taxe sociale, finalement ce n’est pas le cas ?
M.Brotherson : "Il ne faut pas me faire dire ce que je n'ai pas dit. Je n'ai pas dit qu'il y avait un déficit de 34 milliards, j'ai dit qu'il y avait un passif de 34 milliards avec par exemple 6,5 milliards xpf de protocoles d'accord de sortie de grève qui n'ont pas été financés et que nous devons financer aujourd'hui. Vous avez aussi le refinancement des satellites pour plus de 9 milliards, vous avez une sous-évaluation systématique de certaines grandes opérations pour 14 milliards. C'est un passif qu'il va falloir gérer."