"On a essayé de retracer et on est tombés en Afrique et en Azerbaïdjan" raconte Bertrand Prévost, rédacteur en chef du quotidien Tahiti Infos. Depuis trois semaines, le journal est victime d’une usurpation d’identité par un faux site qui essaie de vendre de la cryptomonnaie en utilisant l’image de certaines personnalités.
Alerté par ses lecteurs, le journal a publié un article le 13 août dernier pour prévenir ses lecteurs. Mais le hacker continue de sévir : il a annoncé la mort du président de la Polynésie Moetai Brotherson et du vieux Lion Gaston "Floss". "Je suis profondément désolé" s’excuse le rédacteur en chef.
C’est un préjudice en termes d’image…mais les lecteurs ne sont pas crédules. Ils nous alertent.
Bertrand Prévost, rédacteur en chef du quotidien Tahiti Infos
Le journal Le Monde a dû faire face au même problème. Normal, au vu du nombre important de lecteurs. Mais qu’est-ce qui a bien pu attirer l'attention des hackers vers Tahiti Infos ? "Pendant les JO, on a triplé la consultation de nos articles" livre Bertrand Prévost. Un pic de notoriété qui a peut-être joué en leur défaveur… Autre hypothèse émise par le rédacteur en chef : "On a été très critiques dernièrement envers l’Azerbaïdjan. Je me demande si ce n’est pas lié". Il assure qu’une plainte va être déposée sous peu.
Quoi qu’il en soit, si "Floss" est mort, Flosse, lui, est "bien vivant". Les fautes d’orthographe comme celles-là doivent mettre la puce à l’oreille, ainsi que la cohérence des propos. Il faut rester vigilant, surtout lorsqu’il s’agit de cliquer sur des liens. Quant à l'intéressé, il commence à avoir l’habitude.
Ça doit faire quatre ou cinq fois qu’on annonce la mort de Gaston !
Pascale Haïti, épouse de Gaston Flosse
"Il est content parce-qu’on parle de lui !" relate-t-elle avec bienveillance. Comme son mari, elle préfère en rire. Gaston Flosse n’était pas présent pour répondre à notre interview à cause d’une grippe sans gravité mais Pascale confirme qu’il est "très en forme."
Moetai Brotherson a quant à lui publié un démenti sur les réseaux sociaux, tout comme l’élu Tematai Legayic ou encore l’ancienne rédactrice en cheffe de TNTV, Mateata Maamaatuaiahutapu.
La page Facebookde l'église Maria no te hau a également été piratée et polluée de contenus à caractères pornographiques. Elle est toujours active. Une plainte a été déposée auprès du service spécialisé de la direction territoriale de la police nationale.
En juillet, la mairie de Mahina avait elle aussi été victime d'une cyberattaque. L'enquête a été confiée à la gendarmerie.
Les "atteintes numériques" en augmentation
Il existe deux minuscules "cellules" cybersécurité distinctes en Polynésie : une à la DTPN et une au sein de la gendarmerie. Mais difficile d’avoir des données consolidées au fenua puisque "peu de victimes portent plainte et c’est le problème" souligne Timiona Hapaitahaa, major de police et investigateur en cybercriminalité à la DTPN. Or, cela permettrait de mieux chiffrer la cybercriminalité localement. Les données les plus récentes sur lesquelles on peut se baser sont établies dans un rapport national faisant état de 278 770 atteintes numériques en 2023, soit 40% de plus en cinq ans.
Timiona Hapaitahaa alerte notamment sur les deepfake créés par l’intelligence artificielle : l’IA peut faire dire à n’importe qui n’importe quoi et dans n’importe quelle langue… Récemment, une maman a été victime de cet outil : l’IA a usurpé l’identité de sa fille, faisant croire à sa mère qu’elle avait été enlevée et qu’il fallait verser une rançon pour la libérer. La dame a porté plainte. Il existe plusieurs types de hacking visant soit à se faire de l’argent, soit à alimenter des conflits sociétaux, comme en Nouvelle-Calédonie. Mais l’intelligence artificielle peut aussi être utilisée comme un outil de développement dans le domaine de la santé ou de la communication par exemple.
Pour l’heure, aucune réglementation spécifique à la cybercriminalité n’existe à Tahiti. Mais les victimes peuvent porter plainte pour diffamation, usurpation d’identité, atteintes au droit d’auteur ou d’images etc., en fonction du préjudice subi.