Alors que les premiers rayons de soleil pénètrent peu à peu à travers le feuillage des arbres, là-haut, tout là-haut, dans le gîte qui sert d'abri pour près de deux cents cueilleurs, on termine de se préparer. Il y a encore de la marche et de la grimpette à faire avant d'atteindre les plateaux où se trouvent les orangers centenaires. 30 minutes pour les plus aguerris, plus d'une heure pour ceux qui découvrent la vallée pour la première fois.
Quand le soleil a enfin touché toute la vallée, il révèle alors au sommet de troncs épineux, l'or de la Punaruu. Les oranges si importantes aux yeux de centaines de Polynésiens qui année après année on fait l'effort de monter jusqu'ici.
Mais il faut encore grimper... en évitant les épines qui ne manqueront pas d'en blesser quelques-uns au passage. Les plus belles oranges sont évidemment perchées tout au bout des plus longues branches, les plus éloignées. Le butin vient évidemment avec un prix, quelques jambes et bras écorchés... et quelques gouttes de sang versées, sans oublier beaucoup de sueur.
Les chaussettes bien remontées ne sont pas un luxe quand il faut se hisser à plus de 10 m du sol. Une expérience qui n'est pas recommandée aux personnes sujettes au vertige, de là-haut on domine toute la vallée. Il faut maintenant à l'aide de gaffes en bambou, ou façonnées avec les branches trouvées aux alentours cueillir et surtout ne pas endommager les précieux fruits. D'heure en heure, les arbres sont délestés de leurs grappes, pour former à leur pied des tas jaune oranger, tels un butin de pirates.
Mais la cueillette... n'est que l'apéritif. Le plat de résistance... arrive juste après avec... la descente. C'est cette étape qui fait d'un individu lambda un "porteur d'oranges"! Un titre sans grandes pompes, qui pourtant chez les initiés veut tout dire ! Car tous le savent ici... ce qui donne de la valeur à cette tradition c'est justement ça... cette descente ! La répartition des agrumes à l'orange près a son importance. Du petit kilo fourré dans un pochon de plastique, aux bambous utilisés pour porter plusieurs dizaines de fruits dans des sacs de farine, chaque participant embarque ce qu'il pense pouvoir porter. Les oranges étaient autrefois sélectionnées, et méticuleusement enfilées et empaquetées en glanes de fibres naturelles, comme le voulait la tradition.
Mais peu le font encore aujourd'hui... Elles ne seront pour la plupart enfilées qu'une fois arrivées sur le plancher des vaches et juste avant la vente. Pour l'instant, il faut être efficace et surtout optimiser chaque pas... car c'est bien à dos d'individu que chacune de ces oranges prend la piste du retour.
La cueillette s'est déroulée sur les 4 plateaux habituels : Hoa'a, Marae Tia, Tamanu et Terata. Des plateaux et des sentiers qui ont été nettoyés soigneusement depuis lundi. Une fois récoltées, les oranges voyagent désormais sur les dos des porteurs. Le plus spectaculaire est à venir... Tels des cabris pour les plus avertis, ou des mules pour les plus lourdement chargés les voilà partis. Il faut redescendre le trésor arraché aux hauteurs pour le rapporter sans l'abîmer, jusqu'en bas !
Reine de la descente, la sandalette plastique que les porteurs ont pour la plupart aux pieds... Tous vous le diront : "il n'y a rien de mieux pour la montagne !" ça aussi c'est une tradition de la cueillette des oranges.
C'est parti pour plus de 3 heures de marche, sur un relief qui peut glisser, et pas tout le temps facile d'accès. Au fur et à mesure, le souffle se fait plus court, les mots se perdent pour ne laisser que le bruit des pas qui martèlent le sentier. Les bambous grincent, les corps souffrent, même si c'est la saison fraîche, la sueur ruisselle, mais stoïques, les "Aito" des hauteurs ne bronchent pas et continuent. Pas après pas, après pas... ils descendent.
Tous reviennent jusqu'au refuge où ils ont pour la plupart passé la nuit. Ils sont entre 100 et 200 cueilleurs pour cette première récolte de la saison. Le plus jeune a 6 ans et le doyen 73 ans. Une récolte difficile cette année selon les bénévoles venus en famille. Malgré tout, les anciens montrent aux plus jeunes comment faire, de la technique de cueillette, aux différentes façons de descendre, et surtout d'équilibrer la charge pour un confort qui n'existe presque pas, sur les sentiers.
Comme un rite de passage, chacun trouvera son rythme, son pas, face à la douleur, tout au long de ces sentiers creusés par des années de passages. Homme ou femme, cela n'a pas d'importance, car chaque personne se bat au final contre sa propre souffrance, pour repousser le plus possible les limites de sa propre résistance physique.
Les chevilles se durcissent, les genoux se plient et résistent pour réguler la descente, dans les sillons creusés par des dizaines de porteurs des années précédentes. Ne pas glisser, ne pas trébucher, et surtout ne pas perdre la précieuse cargaison. Et les épaules, parlons-en ! Elles aussi se creusent, se crispent, se musclent, rougissent, transpirent jusque pour les anciens, former une boule entre les deux omoplates, signe distinctif propre aux porteurs d'oranges de la Punaruu.
Et une fois arrivés au refuge, et malgré la fatigue, la douleur, voire le sang et la sueur, les sourires sur les visages apparaissent, car chacun de ces porteurs sait que c'est dans la chair, que naît la reconnaissance d'une tradition ancrée depuis des dizaines d'années, et qui donne à ce fruit doré sa vraie valeur. Et que demain, dès l'aurore, ils reprendront le sentier pour une nouvelle fois récolter l'or de la Punaruu.