Quand l'affaire Banner devient politique

Une voiture de la police nationale.
C’est une information de nos confrères du Journal du Dimanche. Le président de la Polynésie a écrit au ministre de l’Intérieur pour soutenir le directeur de la police, Mario Banner, visé par des plaintes de deux officiers de police. Une prise de position que dénonce l’avocat d'une des fonctionnaires alors qu'un rapport de l'IGPN est défavorable au patron de la police au fenua.

L’affaire Banner continue de faire couler de l’encre au-delà de la Polynésie. Ce dimanche 26 mars, le Journal du Dimanche révèle un courrier envoyé par Edouard Fritch au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. La teneur de cette lettre : apporter son soutien au patron de la police au fenua, Mario Banner. Depuis plusieurs mois, l’homme est au coeur de différents conflits qui l’opposent à des fonctionnaires de police.

JDD

Pour comprendre cette histoire, il faut revenir en arrière. En novembre dernier, Mario Banner est visé par une plainte pénale pour des faits de menace et de harcèlement moral déposée par une commandante polynésienne, cheffe d’état major de la police. S’en suit une deuxième plainte déposée en début d’année par son adjointe. Les deux femmes officiers, en arrêt maladie depuis six mois, dénoncent notamment un management tyrannique et clanique basé sur la peur et la désinformation, des discriminations et injures. Dans la foulée, le syndicat de police Alliance assigne la cheffe d’État-major adjointe pour des propos racistes qu’elle aurait tenus il y a plusieurs mois. Au même moment, l’IGPN, l’inspection générale de la police nationale, mène une mission de quelques jours sur le territoire pour procéder à l’évaluation de la DTPN, un an après la mise en œuvre de cette réforme organisationnelle sur le territoire, mais également pour effectuer une enquête administrative à la suite de signalements de situations de souffrance au travail. Plusieurs personnes sont alors entendues sur le management de Mario Banner au sein de la DTPN. 

Rapport de l'IGPN défavorable à Mario Banner

Les conclusions du rapport de l’IGPN ont été rendues il y a une quinzaine de jours. Selon nos informations, le rapport de l'inspection est défavorable à Mario Banner. Entretemps, à Tahiti, une manifestation est organisée en début d’année pour soutenir Mario Banner et demander le départ du territoire de la cheffe d’État-major adjointe et son mari, à la tête du renseignement territorial. Un collectif a par ailleurs été monté en ce sens et  une pétition a également circulé. Lors de la commémoration de l’arrivée de l’Evangile, le 5 mars, l’église protestante mao’hi se prononce en faveur du patron de la police. Du côté de la justice, le 8 mars, un juge d’instruction est saisi de l’affaire. Mais l'avocat des deux plaignantes dénonce « l’immobilisme du procureur » Hervé Leroy dans ce dossier. Il demande le dépaysement de l’affaire à Paris et dénonce cette pratique locale qui consiste "à se saisir des plaintes qui visent des policiers avec lesquels il travaille quotidiennement et en l’occurrence qui concerne le chef de la police placé sous sa responsabilité et avec lequel il entretient une relation de proximité. Cette pratique est malsaine et met en danger l’indépendance de la justice et le principe d’impartialité de l’enquête. Le procureur Leroy doit dépayser ce type de dossier et c’est évidemment ce que l’on demande. »  

Risque de transformer cette affaire en « bataille politique » selon le président

Depuis quelques semaines, la rumeur circule d’une sanction administrative contre Mario Banner et une mutation possible à un an de sa retraite. Et c’est d’ailleurs ce que regrette Edouard Fritch dans son courrier envoyé au ministre de l’Intérieur. « C’est le seul polynésien, directeur d’un service d’état en Polynésie. A cet égard, si sa mutation est effective, ce serait un très mauvais signe envoyé à la Polynésie et aux Polynésiens », écrit le président du Pays. Autre point abordé dans ce courrier : un couple de fonctionnaires de police qui « impriment par leurs propos et par leurs comportements racistes, une ambiance délétère ». Il demande donc que le ministre de l’Intérieur attende « le règlement de la situation du couple » avant toute décision concernant Mario Banner. Ce courrier envoyé le 16 mars dernier intervient à quelques semaines seulement du premier tour des Territoriales, qui aura lieu le 16 avril. Edouard Fritch fait d’ailleurs part du risque de transformer cette affaire en « bataille politique » : « En cette période électorale, l’aubaine est forte pour le parti indépendantiste et l’Eglise protestante Maohi  de s’immiscer dans cette affaire qui agite la DTPN de Papeete pour lancer une vaste campagne anti-française ».

« On se pose la question de qui a conseillé le président sur les termes de ce courrier ? Il prend une position très forte sans pour autant connaître ce qu’il se passe au sein de la police en Polynésie »

Heimana Besineau du SCSI-CFDT

« Edouard Fritch demande au ministre de l’intérieur Gerald Darmanin de ne pas sanctionner le commissaire Mario Banner. Pourquoi ? Parce qu’il serait innocent de ces accusations de menace et de harcèlement moral ? Pas du tout ! M. Fritch n’aborde pas une seconde les délits reprochés à M. Banner », dénonce Me Thibaud Millet, l’avocat du couple de fonctionnaires et des deux plaignantes. Le conseil estime que plutôt « d’évoquer ce dossier embarrassant, le Président Fritch préfère souffler sur les braises du racisme. » et se dit choqué par la partialité du président à quelques semaines des élections sans « la moindre attention pour ces deux femmes en souffrance qu’il n’a même pas pris la peine de contacter. » Suite à ce courrier, le syndicat des cadres de la sécurité intérieure SCSI-CFDT a demandé via une lettre, envoyée dimanche au gouvernement, une audience en urgence au président du Pays. "On se pose la question de qui a conseillé le président sur les termes de ce courrier ? Il prend une position très forte sans pour autant connaître ce qu’il se passe au sein de la police en Polynésie et déconnectée de la réalité. Certains propos tenus sont erronés », estime Heimana Besineau, membre du SCSI-CFDT, contacté par téléphone. Heimana Besineau déplore une « ingérence de la part du pays dans les affaires de la fonction d’état", et dénonce de "nombreux propos erronés" tenus par Edouard Fritch dans son courrier au ministre de l'Intérieur. 

Contactés par mail, ni Mario Banner ni la présidence du Pays n’ont pour l’heure réagit à nos demandes. 

Dans un communiqué à la presse envoyé en fin de journée lundi 27 mars 2023, le procureur de la République Hervé Leroy a souhaité revenir sur certains détails de l'affaire remis en cause par l'avocat Thibault Millet, tout en rappelant que c'est dorénavant le parquet de Nouméa qui est en charge de l'affaire.