Récit : de Tahiti au cercle polaire, Christine à la recherche des aurores boréales

Comme un tableau.
Quand la Polynésie fait rêver des gens, pour d'autres ce sont les aurores boréales et australes. Des phénomènes physiques et lumineux liés à l'activité solaire et visibles aux pôles nord et sud. Il y a quelques mois, Christine a sauté le pas et s'est envolée pour la Norvège à la recherche de ces aurores. Elle n'a pas été déçue du voyage.

Elle aurait pu s’appeler Aurore. Mais fin octobre 2023, Christine, qui travaille dans un grand hôtel de Tahiti, s’est levée tôt pour prendre un avion qui l’a menée très loin d’ici, tout au nord de l’Europe, au-delà du cercle polaire. 

Partie de Tahiti, son île d’adoption, elle voulait voir autre chose que le Soleil qui se couche derrière Moorea, elle rêvait de regarder le ciel qui s’illumine en pleine nuit. "Ce qui m’a attirée, c’est l’inconnu, c’est un phénomène naturel qu’on n’a pas l’occasion de voir en Polynésie", dit-elle encore, 6 mois après avoir posé les pieds en Norvège et levé la tête le soir vers l’immensité de l’univers.

Naissance d'une aurore.

Non, ses yeux ne sont pas pleins d’étoiles mais plutôt remplis d’aurores boréales. Des aurores d’une couleur vert clair, un peu comme celle de ses yeux. "C’est magique, c'est une lumière à laquelle on n'est pas habitué dans notre quotidien ou ici. Donc on a l'impression d'être un enfant qui voit débarquer une soucoupe volante, venue d'un autre monde. Donc c’est vraiment impressionnant, c'est magique", ne cesse-t-elle de répéter.

Magnifique !

Un spectacle féerique qui n’est pas l’œuvre d’un artiste fantaisiste mais d’un Soleil plutôt capricieux. Parfois quand l’astre jaune est pris de soubresauts, il crache d’immenses flammes. Des éruptions solaires qui peuvent atteindre des centaines de milliers de kilomètres.

Ces protubérances sont envoyées dans l'espace…Ces flammes gigantesques vont créer des ondes cosmiques qui se propagent dans le système solaire

Philippe Savriacouty, Société astronomique de Tahiti

Ces ondes vont arriver sur Terre et en faire le tour, puisque "c’est une boule qui, grâce à son atmosphère, va les dévier…la Terre est donc protégée par un bouclier magnétique qui fait que les ondes cosmiques venues du Soleil continuent leur chemin", poursuit Philippe.

Mais voilà, la Terre a une particularité au niveau de ses deux pôles, il y a des sortes d’entonnoirs. Un au nord, l’autre au sud. "Et donc en passant, ces ondes parviennent à entrer dans les entonnoirs… Au nord, cela provoque des aurores boréales, au sud des aurores australes", précise ce passionné de mécanique céleste, originaire de l’île de la Réunion.

Philippe Savriacouty, le passionné de mécanique céleste.

Le spectacle est alors de toute beauté. Leurs formes sont sinusoïdales, elles ondulent. "Les ondes cosmiques qui vont toucher l'atmosphère de la Terre se déforment", ajoute Philippe. Elles fascinent d’autant plus qu’elles ne sont visibles que le soir.
Comme les rares étoiles filantes qui traversent subrepticement un ciel bien dégagé. Tout juste le temps alors de faire un vœu !
Heureusement que les aurores brillent de mille feux suffisamment longtemps. L’occasion de les immortaliser. 

Les fameuses formes sinusoïdales.

Début novembre 2023, une fois en Norvège, Christine a alors quitté la ville de Bergen en vue d’embarquer pour une croisière vers le cercle polaire, direction Tromso, le point ultime du pays, endroit réputé pour découvrir des aurores.
Et la deuxième nuit sur le bateau, le capitaine a invité les passagers à se rendre sur le pont. Ils n’ont pas été déçus. "On la voit arriver un petit peu, faible au départ et petit à petit l'intensité augmente. Soit elle se stabilise à un niveau assez faible, soit quand on a la chance de les voir comme je les ai vues, elles sont au-dessus de la tête et elles bougent comme ça. Ah oui, ça bouge, ça bouge !", se souvient-elle, "et ça peut rester une demi-heure, 1 heure et repartir". Son voyage avait bien commencé. 

Plusieurs couleurs

C’est une fois arrivée à Tromso, que Christine a fait le plein d’aurores. Elle y est restée 3 jours et 3 nuits. Vers 18 h, en petits groupes, "on se donnait rendez-vous et on partait un petit peu s'éloigner de la ville et la lumière, à la recherche d'un ciel dégagé, en attendant d'éventuelles aurores boréales jusqu'à 2 h-3 h du matin…et ça a fonctionné à chaque fois", raconte-t-elle.
Question couleur, ça va "du blanc, vert clair ou vert plus intense", dit-elle. Dans d’autres régions, elles prennent une autre couleur.

Des aurores boréales filmées par Christine lors de son séjour en Norvège en novembre 2023. ©Polynésie la 1ère/Christine

C’est ce qui s’est passé en novembre dernier au-dessus de l’Hexagone. "Ce n’était pas vert, mais plus ou moins orangé, rose. C'est à cause de la pollution lumineuse de la France, de l'Europe principalement de toute l'Europe. C'est tellement éclairé, les ondes sont étirées et tendent vers le rouge", précise Philippe Savriacouty. 

Pollution lumineuse

Au nord de l’Europe, "l'air au pôle est tellement pur qu'on voit que c'est bien vert, bleu et ça fait des sinusoïdales, c’est super joli tout ça. Tandis qu’arrivé [au sud de] l’Europe, il y a tellement de pollution [lumineuse] sur cette bande-là que les aurores ne sont plus vertes, elles changent la couleur du ciel", poursuit Philippe.
Ce qui prouve que les aurores ne sont pas uniquement visibles aux deux pôles de notre planète. Par le passé, certaines ont même été aperçues dans le ciel de Cuba. Des témoins en ont vues aussi en Inde, en Chine ou au Japon.

Tel le vent qui souffle au-dessus d'un mont.

Bien loin des extrémités nord et sud. Dans ce cas, tout dépend encore des sautes d’humeur du Soleil. "La majorité du temps, les particules [solaires] vont simplement se diriger en priorité vers les zones polaires et donner lieu aux aurores boréales et australesEt lorsqu’elles sont visibles jusqu’en Europe, c’est le signe, à l’origine, d’une grande éruption solaire", décrivait dans un article scientifique Pierdavide Coïsson, physicien de l’institut de physique du Globe de Paris.

Puissant jet

En clair, confirme Philippe Savriacouty, lorsque des aurores ont été aperçues dans le ciel de Cuba au 19e siècle, "la protubérance [du jet solaire] était power, elle était vraiment puissante. Ouais, là c'était du 500 000 kilomètres [de long]…Donc le jet qui atteint la Terre, il va, au lieu de rester au pôle…il va être dilué. Il va descendre".

Un petit air des Marquises, n'est-ce pas ?

De là à voir des aurores jusqu’en Polynésie, il y a un grand pas, estime Philippe. Le Réunionnais pense que notre archipel, situé au 17e parallèle sud, est encore trop éloigné du pôle Sud. Pour lui, ce serait davantage dans son île natale, la Réunion, placée plus bas au 21e parallèle sud, qu'"on verra des aurores australes… Nous on pourrait voir ça, mais ça va être rare. À ce jour, je n’ai pas encore entendu parler de gens qui ont vu ce phénomène du côté de Tahiti. Par contre, nous, ce qu'on peut observer ici, c'est la rentrée des satellites", dans l’atmosphère, observe-t-il.

A défaut, des satellites

"Il faut savoir que nous, on n’est pas trop loin du point Nemo. Nemo, c'est le point dans le Pacifique qui est à égale distance des côtes. C'est carrément perdu… tu es à 3 000 kilomètres de la première côte…Il n’y a personne, c'est le point Nemo, il n'y a rien autour. Et bien ça va servir, entre guillemets, de poubelle pour les satellites. Quand on fait revenir les satellites, ils vont suivre une trajectoire et vont atterrir là au point Nemo".

A défaut d'en voir sous nos latitudes, on peut parfois apercevoir la chute de satellites vers le point nemo.

Une maigre consolation pour la Polynésie, bien placée donc pour regarder les satellites en fin de vie entrer dans l’atmosphère et terminer leur course au milieu de nulle part.

D’aucuns pourraient les prendre pour des étoiles filantes et faire alors des vœux. Comme celui de voir, pourquoi pas, des aurores sous nos latitudes. "Si j'ai l'occasion, je serais la plus heureuse !", lâche Christine.
Dans ce cas, plus besoin pour elle de retourner dans le grand Nord à la recherche d’aurores boréales.