Violences en Nouvelle-Calédonie : quatre morts dont un gendarme, le bilan au matin du quatrième jour d'émeutes

Un supermarché de la vallée des colons, dans la rue Bénébig à Nouméa, le 15 mai 2024 en fin de journée.
Cette troisième nuit de violences en Nouvelle-Calédonie a fait quatre morts, dont un gendarme et deux émeutiers. Le vote de l'assemblée nationale pour le dégel du corps électoral a mis le feu aux poudres. Les blocages et pillages se poursuivent dans la ville de Nouméa. L'état d'urgence a été décrété par le Conseil de ministres.

Il est deux heures du matin en Nouvelle-Calédonie, lorsque le ministre de l'intérieur et des Outre-mer évoque, devant les sénateurs de Paris, les conditions dans lesquelles un jeune gendarme mobile de 22 ans est décédé cette nuit. "Il est mort après une nuit de protection dans un endroit particulièrement dangereux où les tirs ont été à balles réelles", a relaté Gérald Darmanin. "En l'occurrence, à La Coulée, au Mont-Dore." "Des vieux, comme on dit chez vous en Nouvelle-Calédonie, sont venus parler aux gendarmes. Il a alors retiré son casque, et il s’est fait tirer dessus, en plein front. " 

Une heure du matin, le décès du gendarme mobile, rattaché à l'escadron de Mesclun, est annoncé officiellement. Au même moment, un incendie ravage la brigade territoriale de Tadine, à Maré. Un jeune, originaire de l'île, perd la vie dans le contexte des émeutes et des violences.

La pluie qui tombe sur Nouméa cette nuit n'éteint pas le déferlement de violences qui s'est abattu sur l'agglomération. Vers minuit, un symbole fort était en feu, le Sénat coutumier dont le siège se trouve à Nouville. Le point au réveil de cette troisième nuit d'émeutes avec Aiata Tarahu, à 5 heures du matin.

Minuit à Nouméa, le premier ministre Gabriel Attal déclare depuis Paris : "Nous proposons à l'ensemble des acteurs calédoniens une rencontre avec le Gouvernement avant que le Congrès soit réuni", a-t-il poursuivi, assurant qu'il allait leur proposer une date de rencontre "dans les prochaines heures". "C'est une solution politique globale pour l'avenir de la Calédonie qu'il nous faut construire après le processus qui a été engagé", a conclu le premier ministre.

Il est 23 heures sur le caillou lorsque le gouvernement de Métropole décrète l'état d'urgence à partir de 5 heures du matin en Nouvelle-Calédonie et ce pour douze jours. Le bilan d'alors faisait état d'au moins deux morts. La décision a été prise par le chef de l'Etat, à l'issue d'un conseil de défense et de sécurité nationale, qu'il avait convoqué ce mercredi, au palais de l'Elysée.

Quelles mesures concrètes le gouvernement calédonien peut-il prendre désormais ? Les explications dans ce reportage.

Les appels au calme se sont pourtant multipliés. Vers 21 heures, la maire de Maré et le grand chef du district de La Roche lancent un appel au calme à tous les Calédoniens. Maryline Sinewami et Hippolyte Sinewami Htamumu ont pris la parole après avoir appris le décès du jeune originaire de Maré. Evoquant un jeune de 19 ans qui avait l’avenir devant lui et se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment, tous deux exhortent les parents à veiller sur leurs enfants."

“La situation actuelle était malheureusement prévisible", estiment la maire de Maré et le grand chef du district de La Roche, "et nous avions alerté le gouvernement central depuis des mois sur la méthode employée et le risque majeur que représentait cette réforme (…) sans un accord global de toutes les parties.” Ils ajoutent : “Le même message a été donné à tous les groupes parlementaires de l’Assemblée nationale (…). Malheureusement, nous n’avons pas été entendus, que ce soit lors des marches pacifiques qui ont eu lieu dans le pays ou lors de ce déplacement en France. Parce que ce nous avions peur des conséquences, tant le gel du corps électoral est le poteau central de notre case “pays”."

Une heure plus tard à 22 heures, Maryline Sinewami et Hippolyte Sinewami Htamumu écrivent : “La différence avec les événements de 84-88 est l’expérience du vécu. La situation présente se reproduit car les mêmes ingrédients ont servi aux mêmes effets, sans grande surprise. Nous sommes responsables et notre jeunesse nous met face à nos échecs. Maintenant, la peur et la haine risquent de malmener notre pays vers des heures encore plus sombres. Notre pays mérite mieux. Il nous a déjà montré le chemin. La violence ne peut pas tout régler. Le dialogue est plus que nécessaire."

Une situation prévisible, c'est également l'analyse du docteur en science politique et professeur à l’Université de Polynésie française, Sémir Al Wardi. Pour comprendre et décrypter les enjeux de ce qui se passe en Nouvelle Caledonie, écoutez son intervention dans "l'invité café" de ce mercredi 15 mai.

Dernières mesures décrétées pour cet état d'urgence : Gabriel Attal annonce l'interdiction de Tik Tok et le déploiement de l'armée pour sécuriser les ports et l'aéroport  de l'archipel.

"Aujourd’hui les problèmes que cela crée sont de plusieurs natures. Des problèmes de santé, dans les hôpitaux. Des problèmes d’alimentation, on va manquer de nourriture ici, surtout à Nouméa". Il y aura besoin de soutien en matière de santé, d’alimentation et de sécurité civile. Une cellule de crise est mise en place par le haut-commissariat.  

Du côté du Médipôle, l’ensemble des consultations et prises en charge programmées ont dû être reportées. Y compris en hôpital de jour, afin de prioriser les urgences. Le personnel est contraint de rester sur site "engendrant des journées de travail prolongées et une fatigue croissante, heure après heure", assure le directeur général du Médipôle.  La direction "s’organise pour soutenir les structures actuellement en difficulté et maintenir leur activité, notamment celle de la dialyse. De nombreux patients appellent le 15, mais ce dernier n’est pas en mesure d’assurer leur transfert vers le Médipôle, compte tenu du blocage des routes et des difficultés d’accès. Cette situation a des conséquences sur l’état de santé de nos patients, notamment chroniques".

La Fédération des établissements d’accueil des personnes âgées a alerté, en début de soirée, sur la situation des personnes accueillies en Ehpad. Elle interpelle les autorités et l’opinion publique. "Si la situation ne revient pas rapidement à la normale, les établissements vont être confrontés dès ce mercredi soir à une pénurie de médicaments. Certains de ces traitements sont vitaux pour les pensionnaires". D’autres pénuries sont à prévoir, elles concernent l’alimentation, les protections périodiques, le linge de maison et le nécessaire de toilette."Les personnes âgées accueillies en établissement spécialisé pourront donc figurer parmi les premières victimes de cette situation insurrectionnelle. Est-ce le sort que nous souhaitons pour nos vieux?", interroge la fédération. Elle indique qu’un établissement était en cours d’évacuation, faute de personnel encadrant. La fédération des établissements d’accueil des personnes âgées appelle solennellement les autorités, "à mettre en place le plus rapidement possible, des mesures d’aide et d’accompagnement des établissements et de leurs pensionnaires".

Le point sur la situation en Nouvelle-Calédonie dans cette édition spéciale du journal des Outre-Mer du 15 mai 2024 : 

Point sur la situation en Nouvelle-Calédonie : édition spéciale de l'info des Outre-mer ©Outre-mer la 1ère

Aux alentours de 21 heures à Nouméa, alors que la Calédonie connaît des violences de grande ampleur, qui ont fait deux morts, et que les appels au calme se succèdent, la Cellule de coordination des actions de terrain réagit, par communiqué, à l’adoption du projet de loi constitutionnelle sur le corps électoral par l’Assemblée nationale. “Ce matin du 15 mai, nous avons pris acte du vote des 351 députés, qui ont choisi de mettre de l’huile sur le feu en donnant leur aval pour le dégel du corps électoral”, écrit la CCAT.  “Aujourd’hui, l’avant-dernière étape du processus de révision de la Constitution est passée et c’est le Congrès de Versailles convoqué par le président Macron dans les prochaines semaines qui entérinera cette réforme", poursuit le communiqué. “Il reste une dernière chance pour que l’Etat entende notre cri du cœur et stoppe définitivement son plan au nom de la paix dans notre pays.”  D’ajouter plus loin : “Les ‘exactions’ commises sur les commerces, les sociétés, les bâtiments et les équipements publics n’étaient pas nécessaires mais ils sont l’expression des invisibles de la société qui subissent les inégalités de plein fouet et sont marginalisés au quotidien.” La CCAT “réaffirme que les actions doivent être maintenues en phase 2,5 de manière pacifique et appelle à la plus grande vigilance en cas de provocation.” 

Six heures plus tard, Paris répond et le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, se tenant face aux sénateurs, a qualifié la CCAT, "qui est désormais loin du FLNKS", de "groupe mafieux qui veut manifestement instaurer la violence".